Les fromagers sont contraints à se réinventer

La branche vit une crise sans précédent même si, globalement, les Suisses sont encore de gros consommateurs de fromages locaux. Zoom sur un secteur ancré dans la tradition, en quête de nouveaux débouchés.

«Pour la première fois, la Suisse va importer plus de fromage qu’elle n’en exporte. C’est très inquiétant. Ce renversement impacte les producteurs fromagers et laitiers suisses, qui souffrent déjà de la concurrence étrangère et de la hausse des prix généralisée.» Boris Beuret, président des Producteurs suisses de lait (PSL, ou Swissmilk), donne l’alerte sur l’avenir de la filière. Le secteur vit aujourd’hui une crise sans précédent. La consommation de lait à boire a constamment diminué depuis des années, passant de 122 litres par personne et par an en 1990 à 95 litres en 2000, contre 46 litres en 2021, selon l’Union suisse des paysans.

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Les fromages traditionnels suisses sont aujourd’hui boudés, à l’instar de l’emmental, dont la consommation a diminué de 1000 tonnes en une année, ou du gruyère, dont la production a été réduite de 10% en 2023 pour pallier les stocks trop importants qui se sont accumulés avec la diminution des exportations, selon l’Interprofession du Gruyère (IPG).

Les chiffres du fromage
© DR

En 2009, la suppression du contingentement laitier, qui visait à libéraliser ce marché, a mis la filière sous pression et les effets s’en ressentent encore aujourd’hui. «Malgré les protestations qui ont suivi l’abandon de ces contingents, la chute vertigineuse du nombre d’exploitations laitières et même les suicides de producteurs surendettés, les acteurs de la distribution n’ont jamais vraiment pris le problème au sérieux», regrette Anne Chenevard, agricultrice à Corcelles-le-Jorat (VD) et présidente de Faireswiss, coopérative en faveur d’un lait mieux rémunéré.

Conséquence: en trente ans, le nombre d’exploitations laitières a diminué de 65%. Le marché s’est consolidé, n’entraînant pas de baisse quantitative de la production, mais une diminution majeure du nombre de fermes. «C’est un problème transversal, qui entraîne un affaiblissement économique de certaines parties du pays, redoute Boris Beuret. La disparition des exploitations laitières peut provoquer une déliquescence du tissu rural, souvent suivie de la fermeture des commerces, du départ des artisans, des médecins, puis des jeunes.» Vient alors la question de la relève, qui se heurte aux nouvelles aspirations du travail. «C’est un métier passionnant mais évidemment astreignant, où la charge de travail est importante et permet peu de congés et de temps libre.» Zoom sur un secteur ancré dans la tradition suisse, contraint aujourd’hui de se réinventer.

En chiffres

Consommation globale stable
Les Suisses consomment par personne chaque année 370 kg de produits laitiers, des quantités largement supérieures à la moyenne mondiale de 114 kg. En 2022, la consommation totale de fromage en Suisse a atteint 204 000 tonnes, un chiffre quasiment inchangé par rapport à 2021 malgré une croissance démographique de 1,25% sur la même période. La consommation par habitant a donc légèrement fléchi, de 1,3%, ce qui semble indiquer la fin de la période de consommation record enregistrée lors des épisodes 2020 et 2021, marqués par la pandémie. Près de deux tiers (64,3%) du fromage consommé est produit en Suisse, selon un communiqué des Producteurs suisses de lait (PSL).

Mozzarella en hausse
Au total, la consommation de fromage frais en Suisse s’est élevée à près de 8,5 kg par habitant en moyenne, dont 3,3 kg rien que pour la mozzarella. La star des pizzas et des salades estivales rassemble donc à elle seule près de 40% des ventes de sa catégorie. Avec 23 000 tonnes consommées en 2022, selon un communiqué du groupe Emmi, elle s’arroge le titre de fromage le plus apprécié du pays, loin devant le gruyère (16 000 tonnes) et la raclette (13 500 tonnes). Les fromages au lait de brebis, de chèvre et de bufflonne sont aussi en nette augmentation:
près de 54% en quinze ans.

Fondue, pâte molle et emmental en baisse
La consommation de fromages fondus et de fondue prête à l’emploi a chuté de 4,2% entre 2021 et 2022. Les fromages à pâte molle ont également marqué le pas en 2022, avec une baisse globale de 4,8%. La consommation de fromages bleus (gorgonzola, Danablu, roquefort, etc.) a reculé de 11,4%, alors que les fromages à croûte fleurie se sont rétractés de 7,4% et les tommes de 4,7%. Mais la chute la plus remarquable est sans doute celle de l’emmental, avec une diminution de 11,7%, soit près de 1000 tonnes de moins en un an.

Le chemin de croix du fromage suisse

Production locale en baisse, exportations en berne et produits importés bon marché qui séduisent toujours plus les consommateurs: les fromagers suisses sont dans la tourmente. Découvrez notre dossier: