«Nous avons l’impression que nous connaissons bien notre planète, mais c’est faux. Avec les forages actuels, nous n’avons presque pas exploré les profondeurs au-delà de 5 km.» Spécialiste dans le domaine des géo-énergies, le chercheur français Eric Claude Gaucher a été le premier, l’année dernière, à découvrir avec une équipe de l’Université de Berne un système de génération d’hydrogène naturel dans les montagnes de l’Engadine. Il a continué la prospection en Valais avec son entreprise Lavoisier H2 Geoconsult. Il s’agit à présent d’approfondir les études au niveau des grandes failles tectoniques, notamment à partir de tunnels et de mines existants.
L’hydrogène est intéressant en termes énergétiques, car il procure trois fois plus d’énergie par kilo que le pétrole et ne génère pas de CO2 lorsqu’on le brûle. Mais il ne suffit pas qu’il soit vert, c’est-à-dire généré par électrolyse de l’eau, via de l’éolien, du solaire ou du nucléaire. «L’intérêt de l’hydrogène naturel est que c’est la Terre elle-même qui le produit», poursuit le géo-chimiste.
Avec un collectif d’une trentaine d’experts réunis au sein de la Task 49 de l’Agence internationale de l’énergie, il souhaite fournir une plateforme couvrant tout l’écosystème scientifique, économique et politique lié à l’hydrogène naturel. Il s’agit notamment de changer les lois minières afin de faciliter l’obtention de permis d’exploration. Car l’hydrogène peut se trouver partout dans le monde.
Le challenge consiste à passer de découvertes qui restent limitées à des volumes ayant une valeur économique. A titre d’exemple, en Albanie, 250 tonnes s’évaporent chaque année d’une mine de chrome. En Islande, on estime que les systèmes géothermaux produisent 1,16 kilotonne d’hydrogène chaque année. En prenant un prix d’environ 2 francs par kilo, on parle donc de millions de francs.
Les premières découvertes ont été effectuées dans le Pacifique à la fin des années 1970. On parlait alors de curiosités géologiques. Depuis, les données se sont accumulées et de nombreuses compagnies pétrolières, comme Shell ou Petrobras, investissent dans ce domaine. Aujourd’hui, 1 milliard de francs a été investi dans le monde pour réaliser dans les années à venir l’équivalent d’une quarantaine de forages. «En forant à une profondeur de 4 à 5 kilomètres, on peut atteindre une zone de production où les roches réagissent avec l’eau et avoir ainsi accès à un flux permanent d’hydrogène, souligne Eric Claude Gaucher. Si on prend le pétrole comme référence, on estime qu’il faut une dizaine de puits pour en trouver un ayant une valeur économique. Avec quatre puits d’hydrogène naturel positifs, on pourrait imaginer lancer une filière.»
Celectis: Stocker de l’énergie de manière saisonnière
Etablie à Sion (VS), Celectis développe des systèmes de pile à combustible à haute température pour de la cogénération d’électricité et de chaleur à partir d’un combustible tel que l’hydrogène, le méthane, l’ammoniac ou le bioéthanol. Cette technologie est réversible. Le même système permet également de convertir un excédent d’électricité renouvelable en gaz (hydrogène, méthane, etc.) pour du stockage saisonnier d’énergie. Les rendements peuvent atteindre plus de 60% (électrique), plus de 85% en cogénération (électricité et chaleur) et plus de 90% en mode génération d’hydrogène à partir de vapeur d’eau.
La société travaille également sur plusieurs projets concernant la valorisation du biogaz agricole au travers d’une pile à combustible. «De plus, nous développons un système d’électrolyse alcaline à basse température à partir d’eau pure avec un concept propriétaire totalement nouveau», souligne le cofondateur Steve Joris.
Notamment soutenue par la fondation The Ark et la HES-SO Valais, la start-up a commencé ses activités en automne 2022 et compte pour l’heure quatre employés. L’un de ses principaux mandats est le développement d’un système de piles à combustible à oxydes solides pour la société franco-suisse WattAnyWhere (lire en p. 27) à partir de bio-éthanol pour la recharge de véhicules électriques. Les tests de ce système novateur seront réalisés au sein du laboratoire de la start-up à Sion. Une autre activité importante de la société est le développement d’une plateforme de pré-industrialisation pour piles à combustible et électrolyseurs en collaboration avec le canton du Valais. Elle vient de recevoir près de 1 million de francs de financement de ce dernier et de la fondation The Ark pour construire cette infrastructure à Sion.
Beyond Scroll: Compresser l’hydrogène à basse pression
Cofondée par deux anciens étudiants de l’EPFL, Marianna Fighera et Luis Mendoza, la start-up Beyond Scroll se base sur une technologie de compression de l’hydrogène sans huile, à basse pression et à spirale (d’où le nom «scroll»). Son système permet d’élever la pression d’un gaz en diminuant son volume de manière plus efficace et compacte, ce qui facilite son déploiement dans différentes applications d’énergies renouvelables.
«Nous avons décidé de nous focaliser sur l’hydrogène, car nous avons constaté que nous pouvions apporter beaucoup d’avantages dans la chaîne de valeur», souligne Marianna Fighera. Aujourd’hui, l’hydrogène vert est souvent produit grâce à des électrolyseurs qui fonctionnent à une pression de 30 bars (soit 30 fois la pression atmosphérique), ce qui limite leur efficacité et augmente la complexité, ainsi que le prix. Les compresseurs à basse pression permettent à l’électrolyseur de travailler à pression atmosphérique. Au final, cela diminue la consommation d’énergie nécessaire à la production de l’hydrogène et fait baisser son coût (produire de l’hydrogène par électrolyse revient aujourd’hui environ à 14 francs par kilo, contre 1 à 1,5 franc pour l’hydrogène produit avec de l’énergie fossile).
«Un électrolyseur à 30 bars d’une capacité de 1 mégawatt coûte 1 million de francs, contre environ la moitié avec un électrolyseur atmosphérique», illustre la cofondatrice. Grâce à différents soutiens (Innogrants, FIT), la start-up a pu voir le jour l’année passée sur le site de l’Innovation Park de l’EPFL. Elle vise notamment la clientèle des sociétés de production, de transport et de distribution d’énergie (comme Axpo ou Romande Energie) et travaille déjà avec Snam, principale entreprise italienne de transport de gaz naturel.
Echo: Décomposer l’ammoniac en hydrogène
«Aujourd’hui, il n’existe pas de catalyseur commercial permettant de faire la conversion de l’ammoniac vers l’hydrogène.» C’est en partant de ce constat que le chercheur de l’EPFL Kevin Turani-I-Belloto a décidé de lancer le projet Echo. Son intérêt pour l’hydrogène a débuté dès son plus jeune âge, lorsqu’il a découvert qu’il était possible de créer de l’énergie à partir de l’eau. Il s’est alors fixé comme objectif de trouver une solution viable d’un point de vue économique.
Si aujourd’hui, malgré son fort potentiel de décarbonisation, l’hydrogène peine à décoller, c’est qu’il implique plusieurs inconvénients. En effet, il est difficile de déployer l’infrastructure, en distribuant et produisant au point final. Pourquoi? Car l’hydrogène doit être mis sous pression et qu’il est potentiellement explosif, ce qui complique les choses en termes de stockage, de transport et de coûts. L’ammoniac, qui est la seconde molécule la plus produite dans le monde, permet de résoudre ces problèmes. Cet élément est facile à liquéfier et à transporter via des pipelines, par voie maritime, ferroviaire ou par les routes.
L’idée du projet Echo, qui est soutenu par le Fonds national suisse, consiste à «boucler la boucle» et à revenir en fin de cycle à l’hydrogène. Ce catalyseur, qui pourrait être accessible à la vente d’ici à l’année prochaine, facilite la réaction de décomposition à l’endroit souhaité. A terme, on pourrait imaginer un monde fonctionnant sur le même mode que notre utilisation actuelle de l’essence ou du diesel. Ce qui, en termes de coûts d’infrastructure, pourrait permettre, selon Kevin Turani-I-Belloto, une diminution d’un facteur dix. L’ammoniac pourrait même être transformé en hydrogène à l’intérieur des véhicules.
Les énergies renouvelables ont le vent en poupe, mais qu’en est-il des promesses de la fusion nucléaire, de l’hydrogène naturel ou des carburants de synthèse? Notre dossier.
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