Réveiller le commerce en centre-ville
Moteurs de l’économie nationale, les magasins ne font pas que vendre de la marchandise. Ils jouent aussi un rôle essentiel dans la vie locale et l’attractivité des centres urbains.
«Plus de 300 personnes sont venues à la fête organisée pour la fermeture de la boulangerie. Les participants étaient très émus. Par la suite, nous avons reçu des messages de remerciement durant des mois.» A la fin 2023, les frères Dominique et Jean-Pierre Crettenand ont dû baisser le rideau de manière définitive sur l’enseigne du même nom, fondée en 1920 à Leytron par leur grand-père. Arrivés à la retraite, ils n’ont pas trouvé de repreneurs pour ce commerce pourtant connu dans toute la région. Dominique Crettenand a commencé ses journées à 4 heures du matin durant quarante ans. La nostalgie perce dans la voix: «Dans la boutique, il y avait jusqu’à 12 personnes qui se bousculaient au comptoir. Les gens se retrouvaient ensuite au café voisin.» Avec la fin de la boulangerie, c’est une page de l’histoire du village qui se tourne.
Cet exemple démontre que le commerce de détail, c’est bien davantage que l’échange d’un produit contre une somme d’argent. C’est aussi un lien social, un environnement convivial et un pilier de la vie locale. C’est aussi un pan de l’économie helvétique qui pèse 6% des emplois, soit presque autant que l’industrie chimique et pharmaceutique. Au début des années 2000, l’apparition du commerce en ligne a créé un choc qui a conduit à une vague de fermetures. Le secteur fait actuellement face à une aggravation de la crise. En témoignent les disparitions récentes d’enseignes bien établies comme Esprit, Franz Carl Weber, Yves Rocher ou encore Habitat Suisse, pour ne citer qu’elles.
«La fin du taux plancher du franc face à l’euro en 2015 a marqué une accélération du phénomène en alourdissant les coûts des importations», observe Anne-Lise Noz, présidente de la Fédération vaudoise du commerce de détail. Et depuis, les crises se succèdent: covid, inflation et bond des coûts de l’énergie, conflits en Ukraine et au Proche-Orient, entre autres.
Néanmoins, le commerce de détail résiste. Directrice de Swiss Retail Federation, Dagmar Jenni affirme: «Il y aura toujours des magasins dans les villes, parce que tout le monde a besoin de voir des gens.» Selon l’étude Omni-Channel Management 2024 de l’Université de Saint-Gall, près d’un tiers des personnes interrogées en Suisse font leurs achats exclusivement en magasin. Les sondés disent apprécier les interactions avec le personnel de vente et les possibilités de conseil. Selon les derniers chiffres de la faîtière, les dépenses par carte dans les commerces ont progressé de 4% au premier trimestre 2024, par rapport au même trimestre de l’année précédente. Dagmer Jenni décrypte: «Cette évolution montre que le commerce stationnaire garde tous ses atouts face à la concurrence de la vente en ligne.»
Quelque 15% du PIB suisse
En 2023, le commerce de détail représentait quelque 15% du produit intérieur brut (PIB) suisse avec un chiffre d’affaires d’environ 100 milliards de francs. Ce secteur est l’un des plus gros contributeurs à la production de valeur helvétique, avec l’industrie manufacturière (18,9%). Dominé par Migros (30 milliards de francs de chiffre d’affaires/98 000 employés) et Coop (34 milliards de francs de chiffre d’affaires/95 000 employés), le commerce de détail compte au total 35 000 entreprises.
Principal employeur de l’économie privée
En Suisse, les personnes employées dans le commerce de détail sont plus de 300 000, soit l’équivalent de 6% de la population active. Ce chiffre en fait l’un des plus grands employeurs privés du pays. Les secteurs de l’enseignement et de la construction occupent un nombre similaire de travailleurs en Suisse.
Des collaborateurs peu fidèles
Dans le commerce de détail, le taux de rotation du personnel s’élève à quelque 6,5%. Près de 2,6% de ces mouvements consistent en des changements de branche, tandis que 2% correspondent à des départs à la retraite et 1,7% à des passages au chômage. Ce taux est légèrement supérieur à la moyenne des secteurs, mais reste en deçà de celui de la restauration, qui enregistre traditionnellement une fluctuation importante.
Comment redynamiser le commerce local
Des professionnels livrent leurs recommandations pour soutenir les petits commerces des centres, clé de voûte de l’attractivité locale des villes.
1. Améliorer l’accessibilité aux centres-villes
Nos interlocuteurs sont unanimes. Aussi innovants et performants soient-ils, les commerces n’ont aucune chance de perdurer si l’on multiplie les entraves d’accès à leurs vitrines. La voiture, c’est là un gros sujet qui fâche. Dans les villes européennes, la tendance urbanistique de fond est de bannir l’automobile des centres-villes. Ce projet fait l’objet d’un consensus politique rose-vert pour des raisons écologiques comme de qualité de vie. Or bien des magasins peinent à surmonter cette nouvelle donne. Certes, personne ne veut revenir à la ville sacrifiée à l’automobile des années 1980 et 1990. En revanche, il existe un grand potentiel dans la façon dont on va placer le curseur entre l’interdiction stricte des véhicules et une certaine tolérance à leur présence.
Présidente de la Fédération vaudoise du commerce de détail, Anne-Lise Noz se réfère à une étude réalisée en 2022 par l’institut d’analyse français Mytraffic. Celle-ci souligne: «La voiture reste le mode de transport privilégié pour faire ses courses, et la facilité d’accès demeure un atout clé pour les ‘retail parks’. Des parkings gratuits, ergonomiques, équipés de bornes de recharge, et des voies d’accès proches des grands axes routiers sont autant de facteurs d’attractivité.»
Egalement présidente de la Société coopérative des commerçants lausannois, Anne-Lise Noz reprend: «Le transfert des trajets en voiture vers les transports publics et la mobilité douce se fait essentiellement de manière punitive, avec la suppression des places de parc dans les centres. Il serait plus productif d’accompagner ce processus avec des incitatifs positifs et des mesures d’accompagnement.»
Ces incitatifs seraient par exemple des bons pour les trajets en transport public et les parkings relais situés en périphérie. Des possibilités de transports adaptées doivent aussi être mises sur pied. A Ljubljana, en Croatie, des navettes électriques gratuites circulent dans le quartier piétonnier pour aider les citoyens à transporter leurs courses. A Montpellier, des véhicules accessibles à tous desservent 24 arrêts dans le centre-ville et circulent du lundi au samedi de 7 h à 20 h.
«Pour sauver la situation, nous avons besoin de l’appui des pouvoirs publics», ajoute Anne-Lise Noz. Elle rêve de collaborations entre les autorités et les détaillants qui porteraient autant sur les ramassages des poubelles que l’accessibilité des zones de chalandise, comme c’est le cas dans les zones commerciales citées en modèle par les études. L’institut Mytraffic identifie la gouvernance dans les zones d’activité comme une condition de base au dynamisme. Dans les zones qui ont le mieux rebondi, propriétaires immobiliers et utilisateurs travaillent de concert avec les collectivités, pour préserver la qualité des espaces publics et lancer des projets structurants.
En Espagne, la ville de Pontevedra signe une réussite qui fait école avec l’aménagement d’un centre piétonnier tolérant à la présence de l’automobile. Anne-Lise Noz souligne: «Le résultat, c’est que la population fait ses courses dans les petits commerces du centre en sortant du travail au lieu d’aller se parquer dans un hypermarché de la couronne urbaine.»
Sur le front du commerce en ligne, des politiciens s’engagent contre la menace des géants chinois comme Temu ou Shein avec leurs prix plancher. Swiss Retail Federation dénonce une distorsion de la concurrence car les commerçants suisses doivent respecter des règles strictes sur la sécurité des produits, contrairement aux plateformes internet. La faîtière salue deux interpellations remontant au début de 2024, émanant du conseiller national Benjamin Roduit (Le Centre/VS) et de la conseillère aux Etats Tiana Angelina Moser (PVL/Zurich). Par ce biais, les élus demandent des réponses au Conseil fédéral sur la sécurité des produits des sites étrangers et réclament que tous les acteurs du marché soient mis sur un pied d’égalité.
2. Réserver les vitrines aux commerces
En matière de soutien au commerce de détail, la ville de Neuchâtel a fait œuvre de pionnière avec une modification du règlement communal d’aménagement adoptée en février dernier. A l’avenir, les rez-de-chaussée du centre-ville devront être affectés à des activités et à des commerces qui participent à l’animation de la rue. Cette disposition sera appliquée dans la zone piétonne du centre. L’objectif est de lutter contre les vitrines borgnes et de conserver une attractivité commerciale.
Le danger d’une telle évolution est flagrant dans le quartier lausannois de la Cité. Un temps nichés au pied de la cathédrale, les boutiques et petits magasins qui animaient les rues ont fermé les uns après les autres, remplacés par des bureaux d’architectes, de design et de communication. Des activités qui se déroulent sans échange avec les passants. Résultat, la zone a perdu son attrait pour les visiteurs, qui désertent ces rues pittoresques.
A Neuchâtel, Violaine Blétry-de Montmollin a lancé des mesures pour éviter une évolution similaire. «La fermeture récentes des enseignes Nature & Découvertes et Esprit au niveau suisse va libérer des vitrines dans le centre. Vu les difficultés que traverse le commerce de détail, il y a un grand risque que ces magasins soient remplacés par des bureaux», explique la libérale-radicale, membre de l’exécutif communal. Approuvée par le législatif, cette mesure urgente a rallié l’ensemble des partis politiques. Concrètement, le texte signifie que les autorités refuseront en principe aux propriétaires immobiliers tout changement d’affectation des surfaces allouées aux commerces. L’efficacité d’une telle initiative visant à lutter contre les vitrines borgnes se révélera au cours de l’automne.
3. Aménager des halles et des food courts
«Le samedi, les allées sont bondées. Les gens viennent faire leurs courses dans une ambiance de fête et s’arrêtent ensuite aux tables pour déguster leurs achats», raconte Loan Sterchi, patron de la Maison du Fromage. Au cœur de La Chaux-de-Fonds, la Hall’titude a ouvert ses portes en 2018. C’est un marché couvert qui réunit cinq commerçants indépendants: un fromager, un primeur, un boucher, un poissonnier et un boulanger. On y trouve aussi le restaurant la Halle des Sens. Agé aujourd’hui de 36 ans, Loan Sterchi est la cheville ouvrière de ce projet de halle, aujourd’hui cité en modèle dans toute la région. Issu de la quatrième génération, il a lancé l’idée d’une halle au moment où il a fallu relocaliser la fromagerie familiale. «Mon père était un fan des halles alimentaires. J’en ai entendu parler toute mon enfance.»
L’avantage d’un marché couvert, c’est qu’il permet de faire l’ensemble de ses courses au même endroit, au même titre qu’un hypermarché. Ce concept bien établi en France peine à trouver sa place en Suisse. «C’est regrettable car le fait de se regrouper entre artisans génère une vraie dynamique», prolonge Loan Sterchi. Les animations font le tour des quatre saisons à l’espace de la rue de la Serre. Soirées grillades, fruits de mer, vins-fromages associent l’ensemble des commerçants. L’endroit est aussi apprécié pour les événements d’entreprise, grâce à des offres sur mesure développées par la jeune équipe qui fait tourner cet ancien entrepôt à pommes de terre, fruits et légumes.
La réussite de ce modèle fait école dans nombre de villes européennes et accumule les succès de Lisbonne à Oslo, en passant par Lyon et Dijon, plus près de chez nous. A Bruxelles, le food market Fox fait le plein de visiteurs tous les week-ends. Au cœur de ce bijou d’architecture qui abritait autrefois la compagnie d’assurances Royale Belge (devenue AXA) se déploie un concept «streetonomie». L’idée est d’allier la street food à de la bistronomie à prix abordable – avec notamment un ancien candidat de l’émission TV Top Chef. Au total, 12 stands occupent cet espace de près de 1500 m² avec 750 places assises dont 300 situées sur la terrasse plein sud.
4. L’atout décisif de l’accueil
«Une bonne vendeuse ou un bon vendeur, c’est un peu comme un psy à qui on raconte sa vie. Chez le fleuriste, on partage les grandes étapes de la vie, comme les mariages ou les naissances. Chez le poissonnier, on échange des recettes et des souvenirs de repas mémorables où une touche de fleur de sel a fait toute la différence. La valeur ajoutée d’un petit commerce, c’est avant tout de la chaleur humaine.» A la tête du fleuriste Royal Bloom à Lausanne, Lois Vitry-Trapman affiche des affaires solides dans un métier soumis à rude épreuve.
Une des clés de la réussite qu’elle revendique, c’est la qualité de l’accueil. Cet aspect constitue aussi un défi compliqué à relever car le secteur connaît un taux de rotation très élevé (6,5%). «Fidéliser le personnel demande un réel investissement», souligne cette entrepreneuse formée à l’EHL de Lausanne. Les salaires et les vacances qu’elle offre sont supérieurs aux minima prévus dans la branche. Elle organise aussi des séjours professionnels à l’étranger, ce qui amène une indéniable dimension plaisir. «Avec notre équipe de fleuristes, nous sommes récemment partis suivre une formation en Bourgogne.»
L’étude Retail Outlook 2023 de Credit Suisse considère l’aspect des ressources humaines comme l’un des principaux défis que doit relever le secteur. Les entreprises du commerce de détail et des biens de consommation doivent penser à de nouvelles approches pour attirer et fidéliser leurs collaborateurs dans un contexte tendu sur le marché de l’emploi. Parmi les démarches jugées particulièrement efficaces figurent une culture de management valorisante, des modèles de travail flexibles et des opportunités de formation continue. Pour faire face à l’insuffisance de la relève, les employeurs ont des efforts à faire pour améliorer leur attractivité. Comprendre les besoins des salariés et des nouvelles générations est un facteur déterminant pour la pérennité des enseignes.
D’une taille équivalente à la ville de Fribourg, la cité espagnole de Ponte-vedra a lancé au début des années 2000 une expérience qui a redynamisé le commerce local, tout en améliorant la qualité de vie. Le centre est devenu entièrement piéton, tandis que quelque 8000 places de parc gratuites étaient créées à la périphérie, pour quelque 80'000 habitants. Avec une capacité de parking correspondant à 10% de la population, il n’y a jamais de problème de surcharge. Les utilisateurs font la suite du trajet à pied et marchent rarement plus de 15 minutes pour rejoindre leur but. Une politique porteuse car en quinze ans, cette bourgade galicienne a attiré 10'000 nouveaux habitants, rapporte l’émission Tout compte fait de France Télévisions.
Une telle réussite passe aussi par des mesures drastiques. Afin de favoriser les petites enseignes, la ville a interdit toute construction de nouvel hypermarché. De leur côté, les voitures
sont autorisées à accéder aux ruelles du centre pour charger des marchandises. Mais si le stationnement dépasse les 15 minutes imparties, une patrouille dédiée à cette tâche inflige 200 euros d’amende. Dans la hiérarchie du trafic, les piétons arrivent en tête, puis les vélos et les transports publics et, enfin, la voiture.
Cette politique a été lancée par le maire du Bloc nationaliste galicien (gauche) Miguel Fernandez Lores. Celui-ci a été élu sur la base de ce programme en 1999. Cet ancien médecin a été reconduit à la tête de la ville de Pontevedra à chaque élection depuis vingt-cinq ans.
5. Exploiter la valeur ajoutée du conseil
«Le conseil d’un vendeur compétent est une réelle valeur ajoutée. En Valais, où l’on pratique énormément d’activités sportives, présenter au client le matériel qui lui correspond au mieux sollicite une réelle expertise de la part des commerçants. C’est en même temps une condition de base pour que la pratique du sport puisse se faire dans de bonnes conditions», pointe Eric Bianco, chef du Service de l’économie, du tourisme et de l’innovation du canton.
Escalade, trail, VTT, randonnée à ski: les sports de montagne s’accompagnent aujourd’hui de pléthore d’équipements. Des univers où la clientèle peut se sentir désorientée et investir dans des articles inadéquats, sans les recommandations d’un spécialiste. Face à des grandes surfaces où le conseil fait souvent défaut, les petits commerçants ont une carte à jouer en misant sur un personnel qualifié, qui pratique les activités sportives et a une expérience du matériel proposé. Eric Bianco détaille: «L’objectif primordial est de sortir de la standardisation. Il existe un créneau fructueux pour les enseignes spécialisées et bien situées qui peuvent offrir un service personnalisé.»
La valeur essentielle du conseil s’étend bien au-delà du domaine sportif, comme en atteste Olivier Zuretti, à Neuchâtel. «Le détaillant a un rôle à jouer en tant que conseiller, en permettant au client de toucher et d’essayer les produits. L’expérience d’achat s’accompagne d’un échange, chose que l’on ne trouve pas sur internet.» Représentant de la quatrième génération, Olivier Zuretti dirige avec sa sœur Florence l’enseigne Biedermann, spécialisée dans les sacs de voyage. Le président de la Fédération neuchâteloise du commerce indépendant de détail ajoute: «Un achat dans une boutique offre du relationnel avec le client, de la chaleur humaine. La cliente ou le client est également gratifié par la reconnaissance du commerçant.»
6. Créer des événements festifs
«Sans les First Fridays, certains magasins biennois auraient sans doute dû baisser définitivement le rideau durant la période du covid. La fidélité qu’a montrée la clientèle doit beaucoup aux liens noués durant ces soirées festives», témoigne Olivier Paratte. Ce manager culturel de métier est l’un des cofondateurs des First Fridays à Bienne, avec deux amis de longue date, Reto Bloesch et Patrick Weiss. Le premier vendredi de chaque mois, par canicule comme par grand vent, la vieille ville de la cité bilingue se transforme en une scène de spectacle. Importé d’Honolulu, l’événement mensuel a été lancé en 2016 dans le Jura bernois. Dernièrement, Schaffhouse s’est inspirée de ce succès pour lancer sa propre déclinaison.
La ville contribue à hauteur de 20'000 francs. Le reste du budget est assuré par du sponsoring et des dons privés. Les dernières éditions estivales ont attiré jusqu’à 10'000 visiteurs dans les rues. «A cette occasion, les habitants font la connaissance de vendeurs de machines à coudre, d’orfèvres et de restaurateurs. Même si les achats n’ont pas lieu le soir même, les retombées financières sont importantes par la suite», affirme Olivier Paratte.
L’expérience biennoise démontre que le terroir et l’identité locale sont toujours des valeurs fortes, en dépit de l’omniprésence des marques globales. Olivier Paratte ajoute: «Les consommateurs ne veulent pas seulement faire des achats sur internet. La population veut aussi vivre des expériences et faire des rencontres. Un aspect où le commerce local joue un rôle clé.»
A Berne, le parlement étudie différents aménagements pour soutenir le commerce de détail. Le Conseil national s’est d’ores et déjà prononcé en faveur de l’ouverture des petites enseignes le dimanche dans les villages, sur une motion de Philippe Nantermod (PLR/VS). «Dans le contexte actuel, la plus grande chance pour les petits commerces est de se positionner sur des marchés où
ils peuvent mettre en valeur des avantages concurrentiels forts. L’ouverture dominicale ou les horaires élargis le soir et la nuit sont des domaines où ils peuvent se distinguer face à la grande distribution», développe le conseiller national valaisan. De leur côté, les syndicats, furieux, martèlent leur opposition à ce projet. Cet aménagement reste pour l’heure de la musique d’avenir car son application nécessite une modification de la loi sur le travail. Une votation populaire est loin d’être exclue.
7. Surfer sur le boom des soins esthétiques
Tandis que les quincailleries et les librairies ferment définitivement leurs portes, les enseignes de soins esthétiques et magasins de produits de beauté fleurissent à tous les coins de rue. Les activités vont des ongleries aux studios de blanchissage de dents, en passant par les barbiers et les spécialistes des implants capillaires. Si la clientèle était encore récemment constituée surtout de femmes adultes, elle s’étend maintenant aussi aux jeunes filles. Formatrice à l’Association suisse d’esthéticiennes propriétaires d’instituts de beauté (Asepib), Christine Braendli observe: «Aujourd’hui, les femmes commencent les traitements anti-vieillissement pour la peau à l’âge de 25 ans.» L’Asepib a gagné une centaine de membres pour atteindre un effectif total de 800 adresses en une année. Christine Braendli commente: «Due en partie à un changement de législation, cette progression atteste néanmoins du boom du secteur.»
Professeur à la Haute Ecole de gestion Arc, Nicolas Babey confirme: «Les commerces traditionnels ont en grande partie cédé la place à des activités de soins du corps.» Les hommes sont maintenant aussi demandeurs, notamment en matière d’épilation, souligne Christine Braendli. La tendance doit s’intensifier, si l’on en croit une étude de Persistence Market Research citée par le cabinet français C-Ways. Estimée à 6% de la part totale des soins, la proportion des soins masculins devrait grimper de 8% par an jusqu’à 2031. Le rapport anticipe que les ventes mondiales sur ce marché, qui atteignent aujourd’hui 55,5 milliards de dollars, doubleront d’ici à 2031. Le marché des soins pour homme représente aujourd’hui 10% du marché global des soins. Comment expliquer cette ruée sur les soins esthétiques? «Les réseaux sociaux, certainement, répond Nicolas Babey. La population est toujours plus obsédée par son image, galvanisée par l’exemple de ces stars qui ne vieillissent pas.»
8. Flatter les palais des bobos
Parmi les nouvelles enseignes qui se font une place de choix dans les centres-villes, les boutiques de poke bowls, thés matcha ou spécialistes du café se taillent une place de choix. «C’est une tendance actuelle lourde dans les villes suisses. Un grand nombre d’arcades sont reprises par des fournisseurs de restauration qui s’ancrent dans des créneaux de niche», pointe Nicolas Babey. Nombre de ces lieux sont des take away. Ces adresses n’offrent pas forcément d’espace réservé à la consommation. Elles s’adaptent ainsi aux habitudes de consommatrices et consommateurs constamment en mouvement, qui n’ont que peu de temps pour se nourrir à la mi-journée.
Gros bol de riz coiffé de poisson cru et d’edamame, des graines de soja, le poke bowl a désormais supplanté les hamburgers et les kebabs, surfant sur l’attrait d’une nourriture plus saine. Fondée à Neuchâtel en 2019, Happy Bowl compte aujourd’hui une dizaine de points de vente en Suisse romande, avec deux nouvelles ouvertures prévues ces prochains mois. Après avoir observé que la tendance des poke bowls fonctionnait bien en Espagne, Jeanne Ganaj et son mari, qui s’étaient jusque-là spécialisés dans la livraison de pizzas, décident de démarrer leur nouvelle activité. En quelques mois, les commandes de poke bowls dépassent celles de pizzas, ce qui les incite à franchiser leur concept.
Aujourd’hui, 80% du chiffre d’affaires est réalisé à midi. Dans la plupart des enseignes, il est possible de consommer sur place. Toutefois, la majorité des ventes se fait à l’emporter ou en livraison. Malgré quelques contretemps liés à des erreurs de casting de franchisés et des fermetures de points de vente situés dans des zones rurales, les affaires sont au beau fixe. «Le covid a changé les habitudes de consommation des gens, cela nous a beaucoup aidés», souligne la fondatrice, qui a néanmoins ressenti un léger recul des ventes lorsque les prix, notamment ceux de l’électricité, ont augmenté ces dernières années.
Afin d’améliorer leur visibilité en ligne, beaucoup de ces nouvelles enseignes collaborent avec des entreprises de livraison de plats cuisinés comme Just Eat ou Uber Eats. Elles peuvent néanmoins choisir de travailler avec leurs propres livreurs, comme le fait Happy Bowl, ce qui diminue la commission à verser pour chaque commande.
L’équipementier français Decathlon applique une stratégie qui paraît à contre-courant des tendances actuelles où les magasins de sport plébiscitent les grandes surfaces à la périphérie des centres. La firme a ouvert ce printemps un magasin «format City» à Confédération Centre, en plein centre de Genève (photo). En Suisse, l’enseigne, qui réunit plus d’une trentaine de points de vente, compte ouvrir quatre nouveaux magasins cette année. Autre originalité, le groupe exploite des «formats Mountain» à Zermatt, Crans-Montana et Davos, disputant le marché aux magasins de sport historiques locaux. Le premier Decathlon de Suisse a ouvert en 2017 à Marin-Epagnier (NE), il y a tout juste sept ans. La société signe ainsi une expansion helvétique fulgurante.
«La demande de notre clientèle urbaine est forte. Les résultats réjouissants des dernières ouvertures nous ont conduits à compléter notre réseau avec des magasins implantés dans les centres-villes», explique Thomas Portenseigne, responsable du marketing et de la communication de Decathlon Suisse.
Ce qu’apprécie la clientèle, c’est une offre adaptée aux besoins locaux en disponibilité immédiate, avec des possibilités de livraison gratuite en 12 heures. «Nous proposons une réponse pratique en équipements et services sportifs aux urbains qui habitent ou travaillent en ville. La clientèle apprécie la relation de proximité, avec notamment des prestations de réparation express, la location, le test de produits», prolonge Thomas Portenseigne. Acteur global, Decathlon compte 1700 magasins dans le monde, dans 57 pays.