Le siècle de l’Inde
Résolument pro-business, le gouvernement Modi veut booster l’économie indienne et rattraper son retard sur son rival chinois. De nouvelles perspectives s’ouvrent pour les entreprises suisses. Mais elles ne sont pas sans risques.
Si la formule n’était pas trustée par Trump, Narendra Modi l’aurait sûrement adoptée: «Make India great again.» De fait, le premier ministre aligne les slogans pour décrire son «Inde nouvelle» dans une propagande omniprésente dans les rues dès que vous débarquez dans le pays. 2023 aura été l’année de l’Inde. Devenue la nation la plus peuplée du monde, elle a accueilli le sommet du G20 en septembre, réussi un spectaculaire alunissage en août, confirmant ainsi son statut de puissance spatiale… et elle vient de déposer sa candidature pour les Jeux olympiques de 2036.
Un PIB en croissance rapide en fait désormais la cinquième économie mondiale. Devant la Grande-Bretagne, tout un symbole. Elu une première fois en 2014, Narendra Modi peut compter sur un large soutien de la population et, s’il suscite des critiques pour ses tendances autoritaires, son nationalisme et sa promptitude à jouer sur les clivages confessionnels (les attentats du Hamas apportent de l’eau à son moulin), elles ne trouvent qu’un faible écho dans les médias. Et pour cause: cette année, l’Inde a encore régressé d’une dizaine de places dans le classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. Sur les 180 pays pris en compte, elle se situe désormais au 161e rang. En dépit d’une défaite, ce printemps, aux législatives de l’Etat du Karnataka (chef-lieu: Bangalore), il ne fait aucun doute que le BJP, le parti du premier ministre, remportera les prochaines élections nationales en mai prochain.
Pro-business, Narendra Modi est bien décidé à faire de son pays une puissance industrielle capable d’assurer son développement intérieur, mais aussi d’exporter dans le monde entier. Le premier ministre ne se prive d’ailleurs pas d’exploiter la décision d’Apple de produire en Inde 25% de ses iPhone d’ici à 2025. La transition énergétique apparaît comme l’autre catalyseur d’un nouveau boom industriel – énergie solaire bon marché, batteries, véhicules électriques… Le raidissement du régime de Xi Jinping et une économie en berne incitent les entreprises internationales à réduire leur dépendance envers la Chine. Une stratégie qui profite à l’Inde.
Enlisées pendant des années, les négociations d’un traité de libre-échange entre l’AELE et l’Inde pourraient aboutir bientôt. Autre échéance cruciale, le lancement, fin octobre, d’une Swiss-Indian Innovation Platform. Mais comment aborder ce pays-continent? Quels sont les pièges à éviter? Reportage à Bombay, Pune, Mysore et Bangalore.
Changement de dimension
Pour Ralf Heckner, ambassadeur de Suisse à Delhi, la signature d’un accord de libre-échange avec l’Inde marquerait un changement décisif. Coïncidence, les deux pays célèbrent cette année les 75 ans de leur Traité d’amitié. Quelques chiffres illustrent le potentiel de ce nouveau rapprochement.
Investissements
Cette comparaison avec les Etats-Unis, d’abord: la Suisse y a investi quelque 300 milliards de dollars contre 10 milliards à peine pour l’Inde. «C’est vous dire le potentiel de rattrapage.» La Chine, ensuite: un millier d’entreprises suisses y sont actives. Elles ne sont que 323 en Inde.
Echanges commerciaux
Depuis la visite de Guy Parmelin à New Delhi, fin 2022, les négociations sur un accord de libre-échange entre l’Inde et l’AELE se sont poursuivies sur un rythme mensuel. L’objectif est de le mettre sous toit avant les présidentielles indiennes de mai 2024. Les exportations de l’Inde vers la Suisse se montent à 1,3 milliard de francs. Elles sont de près de 16 milliards dans le sens inverse. Un accord leur donnerait un coup de fouet.
Le contenu de l’accord
Il n’est pas encore connu, mais il devrait aboutir à une baisse des droits de douane, attendue notamment par l’industrie horlogère pour qui l’Inde fait figure de nouvel eldorado (les produits de luxe sont actuellement soumis à une taxe d’importation de 35%). Les investissements devraient aussi faire l’objet de garanties renforcées, comme la protection de la propriété intellectuelle.
Nombre record de visas
La Suisse attache une grande importance au bon fonctionnement de ses services consulaires. Avec près de 200 000 visas déjà délivrés à des citoyens indiens cette année, un record historique est en passe d’être battu.
Les entreprises étrangères sont toujours plus réticentes à investir en Chine. Plusieurs pays asiatiques se profilent pour prendre le relais, dont l’Inde, le nouvel eldorado. Découvrez notre dossier: