Plus on regarde Nestlé de près, moins le géant de l'alimentation paraît imposant. Sous l'ère désormais révolue de Mark Schneider, le chiffre d'affaires du groupe a augmenté d'à peine 3,5 milliards de francs, passant de 89,5 à 93 milliards de francs. Concernant la marge, l'année dernière a affiché une modeste augmentation de 0,3% par rapport à 2016. Ceci, malgré une vaste restructuration du portefeuille censée avoir précisément l'effet inverse: une montée en gamme permettant un fort pouvoir de fixation des prix et des profits importants en conséquence.

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Presque deux fois plus de dettes

Célébré comme un surdoué à son arrivée à Vevey, Mark Schneider laisse derrière lui un héritage difficile. L'Allemand, salué comme le «meilleur manager de sa génération» par l’hebdomadaire économique Wirtschaftswoche, a repris en 2017 des dettes d'un montant de 28,4 milliards de francs de son prédécesseur Paul Bulcke. La dette du groupe s’élève aujourd’hui à 53,1 milliards de francs, ce qui représente un quasi-doublement.

La charge de la dette de Nestlé est considérable. Parallèlement, le ratio de fonds propres est en chute libre. En seulement huit ans, il est passé de 50% à 24,7%. En d'autres termes, le groupe vit sur sa substance. 

Un bilan amaigri

Les programmes de rachat d'actions, avec lesquels Mark Schneider a tenu les actionnaires en haleine pendant toutes ces années, sont responsables de ce déséquilibre du bilan. Sous sa direction, Nestlé a dépensé 50,2 milliards de francs pour racheter ses propres actions et faire ainsi monter le cours. Un montant colossal.

L'année la plus faste pour les actionnaires a été 2022, avec des rachats de 10,7 milliards de francs. La deuxième place est occupée par 2019, avec des rachats de 9,8 milliards. Même durant la pandémie, on ne s'est pas laissé aller. En 2020, on a racheté des actions pour 6,8 milliards de francs, en 2021 pour un total de 6,5 milliards.

Vingt milliards pour les dividendes et les rachats

En 2022, année record, le groupe a dépensé - dividendes et programmes de rachat d'actions confondus - 19,7 milliards de francs, avant de freiner des quatre fers en 2023, où il n’a racheté des actions «que» pour 5,2 milliards de francs et distribué 8,1 milliards de francs de dividendes.

Si l'on additionne les dividendes et les programmes de rachat d'actions, les actionnaires ont été choyés à hauteur de 112,7 milliards de francs au cours des sept années de l'ère Mark Schneider, selon les calculs de Handelszeitung. Si l'on met cela en relation avec le cash-flow, qui s'élève à 76,4 milliards de francs, il en résulte une perte de 36,3 milliards de francs. L'entreprise a donc distribué plus qu'elle n'a gagné. Le feu d'artifice en bourse a dû être financé, du moins en partie, par des dettes. 

Les affaires opérationnelles ne se portent pas beaucoup mieux qu'au début de la période Mark Schneider. En revanche, le groupe est assis sur une grosse montagne de dettes et un bilan nettement plus faible. Le constat est amer.

Une baisse du chiffre d'affaires

La réorganisation du portefeuille n’a pas été sans conséquence: Mark Schneider a vendu des secteurs d'activité à grande échelle, ce qui a entraîné une perte importante de chiffre d'affaires. La séparation de l'activité skin health Galderma, depuis toujours un corps étranger dans l'univers de Nestlé, a entraîné une perte de 2,8 milliards de francs de chiffre d'affaires. A cela s'est ajouté le départ de l'activité des glaces, de la marque de saucisses allemande Herta et de l'activité des eaux et des confiseries aux Etats-Unis, des domaines d'activité avec lesquels quelques centaines de millions, voire un milliard de chiffre d'affaires ont également disparu. 

D’un autre côté, le développement de nouvelles lignes de produits, comme les alternatives végétaliennes à la viande, nécessite des investissements. Idem pour les nombreuses acquisitions qui ont également coûté de l'argent. Mark Schneider a déboursé 7,1 milliards de dollars pour les droits de marque de Starbucks, auxquels s'ajoutent des droits de licence. De plus, la franchise Starbucks a d'abord dû être développée et lancée, ce qui a également coûté cher. 

Par conséquent, il paraît clair que l’on ne devrait pas continuer dans cette voie. Les programmes de rachat d'actions devraient être suspendus pour le moment. Selon Jean-Philippe Bertschy, analyste de Nestlé chez Vontobel, la majorité du marché ne s'attend pas à ce que Nestlé lance un nouveau programme de rachat d'actions.

Le rachat de L'Oréal

A moins que le nouveau patron du groupe, Laurent Freixe, ne fasse comme son prédécesseur et ne vende l'argenterie. Autrement dit: une partie de la part que Nestlé détient encore dans L'Oréal. Mais le timing est mauvais, car à Paris aussi, les valeurs sont en forte baisse: l'action du groupe cosmétique français ne vaut plus que 70% de sa valeur d’il y a un an et demi. 

L'amaigrissement du bilan est également une hypothèque pour les affaires. Dans ce contexte, il ne sera plus guère possible de procéder à de grandes acquisitions. Et la faiblesse du bilan est également un inconvénient pour les efforts visant à remettre l'entreprise sur pied, comme le prévoit désormais Laurent Freixe. Car la reconquête de parts de marché et le renforcement des marques et des marchés nécessitent également des investissements qui doivent ensuite être rentabilisés.

Pas de «quick fix» en vue

Trop d'ingénierie financière, un bilan amaigri et une activité opérationnelle qui reste en dessous des attentes: Nestlé a un long chemin à parcourir. Les investisseurs semblent également le penser. Ces jours-ci, les actions du groupe sont repassées sous la barre des 80 francs pour la première fois depuis des années. C’est-à-dire près de 50 francs de moins qu'aux meilleurs moments des années Mark Schneider. La capitalisation boursière s’élève désormais à un peu plus de 200 milliards de francs, soit moins que Roche. Et celle-ci connaît actuellement tout sauf une envolée.

Sorti du chapeau par le conseil d'administration de Nestlé en août, Laurent Freixe devra sortir le groupe de cette mauvaise passe. Une chose est sûre: il n'y aura pas de «quick fix». Au contraire, le groupe et ses propriétaires devront faire preuve de patience avant que Nestlé ne remonte la pente.

Cet article est une adaptation d'une publication parue dans Handelszeitung.