Cela fait deux ans que Caroline Schwarz et Charlotte Ducrot fonctionnent en binôme. Coresponsables de la communauté Scale Up Vaud chez Innovaud, lancée en 2016 par Patrick Barbey, son directeur, les deux jeunes femmes sont de fines connaisseuses du monde des jeunes pousses. La première a notamment travaillé pour Venturelab, un programme de soutien national aux start-up – avec lequel PME publie chaque année le Top 100 des start-up –, tandis que la seconde a fait ses armes dans un réseau d’entrepreneurs du WEF, dans un accélérateur américain, Endeavor, et a travaillé pour une start-up, JEDI (pour Joint European Disruptive Initiative). Les scale-up, ces start-up à forte croissance, ont-elles des besoins particuliers? Quels sont les défis communs des dirigeants de ces potentielles futures licornes? Interview.

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

Le canton de Vaud est bien positionné en matière de scale-up. Rappelez-nous quelques chiffres.

- Caroline Schwarz: En février de cette année, ce sont 45 entreprises qui ont reçu le label Scale-Up, toutes dans la technologie, autant hard tech que software, et dans des domaines aussi variés que la cleantech, la healthtech, la robotique et l’aérospatiale. Ces entreprises ont créé plus de 6700 emplois, dont 2800 dans le canton, et ont levé près de 500 millions de francs en 2023. Nous nous basons sur la définition communément admise, par l’OCDE notamment, qui spécifie qu’une scale-up est une société dont la progression, en termes de chiffre d’affaires ou d’emplois, dépasse 20% par an, pendant au moins trois années consécutives. A noter que ce label n’est pas statique, il varie d’une année à l’autre. Par exemple, Domo.health, ex-Domo.safety, était sorti du label et, depuis cette année, ils sont de nouveau parmi nous.

- Charlotte Ducrot: 2024 est une année difficile pour les start-up en général, que ce soit en Suisse ou dans le reste du monde. Mais selon le dernier rapport «Swiss Venture Capital Report», paru début octobre, les start-up suisses ont réussi à lever 460 millions de francs au troisième trimestre (+32% par rapport à la même période 2023) et le canton de Vaud est en première position en termes de levées de fonds. Il y a aussi de bonnes nouvelles parmi les scale-up vaudoises, comme NetGuardians, qui a annoncé en septembre un exit par un fonds suédois de private equity, ou Onward Medical, qui annoncé une augmentation de son capital de 40 millions d’euros en octobre.

Vous parlez de «communauté des scale-up». Concrètement, qu’est-que cela signifie?

- Charlotte Ducrot: Obtenir le label donne accès à la communauté Scale Up Vaud. Notre mission est avant tout la mise en réseau des différents directeurs de scale-up. Créer des espaces pour que ces dirigeants se rencontrent, nouent des relations, se fassent confiance et que, lorsqu’ils sont confrontés à un problème, ils sachent qui contacter. Durant le covid, les CEO des scale-up ont beaucoup échangé sur les problématiques qu’ils avaient en commun, notamment sur le télétravail. Et aujourd’hui, à l’heure où les grandes sociétés américaines veulent ramener leurs employés à 100% au bureau, c’est toujours un questionnement. Autre exemple: un fondateur de scale-up se demandait s’il devait opter pour une plus grande surface et un autre CEO, qui avait déjà passé par cette étape, lui a préconisé de voir grand afin d’éviter de multiplier les déménagements par la suite. Un conseil très simple qui lui aura fait gagner beaucoup de temps et d’argent.

Quelles sont les problématiques le plus souvent rencontrées par les dirigeants des scale-up vaudoises?

- Caroline Schwarz: Globalement, ils se posent beaucoup de questions liées à la gestion de la croissance, celle des employés et comment maintenir leur culture interne alors qu’ils ouvrent des succursales dans divers pays. Parce qu’ils engagent souvent des ingénieurs fraîchement sortis de l’université et si l’entreprise veut retenir ses employés, elle doit être à même de proposer un plan de développement de carrière au fur et à mesure que la start-up grandit.

- Charlotte Ducrot: Au fond, les scale-up, quelle que soit l’industrie dans laquelle elles opèrent, sont confrontées à des challenges très similaires. Soit le passage de la phase start-up à celle de la scale-up, où les défis qui se posent sont très différents. Comment passer de 15 ou 50 à 100 employés? Comment mettre en place un board? Nouer des partenariats et discuter avec les investisseurs? Développer son leadership? Faut-il ou non s’étendre aux Etats-Unis et, si oui, comment? C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous avons développé, en partenariat avec l’IMD, un programme d’accompagnement baptisé LeadiNNg to Scale-Up, dont la quatrième volée va démarrer bientôt.

Comment ce programme s’articule-t-il?

- Caroline Schwarz: Il existe pas mal de soutiens aux start-up en Suisse mais nous avons identifié que, parmi toute cette offre, il manquait un accompagnement dans cette phase particulière que sont les prémices d’une forte croissance pour une start-up qui a levé son premier million et qui emploie déjà quelques personnes. Avec le professeur Jim Pulcrano, expert en entrepreneuriat depuis vingt-cinq ans, nous avons développé un programme sur six mois pour les accompagner, au travers de cours donnés par un professeur de l’IMD et d’un entrepreneur expérimenté. Les entrepreneurs apprennent notamment à développer leur leadership et à gérer la croissance de leur entreprise, ils partagent leurs expériences avec une quinzaine d’autres startupers et se sentent ainsi moins seuls!

A l’ère du numérique, vous constatez donc que les fondateurs de jeunes pousses sont désireux de se rencontrer en présentiel, comme on dit désormais?

- Charlotte Ducrot: Tout à fait! En discutant avec eux, nous avons constaté aussi que les entrepreneurs des start-up privilégient les rencontres exclusives, sur des thématiques très ciblées. Et pour que la confiance s’installe, il faut créer des événements en petit comité dont les conversations restent confidentielles, ce que nous faisons au travers de différents clubs que nous avons mis en place.

Les exits, soit le rachat d’une start-up, sont-ils pour vous un indicateur positif?

- Charlotte Ducrot: Oui, c’est une validation pour la société et un très bon signal pour les investisseurs, qui ont parfois financé la start-up à un stade early stage. Les médias craignent souvent que cela implique des suppressions d’emplois en Suisse mais cela n’est pas forcément le cas, au contraire, même avec des investisseurs étrangers. Et c’est aussi bénéfique pour l’écosystème en général car les anciens fondateurs de start-up vont partager leur expérience, investir dans une start-up ou monter une autre société. A l’image du fameux exemple de la «Mafia PayPal», surnom donné à d’anciens de PayPal qui ont fondé par la suite Tesla, LinkedIn, YouTube et d’autres grandes entreprises.

Pour moi, l’essentiel, c’est de savoir si l’entrepreneur est content de son exit, qui permettra à sa société de croître et, au vu des derniers cas, je pense que oui. Si on reprend l‘exemple de NetGuardians, les deux fondateurs continuent à être impliqués dans la suite de leur société. Il y a quelque chose de très émotionnel pour ces entrepreneurs qui ont développé une technologie ou un service novateurs pendant une dizaine d’années. Et on peut aussi comprendre que dans certains cas les fondateurs ont envie de partir: ils ont peut-être besoin d’une pause parce que gérer une scale-up, c’est extrêmement intense. Ils ont besoin de souffler un peu pour, pourquoi pas, recommencer avec une nouvelle aventure entrepreneuriale.

6700 emplois

Les 45 scale-up vaudoises ont créé plus de 6700 emplois dans le monde, dont 2800 dans le canton, et ont levé plus de 500 millions de francs en 2023. Au troisième trimestre 2024, le canton de Vaud est en première position en termes de levées de fonds.