«Près de 60% des étudiants universitaires jurassiens ne reviennent pas dans leur canton d’origine une fois leur diplôme obtenu», explique Patrick Rérat, professeur de géographie à l’Université de Lausanne et spécialiste des parcours migratoires au sortir des hautes écoles. Ce phénomène contribue à modifier la démographie du Jura, où la population active décroît, entraînant un vieillissement général et une pénurie de main-d’œuvre. Le rapport économique du canton du Jura, publié en juin 2024, montre que «la proportion de personnes âgées de plus de 64 ans est supérieure à la moyenne suisse».
Cela peut sembler paradoxal dans un canton sans université, mais les Jurassiens sont particulièrement diplômés: 36% ont au moins un bachelor d’une haute école (HES, université ou HEP), contre 32% pour la moyenne nationale, ce qui place le canton en deuxième position après Zoug. Cependant, le taux de diplômés dans le domaine tertiaire n’est que de 26%, l’un des plus bas du pays. Le Jura ne compte qu’un campus de la HES-SO à Delémont, et les jeunes doivent souvent quitter le canton pour faire des études supérieures. Or ils ne reviennent généralement pas.
«Ils passent plusieurs années loin du Jura. Ils nouent des relations, s’intègrent à la vie de leur lieu d’études et sont moins enclins à revenir», poursuit le professeur Patrick Rérat. En 2011, il a mené une vaste étude auprès de 924 diplômés jurassiens pour déterminer et comprendre leur choix de résidence après les études. Et ses statistiques le confirment: seulement 40% d’entre eux retournent s’installer dans le Jura après l’obtention de leur diplôme. Les Jurassiens partent vers Neuchâtel, Lausanne, Genève, voire Fribourg. Cette émigration n’est pas propre au Jura cependant – elle concerne, à des degrés divers, tous les cantons qui n’ont pas de grands centres urbains.
Un canton d’industrie
Autre paradoxe: l’économie du canton se porte bien. Entre 2014 et 2022, le PIB du plus jeune canton suisse a affiché une croissance de 18%, un taux légèrement supérieur à la moyenne nationale (15,7%). Sur la même période, le nombre d’emplois a connu une progression de 7,7%. Cette santé économique est notamment due au nombre de travailleurs frontaliers, qui a augmenté de près de 70% depuis 2011, passant d’environ 7000 personnes à plus de 11 000 en 2023.
L’économie du Jura offre en effet peu de perspectives professionnelles aux diplômés des hautes écoles. Son tissu économique est composé à 40% de petites entreprises industrielles: sous-traitants, entreprises horlogères, fabricants de machines-outils, etc. «Ces domaines n’engagent pas des ingénieurs EPF, mais constituent plutôt des débouchés pour des secteurs issus de l’apprentissage ou des HES», précise Patrick Rérat.
«Ce ne sont pas les universitaires en col blanc qui créent la richesse, mais l’industrie», renchérit Xavier Comtesse, président et fondateur du think tank Manufacture Thinking. Pour lui, le fait que près de 60% des étudiants universitaires qui quittent le Jura ne reviennent pas n’est pas un problème: «Le canton n’a pas besoin de plus de professions libérales, mais de favoriser son secteur industriel.»
Choisir de revenir
Pour le professeur Patrick Rérat, faire revenir les étudiants nécessite de proposer davantage de postes dans les services supérieurs. Le phénomène ne concerne néanmoins pas toutes les filières: le taux de retour dans le domaine de l’enseignement est par exemple de près de 70%.
Les raisons qui expliquent un retour ou un départ ne se limitent cependant pas seulement à l’emploi. «Il existe une volonté, chez certains jeunes, de revenir vivre auprès de leur famille et de leurs amis, là où ils ont grandi. Lors de nos entretiens, l’environnement rural et familial, loin de l’agitation des grandes villes, était souvent évoqué comme un facteur déterminant.»