«Il y a moins d’un an, 80% de mes mandats provenaient de PME. Aujourd’hui, c’est l’inverse: 80% des demandes sont issues de grands groupes qui peinent à recruter ou de cadres souhaitant les quitter pour des entreprises plus petites, note Charlotte Vitoux, chasseuse de têtes dans la région lémanique et à l’international. La baisse d’attractivité des groupes est visible également dans leurs annonces, qui restent ouvertes désormais plusieurs mois. Ce n’est pas bon signe. C’est comme un bien immobilier qu’on n’arrive pas à vendre.» Une situation confirmée par un sondage de JobCloud mené en 2021, qui mentionne que seuls 11% des chercheurs d’emploi en Suisse souhaitent travailler pour un groupe.
Le cabinet Deloitte met aussi en avant cette tendance autour des grands employeurs dans son étude publiée en 2023 sur la génération Z et les millennials en Suisse. Sa conclusion: mission, flexibilité, développement, autonomisation sont les critères recherchés, aussi bien par les moins de 45 ans que par la plus jeune génération. Quatre valeurs qui, comme on le verra dans les témoignages, font souvent défaut dans les multinationales.
«La longueur des processus de recrutement des grands employeurs est aussi un frein, pointe Cédric Perrin, recruteur depuis plusieurs décennies. De par leur taille, les PME sont réactives et plus flexibles.» Les professionnels de l’emploi sont ainsi directement confrontés à ces nouveaux choix de carrière. Charlotte Vitoux le confirme: «C’est une vraie tendance de fond, quels que soient son expérience ou son poste. Le télétravail a généré beaucoup d’envies: celles de travailler différemment, d’être écouté et d’avoir un impact. C’est plus facile dans une petite structure. Une nuance cependant concernant le fantasme de la start-up cool: elle séduit moins qu’à une période. Beaucoup en sont revenus. La PME est devenue LA structure attractive.»
Dès lors, est-ce une bonne idée de faire le pas? A quoi s’attendre et tout le monde est-il adaptable à un autre écosystème? Si des pistes de réponse se trouvent dans ce dossier, interrogez-vous au préalable sur vos besoins en autonomie, en routine, vos contraintes géographiques et financières et si cela a de l’importance pour vous de travailler pour un grand nom.
- Un emploi sur deux Selon la dernière statistique structurelle des entreprises de l’Office fédéral de la statistique (STATENT, 2022), plus d’un emploi sur deux en Suisse se trouve dans une structure de moins de 250 collaborateurs, soit 66,9% (3 159 855 emplois), contre 33,1% (1 598 405 emplois) pour les entreprises de plus de 250 collaborateurs.
- Que préfèrent les jeunes? Les entreprises de 10 à 49 collaborateurs sont préférées par toutes les tranches d’âge, mais en particulier par les jeunes de 16 à 24 ans. Ils sont 36% à privilégier ce type de structure pour leur choix professionnel, selon l’enquête 2021 de JobCloud.
- La Suisse, leader de la PME Le chiffre de 33,1% d’emplois dans les grandes entreprises est spécifique à la Suisse. A l’étranger, notamment en France et en Allemagne, les emplois dans les groupes (<250 emplois) concernent tout de même 40% de la population active, selon Eurostat.
- Plus de 62 420 PME créées en dix ans Entre 2011 et 2021, plus de 62 420 PME ont été créées en Suisse, générant 226 744 emplois supplémentaires en dix ans, selon les chiffres de l’OFS repris par Die Volkswirtschaft. Les PME actives dans la santé et la construction sont celles qui enregistrent la plus forte croissance au regard du nombre d’emplois.
AVANTAGES ET INCONVENIENTS EN 10 POINTS
Visiblement, le sujet interpelle. PME a reçu de très nombreux témoignages à la suite de son appel sur LinkedIn. Beaucoup ont fait le pari de renoncer à une position confortable dans une entreprise de plusieurs milliers d’employés, voire plus, pour s’immerger dans le quotidien d’une structure de moins de 250 collaborateurs ou d’une micro-entreprise. Quel est l’impact sur leur vie, aussi bien professionnelle que privée?
1. Cadre et horaires de travail
Pauline Musy-Wirz, fondatrice de l’agence de voyages Trip-It-Up, a quitté un poste à responsabilité chez Nestlé il y a six ans. Egalement coach à FriUp, elle est régulièrement questionnée sur ce changement de cadre professionnel. «Certains de mes collaborateurs sont des nomades digitaux. Une petite structure acceptera plus facilement des horaires et un lieu de travail différents. Dans une multinationale, tout est plus figé», constate-t-elle.
La majorité des témoignages reçus vont dans ce sens. Certes, les bureaux des grandes entreprises sont parfois magnifiques, avec un restaurant sur site, un département informatique, un service de mobilité et des congés sabbatiques attrayants. Mais il y a souvent des frictions sur le temps partiel, les horaires et le télétravail.
Nicolas Corod a passé d’une position de manager dans une banque à la scale-up vaudoise Olympe. Il apprécie ce nouveau cadre, moins formel: «Je suis libre d’organiser mes heures et mon lieu de travail selon les besoins de mon activité. Cette flexibilité, que mon ancien poste à la banque me permettait peu, améliore même ma productivité.» Il voit en outre l’impact et le sens de chacune de ses actions.
Si, la plupart du temps, les grands groupes investissent davantage dans la qualité des infrastructures, cet environnement ne fait pas tout. Plusieurs ex-salariés de grosses compagnies évoquent même des apparences un brin trompeuses. «Il y a des ressources importantes, mais tellement de politique et de procédures qu’il est difficile d’y accéder. Dans une petite structure, on a davantage d’influence pour changer et obtenir quelque chose», estime Per Mårtensson, Chief Revenue Officer de Bcomp, une cleantech fribourgeoise passée en six ans de 10 à 90 collaborateurs. Auparavant, il travaillait pour le groupe international Volvo.
2. Autonomie et polyvalence
L’autonomie au travail est souvent mentionnée comme un atout des petites sociétés. Qu’en est-il sur le terrain? «J’ai beaucoup d’idées et, dans une grande organisation, il y a trop d’inertie et de blocages, remarque Andrea Grini, qui a racheté la société de son père, GNT Groupe, 13 personnes, après avoir travaillé pour la société d’audit Forvis Mazars, 40 000 collaborateurs dans le monde. Dans une PME, on est plus autonome et on voit plus rapidement les projets avancer. Attention, liberté ne veut pas dire aucune structure. Et les PME en manquent parfois.» Il ne préconise pas toutefois de tomber dans la rigidité administrative reprochée aux macro-entreprises.
Corollaire de l’autonomie, le fait de devoir apprendre à se débrouiller seul et devenir multitâche. «Il faut énormément de résilience et de polyvalence quand on est petit, car on est continuellement dans l’adaptation», poursuit Andrea Grini. Au quotidien, passer de la grande structure à la petite équivaut donc à une perte de stabilité. Cela convient aux profils opérationnels et larges, moins aux spécialistes.
«Quand j’appuie sur le bouton, il y a quelque chose qui bouge et c’est hyper-satisfaisant.»
Et c’est tant mieux, aux dires de Pauline Musy-Wirz: «La polyvalence est le premier critère que je recherche lorsque j’engage pour ma start-up, relève l’ancienne RH de Nestlé. Cela déstabilise ceux qui sont habitués à avoir un cahier des charges précis. Il faut être capable d’évoluer rapidement dans une petite structure, sinon on ne trouve pas sa place.» Le manque d’agilité d’un collaborateur façonné par un grand groupe est relevé par plusieurs employeurs interrogés, dont Andrea Grini: «Engager une personne issue d’une multinationale est un risque, car elle est habituée à certains outils et modèles, sans être forcément capable de les challenger.»
Pour Séverine Felley, ancienne DRH chez Vacheron Constantin et ex-membre du comité de direction, «il s’agit d’un cliché. Il y a aussi des personnes très polyvalentes dans les groupes.» Il est toutefois vrai que, dans sa nouvelle vie de consultante, la diversité de ses tâches s’est élargie avec des compétences en marketing, en comptabilité, en contrat et en développement personnel.
3. Stimulation ou routine
Aimez-vous plutôt la routine ou les challenges? La question est essentielle. Projets enlisés, validations à répétition et processus routiniers sont associés aux grandes compagnies, à tort ou à raison. Une chose est sûre, plus on est petit, plus on est agile, mais avec des moyens financiers et humains limités.
«Quand j’appuie sur le bouton, il y a quelque chose qui bouge et c’est hyper-satisfaisant», image Andrea Grini. Même sentiment pour Nicolas Corod, malgré une perte d’un tiers de son salaire: «Il y a un côté structuré très limitant dans les grands groupes. En quittant la banque, j’avais envie d’être aux prises avec la réalité du terrain.» Aujourd’hui responsable des opérations chez Olympe, il a vu la start-up se transformer afin de retrouver une croissance organique saine. «J’ai vécu la réalité d’un marché serré. Tout le monde n’est pas fait pour ça», précise-t-il. Certains préfèrent la routine et la stabilité.
Christian Mur, responsable du programme start-up de Microcity, a fait toute sa carrière ou presque chez Nestlé, à l’étranger principalement. Il nuance la vision dynamique et stimulante de la petite structure, notamment de la PME. «Dans une PME, on cherche une personne qui a de l’expérience pour un poste. Elle fera ainsi ce qu’elle faisait déjà ailleurs, sans chercher à intégrer de nouveaux modèles. Tout fonctionne en silo. La start-up est différente, elle bouge continuellement. Pour les grands groupes, les possibilités de mobilité et d’évolution sont quasi infinies et les finances suivent, mais cela prend du temps», défend-il. Des propos qui ne font pas l’unanimité mais ouvrent le débat. Un conseil, dès lors: avant de changer, regardez l’évolution des collaborateurs engagés depuis quelques années dans la société visée, pour en comprendre la dynamique. Certaines PME sont en effet conservatrices et peu à la pointe. Cela collera bien à un profil appréciant la routine, mais les PME innovantes existent aussi et vous bénéficiez à la fois de stimulations et de sécurité.
Modèle hybride win-win
Pour rester attractifs et ne pas perdre leurs talents, certains grands groupes optent pour des alternatives novatrices. Ils acceptent de réduire le temps de travail de collaborateurs qui lancent leur start-up. C’est le cas de La Poste Suisse et de certaines banques privées.
Ainsi, Alexandre Staub, qui fait partie de l’état-major de La Poste en tant que manager de l’open innovation, a pu monter en parallèle sa start-up Evolium Technologies, qui redonne une seconde vie aux batteries. «Les deux activités se nourrissent mutuellement, assure-t-il. A la start-up, j’apporte les méthodes d’un grand groupe, tandis que le dynamisme et l’esprit entrepreneurial se retrouvent dans mon rôle à La Poste. Celle-ci se positionne comme attractive et flexible auprès de ses collaborateurs.»
4. Responsabilité et impact
Le sentiment de manque d’impact, c’est le point noir des groupes. Etre proactif, prendre des initiatives et les voir valorisées est un doux rêve dans la majorité des grosses structures plutôt pyramidales. Si tout un système de communication existe pour faire remonter les suggestions, la réalité ressemble plutôt à un labyrinthe.
Le temps décisionnel long et l’impression de n’être qu’un numéro sont aussi largement reprochés aux grandes entreprises. «Si je ne faisais pas un travail, il passait sur le bureau de quelqu’un d’autre», relèvent plusieurs ex-cadres de multinationales. Les changements de CEO fréquents, le manque de reconnaissance pour le travail fourni et un décalage entre la direction et les employés sont aussi déplorés, notamment par Ana-Rita Neto, vice-directrice Suisse romande du groupe Regent Lighting. Elle a désormais fondé sa propre société, ARN Light.
L’absence d’implication stratégique, y compris à des postes de direction, ainsi que la déconnexion avec la réalité du terrain diminuent l’attrait des grandes structures. Comme les autres, Aurore Müller-Gaudard, qui a repris la PME familiale Gaudard Energies après douze ans chez Nestlé, apprécie de retrouver de l’efficience. «Dans un groupe, on n’a pas une vue complète des pertes et profits. On n’a pas conscience de la chaîne des coûts, non plus. Dans la petite structure, on est obligé d’être beaucoup plus efficient. On apprend aussi en faisant des erreurs. Par exemple, craignant la pénurie de panneaux PV, j’en ai commandé un stock important. Il nous a fallu du temps pour les écouler et cela a immobilisé beaucoup de cash», explique-t-elle de manière concrète.
Christian Mur complète la remarque. «Dans une structure modeste, une petite erreur peut faire de gros dégâts tandis que, dans un groupe, tout est dilué. La prise de décision y est aussi davantage partagée. Tandis que, dans une PME, le propriétaire décide de tout», estime-t-il. Per Mårtensson résume avec humour: «Dans une PME, on a le pouvoir d’influencer les choses et de changer la destinée de l’entreprise, que ce soit la faillite ou le succès!»
5. Evolution et promotion
Reste-t-on plus longtemps à un poste dans une PME? A regarder LinkedIn, la réponse serait oui et, dans bien des cas, c’est vrai. La réalité du terrain montre cependant également un plafond hiérarchique tenace dans les groupes et des modèles d’évolution variés et plus rapides dans les petites structures. Les possibilités de MBO (rachat par les collaborateurs), d’intéressement sérieux à l’actionnariat et/ou à la stratégie existent davantage chez les petits. Dans un groupe, on proposera des participations minoritaires à l’actionnariat en guise de bonus.
«Dans une PME, chacun est plus visible et les promotions ont une fonction réelle dans l’entreprise.»
«Il y a plus de possibilités dans un grand groupe et beaucoup d’opportunités de carrière, à l’étranger et sur différents produits, note la chasseuse de têtes Charlotte Vitoux. Il y a toutefois davantage de blocages et de promotions alibis. Dans une PME, chacun est plus visible et les promotions ont une fonction réelle dans l’entreprise.» Ainsi, une majorité écrasante de notre panel a progressé, concrètement et plus rapidement, après avoir quitté une grosse organisation. Tous et toutes ont par ailleurs acquis un ensemble de compétences nouvelles.
«Il n’y a pas que les lignes sur le CV qui comptent pour évoluer ou être engagé dans une PME. On peut accéder à certains postes de direction en ayant été formé sur le terrain», relèvent plusieurs petits employeurs interrogés. «Je regarde l’état d’esprit, la débrouillardise et l’envie d’entreprendre avant le CV, confirme Pauline Musy-Wirz. Ce sont des qualités qui ne sont pas toujours appréciées dans un grand groupe.» En conclusion: évolution possible dans les deux entités, mais l’impact restera limité dans le groupe.
6. Formation et employabilité
Les catalogues de cours font partie de la culture d’entreprise des grands groupes. Gestion du stress ou leadership sont notamment au programme. On initie également les nouveaux aux outils informatiques en place, «même s’ils ne les utilisent pas» (sic). «Les formations dans les multinationales sont souvent standardisées à large échelle. A l’inverse, une PME forme un collaborateur pour que cette nouvelle compétence soit utilisée au plus vite, résume Vincenzo Ganci, spécialiste du recrutement. A titre d’exemple, chez Zenith, Sophie Burdet a été formée à Power BI, sans jamais le mettre en pratique par la suite, alors que, chez GeniusCount, elle a multiplié les formations, qu’elle utilise au quotidien.
Ainsi, les PME lient acquisitions de compétences à leur mise en œuvre directe. Chez ARC Logiciels, on forme selon les besoins réels. «Les initiatives viennent généralement des employés eux-mêmes. Certains ont fait des brevets fédéraux ou d’autres certifications financées par l’entreprise. Nous sommes flexibles alors que, paradoxalement, c’est plus compliqué à gérer d’un point de vue RH que dans un grand groupe», note Isabelle Paccaud, la DRH de la société d’informatique.
Quid de l’employabilité? Nicolas Corod en est convaincu, son travail en start-up est un atout pour la suite: «Avec cette expérience, mon employabilité augmente et je pourrai la valoriser. J’ai aussi élargi mes compétences et eu des responsabilités bien supérieures, en peu de temps.»
Paradoxalement, il y a aura souvent plus d’expertise dans les groupes, avec des profils très pointus, mais ceux-ci restent difficilement accessibles en raison de la taille de l’entreprise.
7. Ambiance et identification à l’entreprise
Pour beaucoup, le côté déshumanisé ou formaté des grandes organisations ne passe plus. Les collaborateurs aspirent à une vision et à de l’authenticité. Ils ne veulent plus être un petit rouage dans une énorme machine. Ils veulent davantage de transparence et être visibles.
Séverine Felley note que, même à un poste très élevé, elle a souffert du climat pas toujours sain des compagnies horlogères. «Il y a des jeux d’influence, de l’ego, des tensions et du stress négatif. On court sans cesse, pour un impact minime. A présent, je n’ai plus de meetings inutiles et mon stress est positif. J’utilise mon temps d’une meilleure manière. Je n’ai plus l’impression d’être sur un gros paquebot. Mais je n’ai plus ce sentiment d’appartenance à un groupe, car je suis autoentrepreneuse.» A noter que le prestige du nom rassure l’ancienne génération, beaucoup moins le jeune talent qui va s’identifier à un employeur aux valeurs qui lui correspondent ou alors suivre ses potes dans une structure à taille humaine.
«Dans les groupes, tout est écrit noir sur blanc, n’importe quel avantage est protocolé.»
Côté ambiance, Christian Mur parle d’un bruit différent entre les deux mondes. «Dans les groupes, tout est écrit noir sur blanc, n’importe quel avantage est protocolé et tout le monde suit la politique en silence. Cela amène de la sécurité. La petite structure est plus flexible, mais cela génère du bruit, car tout le monde se mêle de tout.« Ça bouillonne en effet dans une PME, constate Alban Bitz, directeur suisse de DSS+: «Dans une société de taille modeste, quand il y a un problème, tout le monde a un problème et on se serre les coudes, en général.»
Erreur fréquente au moment de s’intégrer dans ce nouvel environnement: négliger le fait qu’il y a un mindset à acquérir. «Il faut de la patience et comprendre le fonctionnement de la petite structure. Vous êtes en contact avec davantage de personnes que dans un groupe. Les ingénieurs ne réfléchissent pas comme les financiers et pourtant les deux doivent interagir», explique Nicolas Corod. En outre, l’ambiance et la responsabilité collective peuvent pousser à en faire trop. Il faut savoir dire non pour ne pas se surcharger. Cela impose de prioriser. Cet équilibre est sans doute le plus délicat à trouver.
8. Sécurité de l’emploi
Entre faillites, vagues de licenciements ou délocalisations, votre cœur balance? Quel employeur offre le plus de sécurité? Les plus gros bateaux ne sont visiblement pas les plus sûrs. L’âge n’est pas non plus un atout. «Quand je suis revenu en Suisse après presque vingt ans chez Nestlé, je pensais que ce serait facile de trouver un travail ailleurs. Mais ça n’a pas été le cas. J’avais pourtant géré des équipes de 250 personnes et des chiffres d’affaires de 80 millions de francs. C’était clairement la douche froide. Pas parce que je n’avais plus de chauffeur ou d’avantages extraordinaires, mais parce que je ne pouvais pas transmettre mon expérience. Je n’avais pas de réseau en Suisse et je ne parlais pas allemand. Mon profil n’intéressait pas les PME et, pour les groupes, dès 45 ans, vous coûtez trop cher en charges sociales», résume Christian Mur. Il soulève, comme d’autres, la question de la séniorité et de la fidélité, moins valorisées dans les groupes que dans les PME.
Par ailleurs, si l’employeur important peut paraître plus rassurant qu’une start-up, selon les circonstances, cela peut être rude. «Dans une multinationale, la fermeture d’un site peut aller très vite. Les licenciements sont collectifs et parfois sans considération pour les collaborateurs. Dans une petite structure, on connaît les personnes, on évite absolument de licencier», signale Per Mårtensson.
Séverine Felley est arrivée chez Vacheron Constantin justement pour mettre en place un plan social et licencier. «Dans un groupe, dès qu’il y a une baisse de chiffre d’affaires, on licencie, pour réengager plus tard. C’est cyclique. Le processus est moins transparent que dans une petite société où on vous donnera plus de chance. L’insécurité est aussi là, mais elle fait partie du risque de départ», observe-t-elle.
Attention à votre 2e pilier
Traditionnellement, les grandes structures cotisaient davantage pour leurs employés. Il n’est d’ailleurs pas rare que ces groupes disposent de leur propre caisse de pension. Mais ce qui était vrai ne l’est plus forcément. Il faut non seulement veiller à rapatrier votre 2e pilier dans une nouvelle caisse, mais informez-vous aussi des prestations. Les caisses de pension de certaines multinationales ont un rendement faible, proche du minimum légal de 1,25%, en comparaison à d’autres caisses.
A vérifier également: certains employeurs déduisent le salaire de coordination pour n’assurer qu’une partie du salaire. L’employeur couvre ainsi une somme moins grande que votre salaire, à savoir le minimum. Ce qui est parfaitement légal. En somme: vous cotisez moins, mais l’employeur cotise moins également. Votre retraite sera donc moindre.
9. Pression et charge de travail
La pression, qui dépend évidemment du poste, est présente partout, quelle que soit la taille de l’entreprise. En revanche, elle ne se traduit pas de la même manière. Plus larvée dans les grands groupes, avec moins de retours immédiats ou de transparence, la pression sera directe, avec une forme d’urgence, dans une structure modeste. «Dans un groupe, on a une pression sur les objectifs individuels, pour avoir un bonus, tandis qu’elle est collective et partagée dans une petite société», glissent plusieurs interlocuteurs.
De plus, les moments de stress ne sont pas les mêmes. «Chez LVMH, ils étaient prévisibles et récurrents, chaque début de mois, pour établir les chiffres, se souvient Sophie Burdet. A présent, l’enjeu est différent. On ne sait pas quand le prochain stress va venir. Surtout, je me sens beaucoup plus concernée par la société et son évolution.»
La charge mentale est LE point où toutes les personnes interrogées sont unanimes. Dans un groupe, une fois le travail terminé, on ferme la porte, ce qui est beaucoup moins facile dans une petite structure. «C’est l’inconvénient, relève Pauline Musy-Wirz. Je ne regrette ni mes années chez Procter & Gamble, ni celles chez Nestlé, mais même à des postes de direction, lorsque je rentrais, je me déconnectais. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On amène le travail avec nous à la maison. Pour l’éviter, il faut apprendre à déléguer une partie de la charge.»
10. Salaire et avantages
Si la différence salariale était une réalité dans le passé entre les multinationales et les PME, les écarts ont fortement diminué. «On parle de 10 à 20% de perte de rémunération en quittant une multinationale», estime Charlotte Vitoux. Cédric Perrin, recruteur mandaté par Givaudan, évoque même un retournement de situation. «Le grand groupe sera parfois moins attractif sur le salaire, mais proposera d’autres avantages globaux et misera sur la marque employeur, dit-il. A l’inverse, la PME sait désormais mieux négocier et devenir intéressante. Elle ne base pas les salaires sur les diplômes et propose d’autres avantages que la grosse structure peine à mettre en place: semaine de quatre jours, télétravail, horaires adaptés, etc.»
Pour Per Mårtensson, quitter Volvo pour Bcomp a même augmenté son salaire. «J’ai également changé de position, passant d’expert à membre de la direction. Les PME paient bien désormais. Elles le font pour attirer les compétences.» Pauline Musy-Wirz déclare offrir les mêmes salaires, pour les postes administratifs, qu’elle pratiquait chez Nestlé.
Reste que tout dépend du secteur et de la position. Les grosses organisations peuvent sortir le cash si nécessaire. «Pour des profils pénuriques et l’IT, les PME mettent le prix. En revanche, pour les postes de direction des entreprises cotées en bourse, les salaires sont accompagnés de bonus exorbitants qu’on ne trouve pas forcément dans une PME», détaille Séverine Felley. D’autres avantages, comme la participation à l’assurance maladie, entrent en ligne de compte.
En définitive, si l’écart de rémunération est la question qui revient en premier, il n’est pas l’élément décisif. La distance domicile-travail, l’équilibre personnel, les formations, l’évolution future et la recherche d’un environnement inspirant sont pris en compte. «C’est une décision non pour le salaire, mais pour l’aventure, conclut Andrea Grini. En passant ce cap, on vise un objectif plus grand et plus lointain.»