Pour Jonas Brunschwig, consul général et CEO de Swissnex in India à Bangalore, c’est l’évidence: on sous-estime en Suisse les changements en cours dans le sous-continent indien. De son côté, l’Inde n’a pas encore pris conscience du potentiel de collaboration avec la Suisse en matière d’innovation. Voilà pourquoi lui et son équipe ont développé un concept original baptisé Indo-Swiss Innovation Platform. Objectif: structurer les échanges scientifiques entre les deux pays autour de trois thématiques, la durabilité, la digitalisation et la santé.
Une première rencontre a eu lieu les 29, 30 et 31 octobre, sur la thématique hyper-sensible de la résistance aux antibiotiques ou AMR (Antimicrobial Resistance). Une vingtaine de représentants des hautes écoles suisses (dont l’Université de Genève), de l’industrie pharma (Roche, Genentech…) et de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ont ainsi œuvré avec leurs pendants indiens pour faire le point sur le développement d’antibiotiques de nouvelle génération. Parmi eux, des responsables du Serum Institute of India, le plus gros producteur de vaccins du monde. Et la milliardaire Kiran Mazumdar-Shaw, fondatrice de Biocon, la championne de la biotech indienne.
Avant de prendre la responsabilité de Swissnex à Bangalore, Jonas Brunschwig a travaillé pendant six ans pour l’antenne de Swissnex à Boston, tout en complétant un master au MIT portant, justement, sur la création d’écosystèmes d’innovation dans les pays du Sud. Bluffé par ce qu’il a découvert depuis son arrivée en 2021, le trentenaire se défend toutefois de donner dans l’«indolâtrie». Il explique: «La réalité indienne n’est ni toute blanche ni toute noire. Mais quand on sait que ce pays a réussi à poser un engin sur la Lune avec un budget inférieur à celui d’une superproduction hollywoodienne, on ne peut pas ne pas s’interroger sur la qualité de la recherche et des ingénieurs indiens.» Et sur l’écosystème du secteur spatial et ses quelque 150 start-up implantées à Bangalore et dans plusieurs autres villes.
L’Inde constitue aussi une sorte de laboratoire de la digitalisation et des usages nouveaux de la technologie, y compris pour des entreprises suisses. Appuyée par Swissnex, la compagnie d’assurances La Mobilière a par exemple mené ici un projet de recherche de huit semaines sur les applications commerciales de Whats-App. Autre mandat du consulat scientifique de Bangalore, celui donné par Innosuisse qui consiste à aider les start-up helvétiques à explorer le potentiel économique de l’Inde, selon une approche en trois étapes: découverte, validation et entrée sur le marché. Plus de 200 d’entre elles ont, jusqu’ici, participé au programme. A titre d’exemples: Flyability (drones), Oxara (matériaux de construction durable), Oxyle Water (purification des eaux), Plastogaz (recyclage de plastique/économie circulaire)… Un bon nombre d’entre elles actives, on l’aura constaté, dans le domaine des cleantechs.
La mission de Swissnex de Bangalore, nous explique Jonas Brunschwig, consiste enfin à jeter des ponts entre les institutions académiques suisses et indiennes. «Les étudiants et les chercheurs suisses continuent de privilégier les institutions américaines, observe-t-il, mais je suis convaincu qu’un séjour dans une haute école ou une entreprise indienne constitue une expérience autrement plus marquante.» Il s’agit maintenant d’étendre cette possibilité aux jeunes Suisses engagés dans une filière professionnelle. Jonas Brunschwig participe au programme NextStep. Soutenu par l’agence Movetia, le canton de Vaud peut ainsi s’appuyer sur Swissnex pour placer de jeunes diplômés issus de l’apprentissage. En associant Zurich à cette initiative, la Direction de la formation professionnelle vaudoise a sélectionné l’Inde parmi les quatre destinations prioritaires pour ces placements et une demi-douzaine de jeunes gens devraient débarquer à Bangalore l’automne prochain. Le dépôt de candidatures est ouvert. Go East, young (wo)man!
Contacts
Outre Swissnex, les entreprises suisses désireuses de s’implanter en Inde peuvent s’appuyer sur le Swiss Business Hub India rattaché à l’ambassade de Suisse en Inde.
Sise à Zurich et à Bombay, la Swiss-Indian Chamber of Commerce (SICC) offre de très précieux appuis: info@sicc.ch et meghna.shah@siccindia.in.
Infrastructure: Pilotage par l’Etat
Par leur ampleur, les disruptions en cours en Inde ne trouvent sans doute pas d’équivalents dans le reste du monde. Y compris aux Etats-Unis et en Europe. Parce qu’elle a été pilotée par l’Etat, cette transformation a révolutionné le système bancaire du pays, les relations entre les citoyens et leurs administrations, le fonctionnement des assurances sociales. Inspiré par Nandan Nilekani, le cofondateur du géant de l’informatique Infosys, le gouvernement a introduit l’Aadhaar, une carte d’identité numérique unique au monde. Le système Unified Payments Interface (UPI) est en passe de remplacer le cash dans une économie jusqu’ici largement informelle et positionne l’Inde comme une championne de la fintech. Effet collatéral positif, une diminution radicale de la corruption au quotidien et de la fraude fiscale.
Télécoms: Made in India
L’Inde détient l’une des plus fortes pénétrations de smartphones du monde et bat tous les records de consommation de données avec 19,5 Gb par tête par mois. Mi-octobre, le groupe Reliance Industries annonçait le lancement du Jio Bahrat, un smartphone made in India vendu 10 francs suisses. Plus d’une quarantaine de pays étudient une déclinaison totale ou partielle de la Digital Public Infrastructure (DPI) à l’indienne, qui se profile ainsi comme un produit d’exportation.
Débat: Enjeu géostratégique
La digitalisation réussie de l’Inde lui offre d’importants leviers diplomatiques. Dans la course à l’IA et alors que le secteur des semi-conducteurs est désormais un enjeu géostratégique, le gouvernement Modi joue la carte américaine pour réduire ses dépendances vis-à-vis de la Chine. Mais les enjeux de souveraineté technologique ne sont pas les seuls à animer le débat public. Une nouvelle législation, la Digital Data Protection Bill, est actuellement en discussion. Les défenseurs de la vie privée soulignent les risques d’une surveillance généralisée de la part de l’Etat. Les tendances autoritaires du gouvernement Modi incitent à prendre cette menace au sérieux.
Les entreprises étrangères sont toujours plus réticentes à investir en Chine. Plusieurs pays asiatiques se profilent pour prendre le relais, dont l’Inde, le nouvel eldorado. Découvrez notre dossier: