Monsieur Irminger, vous allez fêter votre 60e anniversaire au printemps prochain. Les années se mélangent au fur et à mesure que l'on avance en âge. Quelles sont les trois que vous n'oublierez jamais?
Hmm (il réfléchit un instant). Ce sont sans doute les années où j'ai accepté un nouveau défi, du moins sur le plan professionnel: en 1996, j'ai pu découvrir les activités commerciales chez Heineken. En 2010, j'ai commencé chez Denner en tant que directeur financier et suis devenu CEO un an plus tard. Et bien sûr, en 2023, lorsque j'ai été nommé directeur général de la Fédération des coopératives Migros.
Où situeriez-vous 2024?
C'était sans aucun doute une année exceptionnelle. La nouvelle société Migros Supermarché a été lancée. Nous avons annoncé que nous cherchions de nouveaux propriétaires pour différents formats. En outre, nous avons pu présenter à l'automne notre nouvelle stratégie pour notre activité principale, les supermarchés. Mais toutes ces choses, nous les avons déjà mises en place en 2023.
En raison de la restructuration du groupe dont vous êtes responsable, de nombreuses personnes ont perdu leur emploi. Comment gérez-vous cela? Y a-t-il des rencontres qui vous sont restées en mémoire?
Pas un moment isolé, mais l'ensemble m'a pesé. J'ai reçu des réactions émotionnelles de la part de personnes concernées qui ne comprenaient pas que cela les touche justement. Je peux le comprendre. Mais en fin de compte, je suis convaincu que les décisions prises étaient justes et nécessaires.
Des femmes enceintes et en congé maternité ont également été licenciées - et ce dans une coopérative dont le fondateur s'était engagé en faveur du «capital social». Quelle est l'ampleur du préjudice subi en termes d’image pour l’entreprise?
Les licenciements de femmes enceintes ou en congé maternité ont été des cas isolés. Je le regrette beaucoup. Dans de telles situations, des erreurs peuvent se produire et nous devrions être plus conciliants dans leur gestion. Je ne peux pas juger de l'ampleur des dommages causés à l'image de marque. Mais j'ai reçu de nombreuses réactions de collaborateurs et de clients qui estiment que la transformation était la seule chose à faire.
Une partie de la transformation est terminée. Vous avez trouvé des acheteurs pour SportX, Melectronics et Bike World. Quel est votre bilan intermédiaire?
Tout d'abord, je suis fier d'avoir fait bouger Migros, cet énorme paquebot. En nous séparant des marchés spécialisés, nous pouvons à nouveau mieux nous concentrer sur notre activité principale. De plus, nous avons trouvé de bons acheteurs pour SportX, Melectronics et Bike World et donc de bonnes solutions pour nos collaborateurs et la clientèle.
Comme les acquéreurs n'ont pas repris toutes les filiales, vous avez maintenant de nombreuses surfaces de vente vides. Qu'en faites-vous?
Nous nous débarrassons des surfaces vides mieux qu'on ne pourrait l’imaginer. On trouve par exemple des pharmacies, des drogueries et des petits magasins. Dans le domaine du sport, où nous avons vendu à Ochsner Sport, il y a entre autres Decathlon, un autre grand fournisseur qui s'étend et qui est intéressé par de plus grandes surfaces.
La chaîne de droguerie allemande Rossmann veut ouvrir 100 magasins en Suisse d'ici cinq ans. Le patron de l'entreprise, Raoul Rossmann, a laissé entendre que Migros n'était pas particulièrement désireuse de prendre Rossmann comme locataire.
C'est évident: avec notre offre dans les supermarchés, mais aussi avec nos pharmacies Medbase, nous nous ferions nous-mêmes concurrence avec un fournisseur de droguerie comme Rossmann dans nos locaux.
La vente d'Hotelplan n'est pas encore conclue. Il est toutefois entendu que le groupe allemand Dertour devrait entrer en jeu. Pouvez-vous le confirmer?
Nous ne donnons pas d'informations sur les négociations en cours. Il faut encore que les autorités procèdent à quelques clarifications. En Grande-Bretagne, par exemple, où le groupe Hotelplan est également actif, un changement de propriétaire dans le secteur du voyage nécessite une autorisation administrative afin d'éviter des dommages pour les consommateurs. Nous ne pourrons donc probablement pas communiquer la vente avant le premier trimestre 2025.
Dertour possède déjà Kuoni. En cas de rachat d'Hotelplan, le groupe aurait environ 150 filiales en Suisse. Comment évitez-vous un démantèlement massif après le rachat?
Comme je l'ai dit: je ne souhaite pas spéculer sur les acheteurs potentiels et les éventuelles conséquences. Mais à chaque vente, nous essayons de trouver la meilleure solution possible pour les clients et nos collaborateurs. Pour préserver les emplois, nous serions même prêts à accepter un prix de vente plus bas.
Dans le cas de la filiale industrielle Mibelle, le défi est que le secteur des cosmétiques est attractif, mais que celui des lessives et des margarines l'est moins. Trouverez-vous quelqu'un pour acheter l'ensemble?
Un seul acheteur serait idéal. Mais nous n'excluons pas non plus plusieurs acheteurs. Ici aussi, il s'agit de trouver la meilleure solution pour la clientèle et les collaborateurs.
Est-il envisageable que vous conserviez finalement le secteur des lessives et des produits d'entretien?
Non, j'exclue cette possibilité.
En octobre, vous avez annoncé que vous alliez baisser le prix de plus de 1000 produits de tous les jours au «niveau discount». Pour combien de produits cette promesse a-t-elle déjà été mise en œuvre?
Jusqu'à présent, seulement dans l'assortiment de produits frais. Mais d'ici fin janvier, environ 500 produits devraient être au niveau de prix bas, en premier lieu dans le secteur alimentaire. D'ici l'été 2025, nous voulons atteindre ce niveau pour bien plus de 1000 produits.
Pour les fruits et légumes, vous signalez les «prix bas» par un panneau jaune bien visible. Est-ce que vous appliquez cela à tous les produits?
Bien sûr que oui. Dans un grand magasin Migros, on trouvera à terme plus de 1000 panneaux jaunes indiquant les prix les plus bas. Nous investissons 500 millions de francs dans la réduction du prix de nos produits par an. Cette réduction doit aussi être visible.
En tant que patron de Denner, vous avez fait sensation en important du Coca-Cola directement de République tchèque et de Pologne. Est-ce que cela est aussi envisageable chez Migros?
Le supplément suisse et les marges bénéficiaires des fabricants de marques sont encore très élevés. Les importations parallèles et le déréférencement ne sont donc pas exclus chez Migros non plus. Ce sont des moyens de pression possibles pour obtenir des prix plus bas pour notre clientèle. Mais nous essayons avant tout de parvenir à nos fins par des négociations cohérentes.
À propos de Denner: que pensent vos anciens collègues de l'offensive discount de Migros? Ils ne devraient pas s'en réjouir.
Je n'ai pas eu de réactions désagréables.
Probablement parce que personne n'ose dire ce qu'il pense de son patron.
Je ne pense pas (rires). C'est plutôt parce que la lutte permanente pour le leadership en matière de prix fait partie de l'ADN de Denner. Les baisses de prix de Migros ne sont donc pas si décisives pour Denner, le discounter leader en Suisse. De plus, l'entreprise dispose de suffisamment de critères de différenciation: l'assortiment est très différent dans certains domaines, et Denner possède en outre des magasins plus petits. Je ne pense donc pas que Denner perdra des parts de marché à cause de Migros.
La présidente de Migros, Ursula Nold, a déclaré il y a quelques semaines que la demande en fruits et légumes avait augmenté de 7% depuis l'action sur les prix bas. Existe-t-il vraiment des chiffres fiables après si peu de temps?
Oui, nous enregistrons une croissance positive des quantités. Il est en outre intéressant de constater que notre croissance est plus forte dans les filiales situées à proximité de la frontière. Cela montre que notre offensive sur les prix a des effets et qu'elle est aussi un moyen de lutter contre le tourisme d'achat. Je tiens toutefois à souligner que nous ne nous concentrons pas uniquement sur les prix. Nous travaillons également sur la qualité de l'assortiment et voulons en outre nous développer fortement, avec 140 magasins plutôt petits.
Aujourd'hui, on a déjà l'impression qu'il y a une Migros ou un Migrolino à chaque coin de rue. Où voyez-vous un potentiel?
Dans les agglomérations qui ont connu une forte croissance démographique ces dernières années. Autour de la ville de Zurich, de Baden à Wetzikon, nous avons du retard à rattraper. En Suisse centrale, nous sommes sous-représentés dans le bassin de population du canton de Zoug. En Suisse romande, nous sommes généralement moins présents, notamment le long du lac Léman. En 2030, il y aura environ 200 000 ménages supplémentaires pour lesquels Migros sera le magasin d'alimentation le plus proche. Une équipe spécialisée travaille à la recherche d'emplacements appropriés.
Vous empruntez également de nouvelles voies en matière de développement durable. Dans un entretien avec SonntagsBlick, le nouveau chef de ce secteur a même renoncé à son rôle de pionnier vert. On a l'impression que ce sujet vous laisse plutôt indifférent.
Cette appréciation est complètement fausse. Le développement durable est une affaire qui me tient à cœur et qui reste une priorité au sein de Migros. Nous voulons laisser à nos enfants un monde où il fait bon vivre. C'est pourquoi nous sommes en train de développer une stratégie de développement durable pour l'ensemble du groupe, pour la toute première fois.
Mais vous ne voulez plus entendre parler du Bourgeon Bio prévu pour les produits provenant de l'étranger. Et les alternatives végétales à la viande sont placées moins en évidence dans les supermarchés.
Cela ne signifie pas que la durabilité nous est indifférente. Mais ce n'est pas notre rôle de commerçant d'éduquer nos clients. Nous voulons proposer ce qui est demandé en grandes quantités. Et certains des produits mentionnés ont toujours une existence de niche.
Tous ces changements sont aussi une critique de vos prédécesseurs. Mais de nombreux anciens décideurs ont retrouvé un emploi de haut niveau au sein de l'univers Migros. Comment expliquez-vous cela à un simple employé qui a perdu son emploi à cause des transformations?
Nous ne critiquons pas certaines personnes, mais essayons de justifier pourquoi nous changeons certaines choses.
Jörg Blunschi, qui a longtemps dirigé la coopérative régionale de Zurich, a perdu des millions avec ses aventures en Allemagne, avec des centres de fitness et la chaîne de supermarchés Tegut. Sa récompense: la présidence de Migros Aar.
Il n'est pas dans mes habitudes de parler dans les médias de membres d'organes ou de collaborateurs individuels. Par ailleurs, le président d'une coopérative régionale est élu par le comité coopératif. Les membres de ce dernier procèdent à de nombreuses vérifications préalables et élisent finalement la personne qu'ils jugent la plus appropriée. C'est ainsi que fonctionne la Suisse dans le domaine politique, et c'est aussi ainsi que fonctionne Migros. Par ailleurs, je considère Jörg Blunschi comme un expert expérimenté et très méritant du commerce de détail.
Vous n'avez pas dû prendre plaisir à quelques incursions à l'étranger et à des engagements étrangers à la branche. Comment comptez-vous empêcher de telles aventures à l'avenir? D'un point de vue purement juridique, les coopératives régionales pourront continuer à l'avenir à décider elles-mêmes comment et où elles investissent leur argent.
Il y a désormais un grand consensus au sein du groupe sur le fait que nous ne devons être actifs que dans des domaines dans lesquels nous disposons de suffisamment de compétences. A l'étranger, la prudence est particulièrement de mise. Au cours de ses presque 100 ans d'existence, Migros a tenté plusieurs fois de s'implanter à l'étranger, mais nous avons rarement réussi. Cela laisse penser que nous devrions nous concentrer sur nos affaires en Suisse.
Mais vous n'appliquez pas ce credo de manière conséquente: il y a quelques semaines, vous avez donné votre feu vert à Digitec Galaxus, la filiale de Migros, pour quatre années supplémentaires en Allemagne.
Si Digitec Galaxus se développe en Allemagne, les clients en Suisse en profiteront également. Cette expansion est donc un cas particulier. De plus, nous sommes convaincus que nous pouvons nous imposer face à de grands concurrents internationaux comme Amazon ou des fournisseurs chinois. Nous y parvenons d'ailleurs aussi en Suisse: Digitec Galaxus ne ressent guère la nouvelle concurrence de Temu. Nous proposons un assortiment mieux élaboré, des délais de livraison plus rapides et un très bon service clientèle. Ces qualités sont également recherchées en Allemagne.
Les pertes de démarrage en Allemagne s'élèvent à plus de 100 millions de francs. Quel montant supplémentaire avez-vous mis à la disposition de Digitec Galaxus?
Il s'agit d'une somme substantielle. Nous ne mentionnons pas le montant.
En Suisse, Digitec Galaxus a connu une croissance très rapide. Qu'en est-il de la rentabilité?
Bien que Digitec Galaxus n'existe que depuis 2001, nous avons réalisé l'année dernière en Suisse un chiffre d'affaires de 2,4 milliards de francs. Cette année, nous allons à nouveau connaître une croissance à deux chiffres. C'est impressionnant. Malgré cette croissance fulgurante, Digitec Galaxus est dans les chiffres noirs et est en passe d'atteindre une marge bénéficiaire conforme au marché de 1,5 à 2%.
Nous avons commencé l'entretien par votre anniversaire. Pour terminer, une question sur le grand anniversaire de Migros en 2025: à quoi pouvons-nous nous attendre pour le centenaire?
Ce sera un bouquet de mesures colorées. Laissez-vous surprendre début 2025!
Juste un petit aperçu: y aura-t-il un ancien chariot de vente Migros dans chaque magasin? Ou des rabais permanents? Nous avons déjà entendu dire qu'il y aurait une grande fête pour les collaborateurs.
Nous prévoyons les activités les plus diverses. Des promotions intéressantes pour la clientèle, mais aussi des événements surprenants. Ce sera très large. Mais je ne peux pas encore en dire plus.
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Cet article est paru pour la première fois sur Blick.ch sous le titre «Filialen haben am Ende 1000 gelbe Tiefpreis-Schilder».
Mario Irminger (59 ans) dirige la Fédération des coopératives Migros depuis mai 2023 en tant que président de la direction générale. Ses succès à la tête de Denner, filiale de Migros qu'il a dirigée pendant douze ans, ont été déterminants pour sa recommandation à ce poste. Auparavant, il a travaillé pendant 15 ans pour Heineken Switzerland. Il vit sur la rive gauche du lac de Zurich et a un fils adulte.