Ces dernières décennies, le montant total des héritages et des donations a affiché une très forte croissance. La somme totale a triplé depuis 1999 pour s’établir autour de 90 milliards en 2020. Comment est-ce que cette progression s’explique?

La fortune totale héritée annuellement en Suisse est grande et toujours en augmentation. A titre de comparaison, les flux de donations et d’héritages ont probablement dépassé le montant total des dépenses de la Confédération. La croissance s’explique principalement par l’augmentation des prix immobiliers et des actifs financiers que sont par exemple les actions et les fonds de placement. Parallèlement, notre assurance vieillesse, qui repose sur trois piliers, assure un revenu suffisant à une grande partie de la population retraitée. Ces personnes n’ont pas besoin d’entamer leur épargne après la fin de la vie active et continuent donc à accumuler de la fortune. Cependant, il faut souligner que les statistiques au sujet des héritages sont très imprécises en Suisse.

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

Selon les estimations en circulation portant sur les trente dernières années, la classe d’âge la plus aisée est celle des personnes de 85 ans et plus. Et cette tendance ne fait que se renforcer. Pourquoi?

Il est vrai qu’en Suisse on meurt de plus en plus riche. Il y a un phénomène appelé «effet de sélection» qui peut expliquer en partie pourquoi les personnes très âgées sont souvent plus riches que les autres. Les riches ont tendance à avoir une espérance de vie plus grande que les pauvres, ce qui signifie qu’il y aura une proportion plus élevée de riches parmi les personnes très âgées. Toutefois, cela ne suffit pas à expliquer entièrement la situation. Il faut aussi considérer que, du moment que les retraités n’ont pas besoin de puiser dans leur épargne pour vivre, l’effet des intérêts composés peut faire croître leur fortune au fil du temps.

Est-ce que cette concentration de richesses en fin de vie va se perpétuer pour les prochaines générations ou bien cela va-t-il changer?

Il est peu probable que la tendance à l’augmentation de la fortune totale héritée chaque année se renverse. En effet, il n’y a aucune raison d’anticiper une forte baisse des prix des actifs, ni un affaiblissement significatif de notre système de prévoyance vieillesse. Cependant, il est imaginable que les gens décident de plus en plus souvent de transférer des parts importantes de leur fortune de leur vivant. Cette décision peut intervenir notamment lorsque leurs enfants démarrent dans la vie professionnelle ou familiale. Actuellement, on peut observer une certaine tendance vers une augmentation des donations entre vivants par rapport au volume total des transferts entre générations.

Que sait-on de la répartition des héritages dans la population suisse? Quelle est la proportion de Suisses qui héritent d’une somme supérieure à 100'000 francs et de moins de 20'000 francs?

Les données concernant cette question sont très rares. Il existe une étude* remontant à 2012, effectuée uniquement sur le canton de Berne. Selon celle-ci, un seul héritage sur cinq porte sur une somme qui dépasse les 100 000 francs. Selon la même source, il apparaît que quelque 35% des héritages, soit un sur trois, concernent des sommes inférieures à 20 000 francs.

Est-il fréquent d’hériter de dettes plutôt que d’un capital?

A ma connaissance, il n’y a pas de statistiques publiées sur ce sujet. Mais il est courant d’hériter de biens immobiliers grevés par des hypothèques. Dans ce cas, il s’agit généralement d’une dette inférieure à la valeur du bien, ce qui n’est donc pas problématique. Si un défunt laisse une dette nette, les héritiers ont le droit de renoncer à l’héritage.

En comparaison internationale, la fiscalité helvétique sur l’héritage est-elle plutôt faible ou élevée? Quels sont les débats actuels sur cette question?

La part des recettes publiques provenant de l’impôt sur les successions et les donations en Suisse est proche de la moyenne des pays de l’OCDE. Cependant, étant donné que la Suisse est un pays avec de grosses fortunes privées, cela implique que les taux d’imposition sont relativement bas. En effet, en 1990, le franc moyen d’héritage ou de donation était assujetti à un impôt de 4,6 centimes, mais, aujourd’hui, on ne paie plus que 1,6 centime. Cette forte baisse de la fiscalité sur les héritages est due principalement à l’abolition successive de l’impôt sur les successions et donations en ligne directe dans les cantons. La vague d’abolitions a commencé en 1992 à Schaffhouse pour se répandre à travers le pays et aboutir à Genève en 2004.

Le débat est actuellement relancé par une initiative populaire qui revendique l’introduction d’un impôt fédéral de 50% sur la part de la masse successorale qui dépasse les 50 millions de francs.

On hérite de plus en plus vieux, soit après 60 ans dans la majorité des cas. Ce schéma n’est que très peu corrigé par les donations. Pourquoi?

Les donations représentent entre 30 et 40% des transmissions entre générations, ce qui en fait un flux important. Cependant, la plupart des fortunes ne sont transférées qu’après le décès de leurs détenteurs. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène. Tout d’abord, la prudence pousse les gens à garder leur argent pour être prémuni en cas de besoin inattendu, comme des coûts liés à la détérioration de la santé. En outre, pour les personnes vivant dans leur propre domicile, il est souvent difficile de transférer leur bien avant leur décès. Enfin, une raison relevant du registre relationnel: garder sa fortune donne du contrôle sur ses affaires et peut-être aussi sur certains de ses proches à un âge où l’on perd du pouvoir dans d’autres domaines de la vie.

Dans l’intérêt économique global de la société, ne serait-il pas souhaitable que ces richesses soient transférées plus rapidement vers les jeunes familles, par exemple?

La réponse à cette question dépend de la perspective adoptée. Certes, recevoir une donation à 30 ans peut être plus utile pour le bénéficiaire qu’un héritage d’un montant comparable à 70 ans. Nous avons une recherche en cours qui indique que plus on est jeune, plus on a tendance à réduire sa charge de travail suite à une donation ou à un héritage reçu. Si le but est de maximiser l’offre de travail et donc le PIB, il pourrait être plus efficace de laisser circuler ces fortunes entre les vieux retraités et les jeunes retraités, c’est-à-dire de décourager les donations. Cependant, une pesée de ces arguments est évidemment délicate.

Selon vous, pourrait-on imaginer des mesures incitatives pour encourager le transfert de richesses vers les plus jeunes? Y a-t-il des initiatives qui vont dans ce sens?

Avec un impôt sur les successions, ce serait facile. Il suffirait d’appliquer des taux plus bas ou des exonérations plus généreuses pour les donations entre vivants que pour les héritages.

* «Erbschaften und Schenkungen im Kanton Bern, Steuerjahre 2002 bis 2012», de Ben Jann et Robert Fluder, 2015, Université de Berne.

 
L’héritage en chiffres

Deux tiers des Suisses sans testament 
Selon les estimations, seulement un tiers des Suissesses et des Suisses qui décèdent ont fait un testament. Les professionnels confrontés à cette réalité soulignent que cette carence complique énormément les démarches et plonge les héritiers dans le doute.

Un thème qui se banalise
La rédaction d’un testament tend à se banaliser, entend-on du côté des notaires. En effet, les thèmes de la succession et des dispositions pour la fin de vie sont de plus en plus présents dans les médias et l’espace public. Les banques et assurances poussent en outre activement leur clientèle à mettre au clair la situation avec le cercle familial alors que les personnes concernées sont en pleine possession de leurs moyens.

Des spécificités cantonales
Le droit successoral est régi par le Code civil, qui vaut pour l’ensemble de la Confédération. Sa mise en œuvre varie ensuite selon les cantons pour des questions telles que les taux d’imposition, les délais, etc. L’administration compétente cantonale est la justice de paix, dont le cahier des charges peut varier d’un endroit à l’autre. Sa mission de base est de gérer les aléas propres à la société civile (successions, tutelles, protection de l’enfant…).