En matière de digitalisation de la santé, la Suisse en est encore à l’âge de pierre comparativement à d’autres pays. Piloté par la Confédération, le dossier électronique du patient (DEP) est censé permettre une meilleure coordination des soins. Mais le décollage s’avère calamiteux. A peine 18 000 personnes ont adopté le DEP jusqu’ici. «Il faudrait avoir le courage de recommencer à zéro», affirme Félix Schneuwly, responsable des affaires publiques de Comparis, membre du conseil consultatif de Medbase ainsi que conseiller du Konsumentenforum. Pour l’heure, plusieurs initiatives comme l’application CSS WELL, lancée par la caisse maladie du même nom, et le projet Compassana tentent de pallier ce retard et de tirer les avantages d’une approche 4.0 de la santé.
1. Le modèle Compassana
Dès la mi-juin, la plateforme numérique et l’application Compassana seront accessibles à tous après une phase de test qui se termine ces jours. Un projet lancé par Medbase et Hirslanden et rendu public début 2022. «Ces outils digitaux nous permettront de faciliter le parcours du patient-client et de rendre dans le même temps le système de santé plus efficient et plus simple», résume Marcel Napierala. Outre Medbase, cette alliance rassemble la chaîne de cliniques privées Hirslanden, les compagnies d’assurances Groupe Mutuel, Helsana et SWICA, rejoints en mars par le groupe LUKS qui comprend notamment l’hôpital cantonal de Lucerne. «Mais attention, notre ambition va au-delà de la création d’une simple plateforme digitale, explique Peter Mittemeyer, le CEO de Bluespace Ventures, la société fondée pour mettre en œuvre Compassana. Il s’agit de créer un véritable écosystème de santé commun pour les prestataires de soins et les assurances.»
2. Un concurrent pour le dossier électronique du patient (DEP)?
Dans un premier temps, l’application Compassana offrira donc les fonctionnalités de base suivantes: la gestion personnelle des médicaments du patient, les prises de rendez-vous, le classement de ses documents médicaux (IRM, rapports d’analyses…), un peu sur le mode du DEP. Suivront d’autres services de télémédecine comme les consultations vidéo à distance. «Des prestations particulièrement utiles pour pallier la pénurie de généralistes, souligne Jérôme Mariéthoz, membre de la direction générale et responsable du projet pour le Groupe Mutuel. En particulier dans les déserts médicaux des régions périphériques.»
L’idée est, à terme, d’utiliser au mieux les possibilités de l’intelligence artificielle (IA) pour l’accompagnement du client (et du patient lorsque celui-ci est malade) et pour assister le personnel soignant. Précision: Compassana sera compatible avec le DEP et n’a pas vocation à le remplacer, mais à créer un écosystème plus large, y compris en testant éventuellement, à l’avenir, de nouveaux modèles de primes d’assurance et donc de financement.
3. L’enjeu de la protection des données
Cette alliance entre prestataires de services médicaux et assurances au sein d’un écosystème de santé pose la question de l’utilisation des données. «Lorsqu’un assuré se connecte à Compassana, poursuit Jérôme Mariéthoz du Groupe Mutuel, il quitte la plateforme digitale de sa caisse maladie. Et nous n’avons donc pas accès aux données médicales qu’il stocke sur Compassana.» Voilà pour ce cas de figure particulier. Mais revenons plus généralement à la galaxie Migros proprement dite. Si l’on ajoute à Medbase, à Zur Rose et aux clubs Activ Fitness, la carte Cumulus et donc les informations sur les achats des clients dans les supermarchés, le géant orange dispose à lui seul d’une base de quelque 5 millions de clients! Ces données sont-elles utilisables pour une prise en charge intégrée et personnalisée du client-patient? La législation actuelle en matière de protection des données de santé est particulièrement stricte. «Les informations sur les patients Medbase, les abonnés Movemi et les clients Migros sont clairement cloisonnées, souligne Marcel Napierala. Si nous devions pouvoir un jour les agréger et les croiser, ce qui aurait d’incontestables avantages en termes d’efficacité et de qualité, les individus seuls décideraient s’ils veulent ou non aller dans cette direction. Parce qu’ils restent les propriétaires uniques de leurs données personnelles.»
4. L’indispensable collaboration des acteurs de la santé
Sur le plan technique, le développement de l’écosystème Compassana n’est pas une mince affaire. Il faudra procéder par étapes. Les partenaires du projet se gardent d’ailleurs d’éveiller des attentes exagérées, même s’il y a urgence à corriger les dysfonctionnements et le manque de transparence qui plombent le système (20% d’actes médicaux inutiles sur des dépenses de santé totales de 83 milliards de francs, selon l’Office fédéral de la santé publique). De fait, les acteurs privés comme Medbase/Migros et ses partenaires ont, en matière d’innovation, plus de marge de manœuvre que le secteur public. «Un projet comme Compassana induit une dynamique vertueuse et peut servir d’exemple», souligne Verena Nold, la directrice de la faîtière Santésuisse. Il témoigne aussi d’une nécessaire prise de conscience. Les protagonistes du système de santé ont compris qu’ils devaient collaborer s’ils veulent empêcher le navire de couler tout entier.
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