La santé comme axe stratégique et relais de croissance

Au fil des acquisitions, Migros est devenu un géant de la santé. Avec le rachat de la pharmacie en ligne Zur Rose, le groupe double son chiffre d’affaires et se positionne comme l’un des moteurs de la digitalisation du secteur. Pour le bien du patient?

Avec quelque 560 médecins salariés, le groupe Migros est aujourd’hui le premier employeur de généralistes en Suisse et le numéro un incontesté de la médecine ambulatoire sous l’enseigne Medbase. Ce n’est pas tout. La chaîne de cabinets Dentalcenters.ch, reprise par le géant orange en 2020, compte, elle, 900 collaborateurs. Dont plus de 300 dentistes et orthodontistes. Outre-Sarine, elle se positionne comme le leader des cliniques dentaires.

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Parce qu’elle ne s’opère pas sous la marque Migros, cette montée en puissance reste méconnue du grand public. Elle n’en est pas moins essentielle pour le développement du groupe: «L’acquisition des pharmacies en ligne Zur Rose au début de l’année a ancré encore plus fortement la santé dans le groupe Migros comme l’un de nos quatre piliers stratégiques», explique Marcel Napierala, le directeur et fondateur de Medbase.

Le commerce de détail, et notamment l’alimentation, constitue encore et toujours le cœur de métier de Migros. Les supermarchés, gérés par les dix coopératives régionales du groupe, sont toutefois sous pression et souvent à la limite de la rentabilité. Voilà pourquoi le géant orange a aussi investi dans le commerce de détail et les activités dites de convenience en rachetant notamment la plateforme Digitec Galaxus, devenant ainsi le leader de l’e-commerce en Suisse. Troisième pilier, la finance, avec la Banque Migros qui, en 2022, a encore une fois été la principale contributrice au bénéfice du groupe.

Avec le vieillissement de la population, la santé apparaît ainsi comme un relais de croissance. Mais le groupe Migros, alors qu’on annonce une nouvelle hausse des coûts de la santé de 7,5% pour 2023, peut-il vraiment faire une différence? Le géant du commerce de détail est-il bien équipé pour opérer dans le monde complexe de la santé? Peut-on déjà parler de position dominante, voire de risque systémique? Le nouveau patron du groupe, Mario Irminger, pourrait-il être tenté de recentrer sur son cœur de métier et donc vendre ses activités de santé? Avec le numéro un mondial du commerce de détail, l’américain Walmart, le géant orange est le seul acteur du secteur à s’engager dans la santé. Ce qui est bon pour Migros l’est-il aussi pour le patient? Le débat ne fait que commencer.

La croissance du marché des médicaments

La croissance du marché des médicaments

© Ricardo Moreira

La boulimie du géant orange

Migros étend son offre dans tous les domaines de la santé. Avec l’objectif de proposer aux patients-clients-assurés une offre de soins intégrés. De la prévention à la réhabilitation, en passant par la médecine de premier recours, la psychothérapie et l’esthétique dentaire.

Pour Gottlieb Duttweiler,  le fondateur de Migros (photo  prise en 1954), la coopérative  doit «contribuer au bien-être  matériel et social de chacun  et de la communauté».

Pour Gottlieb Duttweiler, le fondateur de Migros (photo prise en 1954), la coopérative doit «contribuer au bien-être matériel et social de chacun et de la communauté».

© ullstein bild via Getty Images

«Il vaut mieux disrupter le marché et s’imposer comme leader, explique Marcel Napierala, le directeur général de Medbase, plutôt que d’être disrupté.» En reprenant les activités suisses de la pharmacie en ligne Zur Rose, une entreprise cotée à la bourse de Zurich, le groupe Migros n’a pas seulement doublé son chiffre d’affaires dans la santé. S’il a consenti un prix conséquent pour ce rachat, c’est qu’il veut se positionner sur un marché en croissance régulière, en particulier en ligne, mais aussi empêcher les géants de la tech actifs dans la santé, tel Amazon, de prendre pied en Suisse.

Duttweiler en héritage

Pour expliquer l’offensive de Migros dans la santé, ses dirigeants se réfèrent volontiers à l’héritage de Duttweiler. Notamment ce fameux article 3 des statuts de l’entreprise: «Les buts de la coopérative doivent être poursuivis dans l’idée de contribuer au bien-être matériel et social de chacun et de la communauté. A cet effet, la coopérative s’inspire des principes suivants: [...] la protection de la santé publique, notamment par une alimentation adéquate…»

Sur le plan business, le parcours santé de Migros débute de fait avec la création puis la reprise de centres de fitness et de wellness dès la fin des années 1970. Le géant orange est depuis devenu le leader incontesté du secteur en Suisse et donc aussi un acteur important du domaine de la prévention par le sport. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les trois physiothérapeutes qui créent Medbase en 2001, dont Marcel Napierala, ont installé leurs centres près des clubs de Migros pour pouvoir profiter de leurs installations. 

Un partenaire idéal

Lorsque le trio cherche un investisseur pour se développer, le groupe Migros apparaît assez logiquement comme le partenaire idéal. En Suisse romande, Medbase fait ses premiers pas dès 2016 sous la forme d’une joint-venture avec le réseau Delta, fondé à Genève par le très dynamique docteur Philippe Schaller et Marc-André Raetzo. Cofondateur et membre de la direction de Medbase Suisse romande, lui-même de formation médicale, Marc Cikes devient la cheville ouvrière de l’expansion du groupe, ouvre des centres dans plusieurs gares, notamment à Genève Cornavin, qui lance le mouvement en mars 2017. Celui qui est désormais directeur d’un fonds de capital-risque dans la santé numérique et administrateur de sociétés croit plus que jamais à ce type de modèle.

Pour les patients, la formule Medbase offre un accès facilité aux soins et une prise en charge globale. Les malades chroniques sont assurés d’être suivis toute l’année, y compris pendant les vacances de leur médecin traitant. De leur côté, les médecins profitent d’une infrastructure qui les décharge de tâches administratives de plus en plus lourdes et chronophages. Salariés par Medbase, ils bénéficient aussi de la politique Migros, notamment en matière de prévoyance et de formation continue.

A l’heure où les généralistes proches de la retraite peinent à remettre leur cabinet, ce modèle moins traditionnel permet de coller aux attentes de la génération montante qui répugne souvent à sacrifier sa vie privée et sa santé à une carrière médicale. Une tendance renforcée par une forte féminisation de la profession – 59% des étudiants actuellement en cours de formation sont des femmes. «Les centres médicaux comme Medbase, en offrant un statut d’employé aux médecins, leur épargnent aussi les investissements d’une installation en cabinet et les risques qui vont de pair», souligne Marc Cikes. Un bémol, mais de taille: à quelques exceptions près (Gampelen, Zweisimmen…), les centres Medbase sont implantés dans les agglomérations et non pas dans les déserts médicaux de la périphérie.

Les chiffres

700 millions de francs
Medbase a enregistré en 2022 un chiffre d’affaires de 541 millions de francs et Movemi de 159 millions. Avec l’apport de Bestsmile et de Misenso, Migros a dépassé les 700 millions de francs dans ce domaine.

1400 millions de francs
Zur Rose devrait dépasser cette année les 700 millions de francs de chiffre d’affaires (686 millions en 2022). Pour 2023, Migros franchira donc la barre des 1400 millions de francs dans le secteur santé.

10 000 employés
Avec Zur Rose, le groupe Migros salarie désormais 4000 personnes dans la santé. Les clubs Activ Fitness et Fitnesspark emploient 4300 personnes. Avec Best-smile et Misenso, Migros passe largement la barre des 10 000 employés.   

366 sites
Avec 70 centres médicaux, 59 pharmacies, 39 cliniques dentaires, 136 clubs de fitness, 36 enseignes Bestsmile, 16 shop-in-shop Misenso, 10 emplacements WePractice, Migros est donc, dans le domaine de la santé, présent en 366 lieux sur l’ensemble du pays.

En parallèle à la montée en puissance dans les soins de base, le groupe Migros installe des pharmacies Zur Rose dans ses supermarchés selon le modèle shop-in-shop. En 2019, elle reprend la chaîne de pharmacies Topwell, renommée Medbase. Dans la réorganisation du système de santé, le métier de pharmacien est appelé à évoluer et les pharmacies physiques elles-mêmes sont destinées à tenir un rôle croissant dans la prise en charge globale du patient, c’est la conviction des stratèges du groupe. On en aura d’ailleurs la démonstration durant le covid avec le rôle des pharmaciens dans les campagnes de vaccination.   

Autre pièce du puzzle, les cabinets de dentistes. «La médecine dentaire fait partie des soins de base, affirme volontiers Marcel Napierala, même s’ils ne sont en principe pas pris en charge par la LAMal.» En 2020, Migros reprend la chaîne Dentalcenters.ch, qui comprend aujourd’hui 39 emplacements, principalement outre-Sarine. Il faut y ajouter les 36 cliniques de correction dentaire Bestsmile. Sans oublier la chaîne Misenso, 16 enseignes dans toute la Suisse, qui propose des lunettes et des appareils auditifs à des prix très abordables… et des points Cumulus pour qui fait ses achats dans ces magasins installés dans les centres commerciaux Migros.

Expansion réfléchie

Mais les dirigeants du groupe le répètent sur tous les tons: l’objectif n’est pas de grandir à tout prix et d’être actif en direct dans tous les domaines de la santé. Prendre le contrôle d’une caisse maladie? Hors de question. Mieux vaut collaborer avec les assurances qui maîtrisent cette partie de la chaîne de valeur. Investir dans des cliniques et donc dans la médecine stationnaire? Là encore, il est préférable de nouer des liens privilégiés comme avec le groupe Hirslanden, la première chaîne de cliniques privées en Suisse, ou l’Hôpital cantonal de Lucerne.

En revanche, le groupe Med-base développe au sein de ses centres, mais aussi à l’externe, ses prestations en radiologie. En matière d’analyses médicales, il s’agit là encore d’étudier si la reprise de laboratoires ou le développement de capacités à l’interne permettraient d’améliorer la qualité et la rapidité des diagnostics. Et d’en diminuer les coûts: dans son dernier rapport, Stefan Meierhans, Monsieur Prix, révélait que les tarifs de ces prestations sont en moyenne trois fois plus élevés que dans les pays voisins! Toujours dans la perspective d’une prise en charge globale du patient, le groupe Medbase, désormais fort des capacités logistiques de Zur Rose, ambitionne de jouer un rôle dans les soins à domicile.

A ce jour, les réactions des médecins et des experts de la santé restent pour le moins contrastées. Présidente de l’établissement Hôpital Riviera--Chablais Vaud-Valais et ex--directrice financière des HUG, Brigitte Rorive salue l’approche des centres Medbase, mais manifeste du scepticisme sur les résultats obtenus à ce jour. «Pour faire une vraie différence, il faut réguler le volume des prestations et investir massivement dans la prévention. Si Migros y parvient réellement, nous aurons en effet réalisé un progrès. Mais j’attends de voir.» Migros peut-il y contribuer et «en faire plus pour la Suisse», comme l’affirme sa récente campagne de publicité?

Migros, le nouveau géant de la santé

Le distributeur est aujourd'hui numéro un de la médecine ambulatoire et un poids lourd dans la pharmacie les soins dentaires et les fitness. Pour le bien du patient? Réponse dans notre grand dossier:

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