Alors qu’un chien vivait encore dans le jardin de ses maîtres il n’y a pas si longtemps, il n’est plus rare qu’il dorme aujourd’hui dans le lit de ceux que l’on appelle désormais de plus en plus des pet parents.» Oleksandr Pidlubnyy, gestionnaire de portefeuille du fonds Allianz Pet and Animal Wellbeing, n’hésite pas à parler d’une «humanisation progressive» des animaux domestiques. «La pandémie et le télétravail ont accentué cette évolution vers un lien plus intime. Dans l’une de nos récentes études, 90% des propriétaires révélaient qu’ils considéraient leur animal comme un membre de la famille à part entière.»
En Suisse, le nombre d’animaux de compagnie connaît une forte et constante progression depuis une dizaine d’années. D’après la dernière statistique de la Société pour l’alimentation des animaux familiers (VHN), les adoptions de chats ont progressé de près de 25% comparativement à 2012, tandis que celles des chiens ont connu une hausse de 7,5%. Aujourd’hui, près de la moitié des ménages possèdent un animal domestique. Et leurs propriétaires n’hésitent pas à mettre le prix pour en prendre soin: en moyenne 1200 francs pour un chien et 900 francs pour un chat annuellement, selon un sondage Comparis. Des chiffres qui placent la Suisse au quatrième rang des pays les plus dépensiers en la matière dans le monde, derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France.
Exigences haut de gamme
«Outre une hausse de la pénétration du marché, nous assistons depuis quelques années à une montée en gamme du secteur, avec des propriétaires prêts à dépenser toujours plus pour des produits et des services premium destinés à leurs animaux de compagnie», poursuit Oleksandr Pidlubnyy. C’est d’ailleurs sur ce segment haut de gamme que des PME suisses misent pour se démarquer des multinationales comme Nestlé ou Mars, qui dominent le marché.
Quatrième rang
La Suisse se situe au quatrième rang des pays les plus dépensiers du monde en matière d’animaux domestiques, derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France.
Repas livrés à domicile
Afin de répondre à une demande croissante de sa clientèle, Crokeo a lancé une nouvelle gamme de repas frais, sans conservateurs, en 2024. La plateforme vaudoise distribue aujourd’hui près de 2500 repas par mois à domicile.
38 milliards
L’année dernière, le marché américain de la santé animale pesait 38 milliards de dollars. En 2023, les produits alimentaires destinés aux animaux de compagnie ont représenté 20% du chiffre d’affaires de Nestlé, soit 18,9 milliards de francs, contre 12% en 2010.
C’est le cas de Crokeo. Fondée en 2019, la plateforme en ligne vaudoise propose des croquettes fabriquées entièrement en Suisse à partir d’ingrédients locaux et 100% naturels. Afin de répondre à une demande croissante de sa clientèle, elle a aussi lancé une nouvelle gamme de repas frais, sans conservateurs, en 2024. «Le bien-être des animaux est devenu une priorité pour de nombreux pet parents. Les tendances que l’on observe en matière d’alimentation locale ou de santé préventive se calquent en outre sur des thèmes importants pour les êtres humains», explique Christian Seeholzer, CEO de la société depuis août 2024.
Elaborées avec un vétérinaire au sein de la société, les recettes fraîches sont livrées chaque semaine chez Crokeo par une boucherie partenaire et ont obtenu les notes A- et B+ au Beelong Eco-Score en 2025. Avec plus de 2000 animaux pour 1200 propriétaires, la plateforme distribue aujourd’hui près de 2500 repas à domicile par mois grâce à son système d’abonnement. «Nous souhaitons renforcer notre présence en Suisse alémanique, ainsi que dans des magasins physiques spécialisés.» Depuis février 2025, les produits de la marque sont également disponibles à la vente dans certains cabinets vétérinaires. «Notre objectif consiste aussi à élargir l’offre de notre abonnement, en proposant par exemple des compléments alimentaires et en développant des partenariats avec des assurances.» Basée à Lausanne, Crokeo emploie aujourd’hui sept personnes et a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 2 millions de francs en 2024 (en croissance d’environ 10% par rapport à l’année précédente).
IA au service de la santé
Au-delà de l’alimentation, de nombreuses start-up développent des outils technologiques comme des gamelles intelligentes, des litières autonettoyantes, des traceurs GPS ou des jouets interactifs. Selon une étude de l’observatoire français Cetelem, plus de la moitié des propriétaires utilisent des applications qui permettent un suivi de l’état de santé de leur animal. «Le marché américain de la santé animale pesait 38 milliards de dollars en 2024, précise l’analyste Oleksandr Pidlubnyy. De plus en plus de cabinets vétérinaires investissent par exemple dans des équipements capables de détecter des signes avant-coureurs de maladies grâce à l’intelligence artificielle. Les données récoltées par ces outils permettent par ailleurs de renforcer la recherche dans le domaine et de développer de nouveaux médicaments et vaccins.»
En 2020, Pierre Starkov et Daniel Pereira ont cofondé MVET, à Genève, avec une ambition claire: transformer le secteur vétérinaire en combinant innovation numérique et services de proximité. Aujourd’hui, l’entreprise emploie 15 collaborateurs et a enregistré une croissance de 30% de son chiffre d’affaires en 2024. Grâce à son application mobile et à son chatbot sur WhatsApp, MVET permet aux propriétaires de plus de 10 000 animaux d’obtenir un premier diagnostic rapide et personnalisé. «Notre technologie simplifie l’accès aux soins vétérinaires: les cas bénins sont immédiatement pris en charge, tandis que les urgences sont orientées vers une consultation physique», résume Pierre Starkov.
En plus des solutions de télémédecine, MVET a également développé un modèle d’affaires qui combine cabinets vétérinaires, pet shop et salon de toilettage en un seul lieu. «Nous avons conçu un écosystème complet où nos clients peuvent consulter un vétérinaire, acheter de la nourriture et assurer le bien-être de leur animal en un seul et même endroit. Ce modèle nous permet d’optimiser l’expérience client et d’augmenter la rentabilité de chaque point de service.» En plus de ses deux cabinets situés à Plainpalais et aux Pâquis, la société en ouvrira bientôt un troisième aux Eaux-Vives. Elle prépare également une expansion nationale à travers un partenariat stratégique avec la chaîne de magasins Petfriends. «Nous sommes en discussion pour intégrer nos services vétérinaires aux 16 filiales de Petfriends, avec pour objectif d’ouvrir 30 nouveaux cabinets en Suisse d’ici à cinq ans.»
Explosion des prix
Le marché reste cependant dominé par des géants. Les deux leaders mondiaux, Mars et Nestlé, se partagent 80% du marché de l’alimentation animale (avec des parts respectives de 21% et de 59%). En 2023, les produits alimentaires destinés aux animaux de compagnie ont représenté 20% du chiffre d’affaires de Nestlé, soit 18,9 milliards de francs, contre 12% en 2010. «Malgré l’inflation, les entreprises ont pu augmenter significativement les prix de la nourriture ces trois dernières années. Le secteur bénéficie de la résilience de ce marché, détaille Oleksandr Pidlubnyy. Les propriétaires d’animaux préfèrent en effet d’abord renoncer à une sortie au cinéma ou à un voyage pour faire des économies plutôt que de revoir le budget prévu pour leur fidèle compagnon.»
Une résistance qui a toutefois lourdement pénalisé les propriétaires en 2023. D’après une étude menée par la Fédération romande des consommateurs, certains produits alimentaires avaient ainsi enregistré une augmentation de prix de 60% et même de 80% sur les sites Zooplus et Maxi Zoo. «Même si la croissance va se poursuivre ces prochaines années, elle tend néanmoins à se normaliser depuis 2022, après le boom des adoptions d’animaux domestiques lié au covid», estime l’analyste.