Après les excès de fin d’année, difficile d’échapper aux injonctions de sobriété de janvier, tant le désormais traditionnel mois sans alcool s’impose dans le calendrier. Un défi de taille pour les candidates et candidats, cantonnés jusque-là à la carte des thés et à celle des sodas industriels ultra-sucrés pour varier un tant soit peu avec le verre d’eau. Ce temps-là est-il révolu? Bientôt, si l’on en croit l’arrivée timide en Suisse des ersatz désalcoolisés de vins, bières et spiritueux, ainsi que des boissons gastronomiques 0%.

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Seule certitude, un changement sociétal s’opère face à la consommation d’alcool. Reste à savoir s’il va déboucher sur un véritable marché. Si 85% de la population suisse boit de l’alcool, elle en consomme toujours moins. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), le nombre de litres de vin par personne est passé de 49 à 32 litres en quarante ans. Même constat pour la bière et les spiritueux. A l’inverse, le No-Low s’émancipe depuis une petite décennie pour devenir presque la norme dans certains pays du nord de l’Europe.

Le No-Low, c’est le terme désignant à la fois les boissons sans alcool (No) et les boissons désalcoolisées (vins, bières), mais comportant tout de même moins de 0,5% par litre de résidus d’alcool (Low). En 2022, le marché mondial des No-Low a franchi la barre des 11 milliards de dollars de chiffre d’affaires contre 8 milliards quatre ans plus tôt, selon l’institut britannique IWSR, qui prévoit une augmentation de 7% d’ici à 2026. Face à ce constat, les acteurs suisses tentent une percée tardive sur ce marché.

La Suisse à la conquête du No-Low

Notre périple au pays du No-Low démarre au cœur de Lausanne. C’est dans le quartier branché du Flon qu’Amélie Dumont et Thomas Ferran ont finalement posé les valises de La Sobrerie en novembre dernier après plusieurs mois d’itinérance dans des pop-up. La Sobrerie, c’est la première adresse – et la seule pour le moment – exclusivement consacrée aux boissons gastronomiques sans alcool. Ici, on trouve des marques avant-gardistes comme Osan, une production belge spécialisée dans les boissons végétales et florales grâce à un processus technique qui permet d’extraire les arômes et la couleur sans ajout d’aucun produit, ni intrant, ni arôme.

Des boissons No, donc, mais qui se consomment avec le même plaisir et le même partage qu’un bon verre. «Nous ne sommes pas dans cette recherche de mimétisme aux boissons alcoolisées, souligne Amélie Dumont, mais dans la proposition de boissons gastronomiques délicieuses pour bons vivants et sans alcool. Cela peut être perturbant à la première dégustation, car les consommateurs n’ont pas de marqueurs de référence.»

La Sobrerie est née d’une frustration. Celle d’Amélie Dumont qui, il y a sept ans, lâche son poste dans le marketing numérique en France pour poser ses valises en Suisse. A la recherche d’alternatives au verre d’eau et aux sodas industriels sucrés, elle se heurte à un vide abyssal: «L’offre qualitative du sans alcool était inexistante. Mais à l’issue du covid, quelques producteurs ont émergé.» Aujourd’hui, La Sobrerie compte une centaine de références – dont dix vins désalcoolisés – , avec l’objectif de séduire les restaurateurs.

Le pari du vin désalcoolisé

Si la demande des consommateurs semble être au rendez-vous, l’offre manque encore. Un déséquilibre qu’une poignée de producteurs de vin compte bien combler. Cette «bataille» sur celui qui commercialisera le premier vin désalcoolisé se joue dans le canton de Vaud, entre Perroy et Lutry. C’est à la suite de problèmes de santé en 2023 que Marc Vicari, ex-directeur marketing de la Cave de La Côte, est passé à l’eau durant quatre mois. Une contrainte révélatrice.

A son retour de convalescence, Marc Vicari se lance alors le défi de désalcooliser les vins suisses. L’idée est bonne, mais le savoir-faire manque: «Contrairement à nos voisins européens, nous ne sommes pas outillés en Suisse pour faire de la distillation à froid ou par osmose inversée.» Ces deux techniques encore expérimentales servent à désalcooliser le vin, avec leurs avantages et leurs inconvénients. Parmi eux, l’altération des arômes et le coût d’achat de ces distillatoires particulièrement énergivores. Pas de quoi effrayer Marc Vicari. Il approche la Haute Ecole de viticulture et d’œnologie de Changins et démarche des producteurs allemands tout équipés pour la distillation à froid.

Le vin désalcoolisé concerne tout le monde. Le marché va s’établir. Je suis certain que ce n’est pas un effet de mode.

Marc Vicari, fondateur de La Vigneronne

Cette collaboration accouchera au 1er mars prochain des premières bouteilles de La Vigneronne. Deux cuvées, un rosé et mousseux rosé désalcoolisés. Dans la foulée, Marc Vicari monte le projet de créer, d’ici au début de 2026, le premier centre de désalcoolisation de vin en Suisse, soutenu par de multiples collaborations, notamment avec la Haute Ecole de Changins: «C’est une alternative à la baisse des ventes de vin, mais ce n’est pas la solution. Le vin désalcoolisé concerne tout le monde. Le marché va s’établir. Je suis certain que l’on n’est pas sur un effet de mode.»

Un marché encore incertain

Mais c’est à Lutry que Maxime Dizerens est l’heureux pionnier du vin désalcoolisé en Suisse. Ce sportif de 36 ans, propriétaire-gérant de J. & M. Dizerens, commercialise ses premières bouteilles depuis l’automne dernier: «La consommation absolue de vin ne fait que diminuer alors que la population grimpe. La conclusion est vite trouvée: si on produit la même chose chaque année, on va au-devant de grands problèmes.» Lors de ses nombreux voyages à l’étranger, Maxime Dizerens se familiarise avec le vin désalcoolisé.

Nous sommes en 2023. Pour désalcooliser son vin, Maxime Dizerens investit plusieurs dizaines de milliers de francs et démarre les expérimentations début 2024. Les premiers essais ne sont pas concluants: «On s’est vite rendu compte des possibilités, mais gustativement, on était loin du compte. La désalcoolisation engendre de toute manière une perte d’arômes.» Grâce à la technique de distillation sous vide (15-16°C), Maxime Dizerens s’approche du but l’été dernier et sort ses premières cuvées désalcoolisées: blanc, rosé et rouge. La production se fait à petite dose, car tous les problèmes ne sont pas levés. A commencer par la date de conservation, limitée à douze-quinze mois pour du vin désalcoolisé. Mais aussi la demande qui n’est pas encore établie: «Malgré son développement, la bière sans alcool ne parvient pas à franchir les 10% de parts de marché. Alors pour le vin désalcoolisé… Si on atteint un jour les 3%, on pourra s’estimer heureux. Je suis sceptique, mais j’espère avoir tort.»

Aux portes de Genève, Petit Béret mise fort sur le marché suisse. Ce premier château dédié au sans alcool a scellé un partenariat avec l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL). L’enjeu? Développer une offre premium de sans alcool et former la branche pour décliner ses propositions de vins sans fermentation dans les restaurants. Donc à 0,0%. «On utilise la vinification traditionnelle tout en s’assurant que, tout au long du processus, il n’y ait aucune fermentation alcoolique», explique Didier Martinez, ambassadeur de Petit Béret chargé du marché suisse. Déjà présent dans 50 marchés avec une gamme blanc, rosé, rouge et pétillant, Petit Béret ne cache pas son ambition suisse et étrangère; notamment dans les pays musulmans. Reste à savoir si la demande va suivre.