Vous avez plus de chances de croiser la codirectrice générale de la BAS dans le train qu’au Salon de l’auto. Née dans le Jura bernois, elle vit à Romont, travaille au siège de la BAS à Olten et parfois aussi dans la succursale de Lausanne. L’économiste de 44 ans est la plus jeune de la direction. Malgré sa fonction prestigieuse, elle a gardé une spontanéité et une fibre solidaire qui font du bien.

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

Lorsque vous étiez enfant à Moutier, rêviez-vous de devenir banquière?

Absolument pas, même si je gagnais au Monopoly. Ma mère était infirmière et j’aimais bien m’occuper des autres. J’avais ce côté leader, déjà chez les scouts, j’organisais des virées dans des cabanes en forêt. J’aimais ça. Au gymnase économique à Bienne, j’avais beaucoup de facilité en comptabilité. Assez vite pendant mes études, j’ai réalisé que le capitalisme à outrance ne pouvait pas fonctionner. Il fallait que je comprenne et c’est pour ça que j’ai choisi HEC Lausanne.

Pourtant, vous avez poursuivi votre carrière à la BCV…

J’ai travaillé pendant six ans à la BCV, dans le secteur de l’analyse des risques crédits pour les multinationales. Comme je parle suisse-allemand par ma mère, je m’occupais aussi des clients alémaniques. Je me souviens d’un dossier que j’ai dû présenter sur une société. Selon moi, elle ne devait pas être financée pour des raisons de durabilité. Mais on m’a dit que la banque devait faire de l’argent et que mes considérations privées ne devaient pas entrer en ligne de compte. C’était il y a longtemps. Clairement, ce travail n’était pas en cohérence avec mes valeurs.

A la Banque alternative, vous avez trouvé chaussure à votre pied, n’est-ce pas?

J’ai postulé deux fois spontanément à la BAS, mais il n’y avait pas de poste ouvert. La banque m’a finalement engagée en 2011 comme conseillère financement à Lausanne. Je suis ensuite devenue responsable pour la Suisse romande. Aujourd’hui, la BAS compte 170 collaborateurs sur cinq sites en Suisse avec Genève et Lausanne. En 2020, j’ai rejoint la direction générale à Olten. Là aussi, ce n’est pas arrivé du premier coup. Nous étions trois en lice et je n’ai tout d’abord pas été choisie. Comme il s’agissait d’une codirection et que la mayonnaise n’a pas pris avec la candidate retenue, j’ai pu retenter ma chance. Depuis mon arrivée à la direction, je supervise tout le secteur du risque crédit, tant pour les privés que pour les entreprises, start-up et organisations. Je m’occupe également de la gouvernance, avec notamment la mise en place de la sociocratie en interne. Je fais d’ailleurs un master en développement humain dans les organisations à la HEIG-VD.

En Suisse romande, on a longtemps considéré la Banque alternative comme le repaire des Suisses alémaniques en Birkenstock. Quelle image en aviez-vous?

Les ​Birkenstock sont des pantoufles très confortables (rires). Nous avons 45 000 clients et un tiers viennent de Suisse romande, ce qui est une répartition proportionnelle au pays. La Romandie gagne en ampleur, notamment l’Arc lémanique, qui est très dynamique. A titre personnel, la banque avait ma confiance car lorsque ma maison a brûlé pendant sa construction, la BAS s’est montrée extrêmement flexible. Elle nous a accordé un crédit hypothécaire pour reconstruire rapidement sans attendre le travail des assurances. Cela n’aurait pas été le cas dans d’autres banques.

A propos de maison, votre modèle de vie est particulier pour une banquière, non?

Très tôt avec mon mari, nous avons fait des choix écologiques. A chaque décision, nous réfléchissons à notre empreinte et à ce qui est viable pour une famille avec deux enfants. Lorsque notre voiture est tombée en panne, nous avons décidé de ne pas en racheter une et de voyager en train. Pour la maison, nous vivons dans une maison Minergie P Eco, sans chauffage central, et nous mangeons local. J’ai aussi présidé pendant huit ans la Fédération romande des consommateurs à Fribourg. Par exemple, nous sommes à l’origine de l’association CroQu’terre à Romont, un panier bio qui réunit les producteurs locaux et la population. Je suis également engagée au législatif (Verts) à Romont. Mon mari s’occupe des enfants et s’engage bénévolement.

Vos valeurs rejoignent celles de la BAS (durabilité, justice sociale et paix), dont l’histoire est assez étonnante.

La banque est née d’un mouvement dans les années 1980 en réaction aux sombres affaires qui touchaient plusieurs établissements, dont Credit Suisse, accusé de financer l’apartheid. L’envie de créer des banques qui ne sont pas associées à des scandales existait ailleurs en Europe. En Suisse, elle s’est concrétisée avec la naissance de la Banque alternative suisse, officiellement en 1990, avec huit employés. Elle reposait sur un groupe d’actionnaires, dont le WWF et Greenpeace. Le capital-actions était de 9,5 millions de francs et un an plus tard de 57 millions, avec 3750 clients. Olten a été choisie comme siège pour se différencier de Zurich, considérée comme la «gueule du lion de la finance». Il y a eu la même réflexion avec l’ouverture des bureaux à Lausanne en 1997, avant Genève.

Les statuts de la banque sont également particuliers, encore aujourd’hui.

Aucun actionnaire ne peut détenir plus de 5% des actions, cela afin d’éviter d’être racheté par une banque qui souhaiterait se «reverdir» artificiellement. Nous avons 9500 actionnaires et 2,8 milliards sous gestion. Nous ne sommes pas cotés en bourse et refuserions de l’être. Nous ne sommes pas une banque d’investissement et rejetons toute forme de spéculation. Nous n’investissons ni dans les énergies fossiles, ni dans l’armement, ni dans l’agriculture industrielle. Chaque société est analysée avec 270 critères d’évaluation, soit une sélection de nos fonds de placement parmi les plus sévères du marché. Nous ne maximisons pas les bénéfices et utilisons l’argent non comme une fin mais comme un moyen pour améliorer notre impact sur l’environnement et la société.

Avec une telle éthique, comment gagnez-vous de l’argent?

Bonne question! Notre modèle d’affaires est celui d’une banque à l’ancienne. Nous gagnons de l’argent sur le différentiel des taux de l’argent qui entre et celui qui sort. Par ailleurs, historiquement, les actionnaires et clients pouvaient déposer leurs avoirs en renonçant à leurs dividendes ou à leur taux d’intérêt. Leur souhait était simplement d’avoir un organisme qui gère leur argent et le place dans des projets durables. Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont tellement bas partout que nous ne proposons plus ce modèle, mais les actionnaires peuvent encore renoncer à leurs dividendes et en faire don au fonds d’innovation. L’avantage de ce modèle est que notre refinancement est très simple. On sait d’où vient l’argent et où il est. C’est une grande sécurité.

Qu’il s’agisse de la direction ou des employés, aucun bonus n’est attribué. En cas d’excellents résultats, des primes d’équipe, identiques pour tous, sont versées.

La politique de transparence de la banque est hors norme et vous renoncez aux bonus. Les salaires de la direction sont publiés dans votre rapport annuel. Quel est l’impact d’une telle transparence, notamment salariale?

Que ce soit pour la direction ou les employés, il n’y a pas de bonus. Si les résultats sont très bons, il y a des primes d’équipe qui sont identiques pour tous. Chaque salaire est connu de tous et explicable. Cela évite en grande partie les discussions ou de s’imaginer que le collègue est mieux payé que nous. Je gagne 195 000 francs brut sur treize mois, en comptant les allocations familiales pour mes enfants. Les valeurs de la banque sont aussi de minimiser l’écart entre les bas et les hauts salaires. Notre ratio est de 1:3,65. Ce point est parfois délicat pour les cadres moyens qui espèrent davantage, mais nos conditions sociales sont très bonnes et la motivation des personnes travaillant à la BAS est clairement ailleurs.

La BAS a été élue fin 2024 meilleure banque commerciale pour les PME, largement devant Raiffeisen et les banques cantonales. Elle était également numéro un pour les crédits hypothécaires des clients commerciaux et pour le conseil et service aux PME. Comment expliquez-vous ce succès?

Ça nous a fait plaisir! Ce classement représente un focus que nous avons mis sur les PME. Selon nous, si nous voulons transformer l’économie, cela doit passer par les PME. Nous sommes une banque nationale, mais petite en comparaison avec d’autres. Notre clientèle est formée pour un tiers d’entreprises, cela sans compter les indépendants qui sont bien représentés chez nous. Les retours que nous avons sont que tout est simple à la BAS. Les contrats ne font pas 15 pages et nous sommes pragmatiques. Nous avons aussi été la première banque à proposer l’ouverture d’un compte totalement en ligne dès 2018. Nos services digitaux ont également été récompensés et sont appréciés. Nous n’avons que cinq sites physiques en Suisse, mais notre présence en ligne est facile et répond à la demande.

Vous disposez aussi d’un fonds d’innovation pour les projets durables. Comment fonctionne-t-il?

Nous soutenons à hauteur de 200 000 francs maximum des start-up, mais aussi des entreprises avec des modèles durables. Nous avons créé l’association Fonds d’innovation afin de soutenir des projets qui n’entrent pas dans les critères d’octroi de la banque, souvent pour des raisons de risques. Nous recevons près de 70 demandes par an et en retenons entre cinq et sept. Les montants de la totalité des crédits octroyés par la BAS pour des projets sont publiés sur notre site, afin que les clients voient comment leur argent est utilisé. Parmi les exemples romands, on trouve Serbeco, Magic Tomato, Younergy ou Voltiris, respectivement actifs dans l’économie circulaire, les fruits et légumes locaux et l’énergie solaire. De manière générale, il existe un biotope favorable en Suisse romande avec lequel nous collaborons.

La BAS collectionne les prix d’éthique, récemment de la part de la HEIG-VD et de l’Université de Neuchâtel. Cela explique-t-il votre succès auprès des PME?

Nous sommes la première banque à avoir encouragé les initiatives RSE des entreprises, ainsi que la transition énergétique ou encore l’agriculture biologique, il y a plus de trente ans! Pour cela, nous travaillons notamment avec la Fédération suisse des entreprises, Swiss Triple Impact ou encore les Impact Hub. Dans les énergies renouvelables, notre expérience de longue date permet la prise en charge d’une part de risque plus importante que la norme ou encore des délais de remboursement plus flexibles. Par ailleurs, poussées par les normes RSE, les PME sont de plus en plus sensibles à ce que les banques font de leur argent. Elles veulent que leur partenaire financier fasse aussi sa part et investisse dans des projets durables.

Malgré votre engagement, la certification B Corp, que vous réalisez en ce moment, vous pose quelques questions. Ironique, non?

C’est comme si vous demandiez à un agriculteur qui a toujours cultivé bio de passer le label bio pour pouvoir vendre ses légumes au supermarché. Les valeurs RSE font partie de notre ADN. La BAS est entièrement construite sur celles-ci. Maintenant, on nous demande du reporting et on se doit de le faire. Nous passons cette certification pour notre clientèle entreprise, dont plusieurs affichent une forme de gouvernance sociale ou sont certifiées B Corp.

86%

La BAS finance neuf secteurs d’encouragement: énergie renouvelable, agriculture durable, mobilité durable, santé et bien-être, habitat et espace de travail durables, formation et culture, modèle d’affaires durable, inclusion sociale, coopération solidaire. En 2023, 86% des crédits octroyés ont été accordés à ces secteurs.

Aujourd’hui, toutes les banques parlent de RSE et de finances durables, se calquant sur votre discours. Qu’en pensez-vous?

Il faut que les autres banques s’y mettent réellement. Avec nos 45 000 clients, on ne peut pas faire la transition de l’économie seuls. En revanche, nous restons critiques par rapport à certaines institutions qui n’ont pas mis de critères d’exclusion dans leurs investissements, raison pour laquelle nous soutenons l’initiative pour une finance durable.

La BAS est-elle une banque de femmes?

Nous avons établi un quota minimum au conseil d’administration de 40% d’hommes ou de femmes, pour avoir un équilibre des genres. A la direction générale, nous sommes deux représentants de chaque sexe. Je suis la seule Romande. Le conseil d’administration est présidé par une femme et il y a notamment une agricultrice du Val-de-Travers, Braida Dür. Nous visons une diversité des métiers, des régions et des genres. J’observe que notre clientèle est largement féminine. Peut-être les femmes ont-elles une plus grande conscience écologique?

L’initiative pour une place financière durable, déposée en novembre dernier, ainsi que celle pour l’interdiction des armes nucléaires sont soutenues par la BAS. Est-ce le rôle d’une banque?

Nous relayons certaines initiatives en adéquation avec la banque. Pour celle sur la finance durable, la banque s’implique directement et je fais partie du comité d’initiative élargi, car la BAS prône ces valeurs depuis trente-cinq ans. L’initiative demande une base légale et contraignante pour arrêter le financement de projets pétroliers ou l’extraction de toute énergie fossile. C’est le minimum à faire. Notre personnel peut aussi, s’il le souhaite, prendre une demi-journée de travail pour aller récolter des signatures. Notre rôle est d’être une voix de la société et de parler d’argent pour en faire un usage différent, durable.

Bio express

1980
Naissance à Moutier (BE).

2005
Elle est engagée à la BCV où elle travaillera durant six ans.

2011
Engagée à la BAS (Lausanne).

2013 à 2019
Elle préside l’association du personnel de la BAS et siège à ce titre au conseil d’administration.

2020
Elle rejoint la direction générale de la BAS à Olten (SO). Parallèlement, elle figure sur la liste verte du législatif de Romont (FR).