Le concept est connu à l’étranger, mais relativement neuf en Suisse. Depuis peu, le canton du Valais propose des incitations financières attrayantes pour encourager les sociétés de production à y réaliser des tournages. En trois ans, la structure Valais Film Commission a versé plus de 600 000 francs en remboursements de frais, avec des retombées économiques évaluées à plus de 4 millions de francs pour l’économie valaisanne.
Ces incitations prennent la forme de restitutions sur les dépenses de production réalisées dans le canton, qu’il s’agisse d’hébergement, de restauration ou de location de matériel. Pour chaque projet, entre 15 et 35% des charges sont remboursées, avec un plafond fixé à 100 000 francs.
«Nous facilitons les tournages en aidant à trouver des décors, des compétences ou les autorisations nécessaires, explique Tristan Albrecht, responsable de Valais Film Commission. Tout dépend du type de film ou de série.» L’objectif est d’attirer en priorité des productions étrangères ou celles qui mettent en valeur nommément le site ou la ville du tournage. Car la concurrence internationale est rude. Le Tyrol, par exemple, qui offre également des paysages montagneux, propose des aides et des incitations financières importantes depuis une trentaine d’années. L’Islande se profile également dans ce domaine depuis un certain temps (lire encadré).
Impact sur l'économie locale
Parmi la dizaine de projets valaisans accompagnés à ce jour figure Winter Palace, première série suisse coproduite avec Netflix. Disposant d’un budget de 15 millions de francs, elle est diffusée depuis fin décembre sur la RTS. Cinq autres tournages sont d’ores et déjà prévus l’année prochaine. A noter que les retombées calculées concernent uniquement les dépenses directes liées aux tournages. Elles ne tiennent pas compte des répercussions à plus long terme, plus difficiles à déterminer, comme le «ciné--tourisme», soit des personnes qui décident de visiter un lieu après avoir vu un film ou une série.
Quoi qu’il en soit, l’impact sur l’économie locale est indéniable. De nombreux indépendants – comme des guides de montagne – en profitent, tout comme des hôteliers ou des compagnies d’hélicoptères. Eagle Valais, à Sion, propose par exemple des offres spécifiques pour les tournages. «Un film demande beaucoup de compétences différentes, résume Tristan Albrecht. A priori, certaines n’ont rien à voir avec le cinéma.»
Au printemps 2023, l’ensemble de la station d’Anzère a pu bénéficier du tournage de la série Espèce menacée, qui a choisi la station valaisanne comme décor et sera diffusée prochainement sur la RTS. L’agence immobilière Novagence, qui emploie 13 personnes et gère 200 logements, a pu louer une quarantaine d’appartements et de chalets durant quatre mois pour héberger l’équipe, totalisant un chiffre d’affaires d’environ 110 000 francs facturés à la production, en l’occurrence Rita Productions, à Genève. «Cela tombait à merveille, en pleine période creuse pour notre station, qui est très axée sur l’hiver», se réjouit le directeur de Novagence, Grégoire Dussex.
De son côté, la Distillerie Morand, basée à Martigny, a établi un partenariat avec la production du film d’animation Sauvages, qui a été tourné l’année dernière dans une ancienne halle industrielle aménagée en studio dans la ville valaisanne. «Nous avons placé des personnages du film sur des étiquettes de bouteilles de sirop, indique le directeur, Fabrice Haenni. En termes d’image, c’est intéressant de nous associer à un projet tourné dans la région. En plus, cela touche notre public cible, à savoir les enfants et les familles.» Cette année, la marque a également pu disposer d’une visibilité au Festival de Cannes et lors des avant-premières du film en Suisse.
Etablie à Evionnaz, la société Airnace est active dans la location de machines de chantier, notamment des nacelles et des grues. Elle est régulièrement contactée par des productions ayant besoin de ce type de matériel afin de surélever des caméramans ou des éclairages sur plusieurs mètres. Toutefois, la majeure partie de sa clientèle demeure active dans le secteur de la construction. Sur un parc de 1000 machines, l’entreprise en loue en moyenne une par année durant quelques jours pour des tournages. Autre exemple: le long métrage Enjoy Your Stay est actuellement tourné entre Verbier et Martigny. Sur un budget total de 3,2 millions de francs, environ 700 000 francs sont dépensés en Valais. Ils se répartissent auprès d’entreprises fournissant des prestations ou du matériel destiné aux décors, aux costumes, au transport ou à la logistique. Cela concerne des petites boutiques de seconde main ou de bricolage, des agences de location de véhicules, des particuliers ou des enseignes de vêtements.
Logement: 20% du budget opérationnel
La dépense principale, représentant environ 20% du budget opérationnel, est destinée au logement. Pour un film comme ce dernier, il faut accueillir une cinquantaine de personnes durant douze semaines (pour une série, on peut compter le double). Et bien sûr, ces résidents génèrent des dépenses indirectes, notamment en termes de repas. «C’est formidable qu’il existe des commissions cantonales, mais ce qui manque en Suisse, c’est une vraie structure nationale, comme en Autriche ou en Italie, qui permette d’attirer davantage de tournages internationaux», estime Nicolas Zen-Ruffinen, directeur de production. Soulignons qu’en Suisse, le Tessin et Zurich proposent aussi un soutien pour les projets cinématographiques et télévisuels.
Selon une étude d’EY datant de 2019, des dépenses cumulées (directes et indirectes) d’environ 122 millions de francs ont été effectuées par le secteur de l’industrie audiovisuelle entre 2013 et 2017 au profit de l’économie romande. Ce chiffre comprend majoritairement des salaires et charges sociales, mais également des dépenses auprès de prestataires de services locaux, ainsi que des frais d’hôtellerie et de transport.
Comme dans tous les pays européens, l’économie du monde audiovisuel en Suisse romande repose presque entièrement sur des financements institutionnels. Sur la période prise en compte, 334 productions audiovisuelles ont été soutenues pour un montant de 269 millions de francs. Environ deux tiers de cette somme (174 millions) provenaient de Suisse, dont quelque 50 millions de la SSR, 40 millions de Cinéforom (Fondation romande pour le cinéma) et 33 millions de l’Office fédéral de la culture. Le reste se répartissait entre divers apports propres, participations, fonds et financements privés.
Le rapport souligne également que le secteur de l’audiovisuel romand est composé majoritairement de petites entreprises: 80% d’entre elles réalisent un chiffre d’affaires annuel inférieur à 1 million de francs. La moitié des revenus de la branche, qui s’élevait entre 2013 et 2017 à 195 millions de francs, a été générée par dix sociétés réalisant un chiffre d’affaires annuel compris entre 1 et 5 millions de francs.
Les exemples de régions ayant bénéficié de retombées touristiques importantes grâce à la diffusion de films ou de séries à succès sont nombreux: l’Islande (Interstellar, Prometheus), la Nouvelle-Zélande (Le seigneur des anneaux), la Croatie (Game of Thrones) ou même la ville d’Edimbourg (Trainspotting). «Beaucoup de ces destinations, comme l’Islande, ont des systèmes bien plus développés, avec des remboursements plus élevés que ce que nous proposons en Valais», précise Tristan Albrecht. En effet, les producteurs restent des businessmans: ils cherchent des décors adéquats, mais aussi les conditions financières les plus avantageuses possibles.