«Beaucoup de gens imaginent encore le boucher avec un tablier sanguinolent qui transporte des carcasses à longueur de journée. Alors que ce n’est plus du tout ça.» Paul Von der Mühll, responsable du département romand du conseil de l’Union professionnelle suisse de la viande (UPSV), veut à tout prix redorer l’image de sa profession, car les boucheries peinent à recruter leur relève. Selon les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS), le nombre d’apprentis bouchers-charcutiers s’est continuellement réduit ces dernières années, passant de 310 en 2005 à 171 en 2023.
Pour lui, cette baisse s’explique en partie par les exigences du métier: «Les horaires sont difficiles. On travaille tout au long de la semaine, du lundi au samedi, souvent tôt le matin. Et cela reste un métier physique.» Mais le manque de nouveaux apprentis trouve aussi racine dans une dynamique plus large, celle d’un changement de rapport à la viande. Le végétarisme prend de l’ampleur dans la population. Selon le plus récent sondage de l’association Swissveg, 5% de la population se dit végétarienne, et particulièrement dans la tranche des 14-34 ans, où ce taux atteint 8%.
Il faut un coupable et cela tombe sur nous. Cela détourne aussi les gens du métier malheureusement.
Paul Von der Mühll, responsable du département romand du conseil de l’UPSV
Pour l’UPSV, le secteur de la viande est diabolisé. «Ce n’est plus comme il y a vingt ans. Il y a beaucoup de reportages qui paraissent pour expliquer que la viande est mauvaise pour la santé, qu’elle pollue. Il faut un coupable et cela tombe sur nous. Malheureusement, cela détourne aussi les gens du métier», déplore Paul Von der Mühll. Les associations de bouchers-charcutiers redoublent d’efforts pour valoriser leur profession, misant sur la visibilité: campagnes sur les réseaux sociaux, participation aux salons de l’apprentissage et interventions dans les écoles. Dans le canton de Vaud, par exemple, le Club des petits épicuriens propose des ateliers pratiques où les jeunes de 10 à 15 ans peuvent s’initier à la manipulation et à la transformation de la viande.
Transition économique
Plus généralement, les boucheries traversent une période de transition économique. Selon Daniel Schnider, président de l’UPSV, dans un entretien accordé à CH Media, le nombre de boucheries est passé, en l’espace de quarante ans, de 2400 établissements à 900 aujourd’hui. Une baisse due, en partie, aux difficultés que rencontrent les commerçants à trouver une relève pour leur entreprise. Elle témoigne d’une restructuration du secteur: les boucheries fusionnent ou se regroupent, mais maintiennent l’emploi. Ainsi, le nombre de bouchers en Suisse reste stable, autour de 24 000.
Cette évolution répond à un changement dans les attentes de la clientèle. En Suisse, la consommation de viande se fait plus rare: depuis trente ans, la part de la population qui en consomme quotidiennement est passée de 25 à 12%, selon l’OFS. Mais le marché peut encore s’appuyer sur un socle de consommateurs réguliers. Près de 40% des Suisses continuent à manger de la viande au moins quatre fois par semaine.
Brochettes et cordons-bleus
«Autrefois, les boucheries proposaient principalement des produits destinés à des plats mijotés, pour des ragoûts ou des pot-au-feu. Aujourd’hui, ces pièces se vendent beaucoup moins. Les clients cherchent plutôt des articles rapides à cuisiner», poursuit Paul Von der Mühll. Dans les rayons, l’épaule, le jarret et le cou cèdent progressivement la place aux viandes marinées, brochettes, steaks et cordons-bleus.
Pour les boucheries artisanales, l’enjeu consiste à se différencier des grands groupes en misant sur les circuits courts et les produits locaux. Elles valorisent de plus en plus une viande issue de bétail élevé par des producteurs régionaux. Ces boucheries évoluent souvent vers des épiceries spécialisées et élargissent leur offre au-delà de la viande. Elles offrent une large gamme de produits régionaux: vins, fromages, légumes et autres produits du terroir.
Des grillades à toute heure
Par exemple, à Orbe, la boucherie Perusset propose, en plus des prestations classiques, un service traiteur et une petite épicerie en libre-service, attenante à la boucherie. «Comme disait mon père, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Et ça nous permet de répondre à la demande des clients qui aiment découvrir de nouveaux produits», explique Frédéric Perusset, qui tient l’établissement avec son frère Grégory, cuisinier de formation, chargé du service traiteur.
«En tant que boucherie artisanale, nous sommes un marché de niche. Les clients viennent pour la qualité de nos produits, et les ventes augmentent. Les gens consomment moins de viande, mais mieux.» Un succès aussi dû aux innovations de la boucherie qui, pour répondre à une demande croissante de flexibilité des horaires, a su adapter son offre: la petite épicerie reste ouverte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, grâce à un système de paiement par code QR, en l’absence d’employés. Elle permet aux clients d’acheter une sélection de produits en dehors des heures d’ouverture. «C’est particulièrement prisé en été, quand des grillades s’organisent à l’improviste. Les gens sont bien contents de pouvoir acheter de la viande à toute heure, même le dimanche!»
Ainsi, dans ce contexte d’évolution de la profession, Paul Von der Mühll veut rester optimiste: «S’il y a des fermetures, il y a aussi quelques boucheries qui ouvrent, souvent tenues par des jeunes. Et l’on voit apparaître des projets innovants pour réinventer le secteur.» Un optimisme qui s’observe dans les dernières statistiques de l’UPSV: on observe une augmentation de 20% du nombre d’apprentis en 2024 par rapport à l’année précédente. «Pourvu que ça dure.»