La Ferme des Trontières (VS): Diversifier les ventes
«Nous sommes une exploitation fromagère familiale qui transforme uniquement le lait de nos vaches. Nous associer à des grossistes aurait signé notre arrêt puisqu’il nous aurait été impossible de survivre avec les prix d’achat imposés aujourd’hui par la grande distribution.» Samuel Berclaz est propriétaire de la Ferme des Trontières, à Randogne, en Valais. Sur son exploitation établie sur les pentes de Crans-Montana, il s’occupe avec sa femme Séverine, ses fils, un apprenti et un employé d’une trentaine de vaches laitières – des vaches brunes et quelques Hérens. Ils produisent environ 150 000 litres de lait par année avec lesquels ils fabriquent 15 tonnes de différents fromages, comme du fromage à raclette AOP, de la tomme et autres produits fermiers.
Le couple a fait le choix de vendre uniquement en direct. Ils bénéficient notamment de l’activité touristique de la région pour perpétuer cette méthode de circuit court. «Nous vendons environ un tiers de notre production à des restaurateurs et aux magasins régionaux, un tiers en vente directe et aux manifestations, et un tiers avec notre distributeur.» La ferme a en effet installé un distributeur automatique de fromage devant son exploitation en 2015. «C’était une évidence! Les clients peuvent ainsi passer prendre du fromage tous les jours et à toute heure, par exemple en redescendant des pistes, sans que nous soyons obligés d’être présents.»
Samuel Berclaz travaille à la ferme de son père et de son oncle depuis sa jeunesse; c’est donc naturellement qu’il a repris le flambeau à la fin des années 1990. Il décide alors de déménager l’exploitation du centre du village, où elle était historiquement basée, pour la regrouper en un seul lieu plus à l’écart. «Il faut s’adapter: les exploitations se sont regroupées au fil des ans, puis mécanisées, pour alléger le travail.» Côté consommation, «si auparavant les fromages se vendaient entiers, il faut aujourd’hui plutôt vendre des portions coupées». Pour le fromager de 50 ans, la relève est assurée: ses trois fils se forment aujourd’hui dans l’agriculture et travaillent déjà sur l’exploitation familiale.
La Ferme Liaudat (FR): Spécialisation dans le bio
Transmise de génération en génération, l’exploitation de la famille Liaudat, située à Châtel-Saint-Denis (FR), n’a cessé d’évoluer et de se diversifier. Patrick Liaudat a repris l’exploitation familiale en 1997, au décès de son père. La vétusté des bâtiments pousse alors le Fribourgeois à rénover une première fois, avant de transformer et d’agrandir l’exploitation en 2003 afin d’y accueillir plus de vaches.
«Lorsque j’ai repris la ferme, nous fabriquions 90 000 kg de lait par an. Désormais, nous en livrons 250 000 à la Fromagerie Prayoud de Châtel-Saint-Denis et 40 000 à une fromagerie d’alpage. C’est une belle évolution.» Aujourd’hui, il y travaille avec sa femme, ses enfants, sa mère et le compagnon de celle-ci. «Mon premier fils nous rejoindra totalement à la fin de son apprentissage. Nous avons aussi des aides durant la période des foins, en été et au printemps, lorsqu’il faut préparer la montée à l’alpage.»
L’agriculteur vise aussi à se diversifier et a construit un poulailler d’une capacité de 2000 poules en 2007. «Les 648 000 œufs pondus durant l’année sont vendus à un grossiste et également proposés dans un self-service aménagé à côté de la ferme.» Les consommateurs doivent inscrire leur nom, le nombre de produits achetés et le prix sur une liste. «Cela nous permet de voir qui consomme nos œufs. Certaines personnes font spécialement le déplacement.»
Afin de valoriser ses prix, Patrick Liaudat certifie son lait Bio Suisse en 2000. Il écoule ainsi sa production à deux fromageries produisant du gruyère AOP. «Entre 2022 et 2023, la concurrence des produits étrangers a engendré une restriction de production de gruyère AOP de 20%. Heureusement, les alpages étant épargnés par cette mesure, je n’ai pas ressenti les effets de ces changements.»
Depuis 2019, la ferme accueille, sur demande, des écoliers de la région pour des visites avec dégustation de lait, gruyère et vacherin. «C’est important de montrer aux jeunes générations ce que l’on fait, qu’elles sachent par exemple d’où vient le lait.»
La Fromagerie du Loup (VD): Cibler une clientèle précise
Sur son domaine de près de 60 hectares, qui compte environ 50 vaches, Blaise Chablaix confectionne ses propres fromages, écoulés en vente directe dans sa fromagerie baptisée la Fromagerie du Loup. Derrière la vitrine de sa boutique située au Sépey (VD) se trouvent notamment sa fondue aux herbes et son fromage à pâte dure Le Lioson, nommé en l’honneur du lac de montagne éponyme situé sur les hauteurs du village.
Lorsqu’il a repris la ferme de ses parents en 1988, il a pressenti que le salut économique de la production laitière passerait par sa transformation sur site. Il décide alors d’investir dans des équipements de fromager. Aujourd’hui, son établissement produit 10 tonnes de fromage par an, dont quatre finissent sur les étals de sa boutique, alors que les six restantes sont vendues à la coopérative de L’Etivaz. Le fromager a ainsi réussi à trouver le bon segment de clientèle, qui est prêt à débourser plus pour des produits bios et locaux, ce qui lui permet même d’enregistrer une légère croissance de ses ventes ces dernières années. «Nous veillons aussi à ne pas produire plus que ce que notre petite entreprise de quatre personnes peut assumer. Tout accroissement des volumes ajoute à la gestion des stocks, de l’emballage et du marketing.»
L’exploitation vaudoise tire son épingle du jeu grâce à sa fibre artisanale et à son ancrage solide dans le marché local. Blaise Chablaix s’estime chanceux et constate que de nombreux acteurs de la branche souffrent notamment à cause du franc fort qui plombe les exportations. Les marges, quant à elles, rétrécissent d’année en année, la faute à des coûts de production toujours plus élevés. «On nous conseille souvent d’augmenter nos prix de vente, mais je préfère proposer mes produits à des tarifs accessibles tant que c’est encore possible.»
Après un essai non concluant en 2000, le fromager exclut aussi toute collaboration avec les grandes surfaces. «Ils m’avaient offert un contrat intéressant pour me pousser à investir dans de nouvelles installations, mais j’ai constaté qu’ils commençaient aussi à négocier les prix à la baisse. Je refuse de travailler dans ces conditions.»
Production locale en baisse, exportations en berne et produits importés bon marché qui séduisent toujours plus les consommateurs: les fromagers suisses sont dans la tourmente. Découvrez notre dossier: