Pascal Bieri, 35 ans
Cofondateur de Planted Foods, Zurich
Tout a commencé par un message WhatsApp. Pascal Bieri, qui dirigeait la chaîne d’approvisionnement américaine d’une filiale des Chocolats Frey, a demandé à son cousin Lukas Böni si les hamburgers à base de substitut de viande qu’il adorait manger là-bas pouvaient aussi être fabriqués sans additifs. L’idée a séduit le diplômé de l’Université de Saint-Gall et le spécialiste des technologies de l’alimentation de l’EPFZ. Avec un autre ami d’école, Christoph Jenny, qui a étudié la finance et qui avait une expérience dans la création de chaînes de restaurants, plus un quatrième compère, Eric Stirnemann, de l’EPFZ également, ils ont élaboré un projet de deux pages: la texture devait être parfaite, quatre ingrédients devaient suffire. A base de protéines de pois, Planted produit désormais des substituts de viande de poulet et de porc, du kebab et du Schnitzel, ce dernier étant même servi au restaurant Figlmüller, à Vienne, référence mondiale du Wiener Schnitzel.
Le nombre d’employés vient de dépasser la centaine et Planted fabrique 500 kilogrammes de viande alternative chaque heure. Tout se passe à Kemptthal (ZH), où une deuxième ligne de production doit porter la capacité à 1 tonne par heure d’ici à la fin de l’année. Planted fournit Coop, Migros, Edeka et Spar. L’entreprise gère aussi des boutiques en ligne en Allemagne, en Autriche, en France et en Suisse et travaille également en direct avec les restaurateurs et les distributeurs. L’équipe est toujours en train de rechercher des nouveautés, sans relâche, en recueillant notamment les commentaires des clients et des chefs.
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Monique Calisti, 49 ans
Propriétaire et CEO de Martel Innovate, Dübendorf, ZH
Experte en technologies de l’information et de la communication, Monique Calisti dirige Martel Innovate, une société de conseil basée à Dübendorf (ZH), spécialisée dans les projets de recherche et d’innovation en Europe. L’un de ses points forts est le conseil en financement, dans les domaines de l’intelligence artificielle (IA), du cloud computing, de l’internet des objets (IoT) et des technologies internet de nouvelle génération.
Monique Calisti travaille en tant qu’experte pour la Commission européenne et elle est directrice du Next Generation Internet Outreach Office de l’UE. Mère de trois filles, elle est née en Belgique, a grandi en Italie et vit en Suisse depuis vingt ans. Elle est titulaire de deux doctorats, l’un en IA de l’EPFL, l’autre en ingénierie des communications de l’Université de Bologne. Elle marque aussi de son empreinte le monde numérique en Suisse grâce à sa passion et à son enthousiasme contagieux pour tout ce qui est technique, un intérêt qui s’est éveillé le jour où elle a été autorisée à visiter le synchrocyclotron du CERN, à l’âge de 17 ans. Elle souhaite également donner un nouvel élan au développement des technologies durables avec son association Digital for Planet (D4P), qu’elle a fondée l’année dernière.
Laurène Descamps, 27 ans
Cheffe de projet, Impact Hub Zurich, Zurich
L’Impact Hub Zurich, fondé en 2011, a été le premier des six Impact Hubs suisses actuels. En 2019, les six hubs ont uni leurs forces pour former l’association Impact Hub Switzerland, qui travaille depuis lors non seulement au niveau local mais aussi au niveau national, sur des questions telles que l’entrepreneuriat durable et responsable.
Laurène Descamps s’est impliquée dès le début dans le projet phare d’Impact Hub Switzerland, le Circular Economy Incubator, un programme de soutien à l’échelle suisse pour les start-up du secteur de l’économie circulaire. Au cours des dernières années, elle et son équipe ont accompagné plus de 50 jeunes pousses, de la première idée entrepreneuriale au lancement du produit sur le marché. En outre, elle a démontré les avantages des entreprises circulaires et la nécessité d’une activité et d’un mode de vie durables lors de nombreux événements.
Outre son engagement national, Laurène Descamps a aussi un impact local. Par exemple, en tant que cheffe de file du Climathon Zurich ou en tant que représentante d’un tout nouveau programme qui vise à impliquer activement la population de Zurich et à lui donner les moyens de développer ses propres solutions pour plus de durabilité et une meilleure protection du climat.
Gina Domanig, 58 ans
Fondatrice et Managing Partner d’Emerald Technology Ventures, Zurich
Malgré la pandémie, ces derniers mois se sont déroulés de manière inattendue pour Gina Domanig et sa société de capital-risque spécialisée dans les technologies propres. C’est que l’intérêt pour les sujets liés aux technologies propres et au climat s’est considérablement accru. De plus en plus de grandes entreprises s’efforcent de devenir climatiquement neutres, voire positives. La société de Gina Domanig, Emerald Technology Ventures, et les jeunes pousses dans lesquelles elle investit profitent de cette tendance. En septembre de l’année dernière, elle a annoncé la clôture d’un Water Impact Fund doté d’un capital de 100 millions de dollars.
Même après plus de vingt ans de carrière, Gina Domanig, d’origine américaine, qui est l’une des investisseuses les plus en vue dans le domaine des technologies propres en Europe et aux Etats-Unis, ne se lasse pas de son travail. «C’est addictif de découvrir des innovations et de voir leur impact positif.» Deux autres fonds devraient être lancés dans les mois à venir. L’un est axé sur l’emballage durable et l’autre sur l’agroalimentaire. «Nous connaissons les technologies d’emballage durable depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, les grandes marques subissent enfin la pression des consommateurs et des régulateurs pour changer», se réjouit Gina Domanig.
Judith Ellens, 39 ans
Cofondatrice d’Eaternity, Zurich
Si, en Suisse, nous cuisinions et mangions trois fois par semaine dans le respect du climat, c’est-à-dire avec des produits de saison, régionaux et essentiellement végétaux, nous pourrions réduire massivement nos émissions de CO2. Ce serait comme s’il y avait soudainement 750 000 voitures à moteur à essence en moins sur les routes. Impressionnant, n’est-ce pas? Une chose est sûre, «notre alimentation est responsable d’un tiers des gaz à effet de serre», affirme Judith Ellens.
La cofondatrice d’Eaternity, originaire des Pays-Bas et vivant en Suisse depuis plus de dix ans, est la reine de l’analyse des données nutritionnelles. La base de données Eaternity, la plus importante du monde sur l’impact durable de l’alimentation, stocke l’empreinte écologique de quelque 80 000 plats. Et quel est l’intérêt de tout cela? «Instaurer une alimentation respectueuse du climat dans la société», explique Judith Ellens. Mais pas uniquement pour les particuliers, dans les restaurants et les cantines également. Des endroits où l’effet de levier est important. Grâce au logiciel Eaternity, les restaurateurs peuvent facilement composer des menus respectueux de l’environnement. Et réduire leurs propres émissions de CO2 d’environ 20%.
Hilda Liswani, 29 ans
Fondatrice et CEO de WeBloom, Lausanne
Lorsqu’il s’agit de promouvoir l’esprit d’entreprise, les femmes africaines disposent de beaucoup moins de ressources que les hommes. Si l’on en croit les statistiques, la différence s’élève à 42 milliards de dollars. Pour combler ce fossé, Hilda Liswani a fondé WeBloom en 2019, une organisation à but non lucratif qui réunit des femmes entrepreneuses et des investisseurs africains dans ce qu’on appelle les WeBloom Hubs. Jusqu’à présent, il y en a un en Tanzanie, un au Kenya et un au Ghana. Cet été, Hilda Liswani a également lancé WeBloom Voices, une plateforme numérique pour raconter les histoires d’entrepreneuriat féminin en Afrique.
Fille de diplomates, Hilda Liswani est originaire de Namibie, elle a étudié les relations internationales à l’Université de Nottingham Trent avant de travailler pour des entreprises comme que Siemens ou Mastercard Foundation. Mais elle délaisse aujourd’hui ces grandes organisations, notamment parce que dans ces grands groupes, la bureaucratie consomme beaucoup d’énergie et de temps sans générer de réel impact. Ses efforts au sein de WeBloom lui ont valu les plus grands honneurs: elle a reçu un prix de la main même de la reine Elisabeth II et figure dans la liste des «30 Under 30» de Forbes. Hilda Liswani travaille à l’EPFL en tant que Sustainability Engagement Manager depuis février 2021.
Naomi MacKenzie, 28 ans
Cofondatrice de Kitro, Renens
Les déchets de cuisine sont un problème que tout le monde connaît, à la maison comme dans le secteur de la restauration. Naomi MacKenzie et sa partenaire d’affaires Anastasia Hofmann (28 ans) ont donc déclaré la guerre au gaspillage alimentaire. Avec leur entreprise Kitro, un jeu de mots entre cuisine et héros, elles analysent les déchets des cantines, des restaurants et des hôtels. Une caméra et une balance de précision placées à côté de la poubelle mesurent chaque kilo de pain jeté, le poids des frites, les épluchures de légumes et de fruits ou la quantité de purée de pommes de terre gaspillée. Les données du capteur sont accessibles via le logiciel Kitro. De cette façon, le restaurateur a toujours une vue d’ensemble de ses quantités de déchets. En outre, le logiciel analyse et quantifie les déchets en provenance directe des cuisines et suggère des améliorations pour les achats. De cette façon, les restaurateurs peuvent optimiser leur budget, réduire le gaspillage de nourriture et économiser de l’argent, car ils n’achètent que ce qui est effectivement nécessaire.
Kitro étant entièrement tournée vers le secteur de l’hôtellerie, l’entreprise a été directement touchée par la pandémie et le confinement. «Beaucoup de nos clients ont dû fermer leur entreprise ou attendre que la situation se calme à nouveau. En conséquence, nous avons dû accepter une baisse des ventes», explique Naomi MacKenzie. Mais attendre n’est pas dans leur nature. C’est pourquoi les deux fondatrices ont transformé cette situation difficile en une opportunité. «La crise nous a ouvert les yeux. Au lieu de continuer à nous concentrer sur le secteur de l’hôtellerie, nous avons poursuivi le développement de Kitro et nous essayons maintenant de nous implanter dans le secteur médical. Parce que le potentiel de réduction des déchets y est également énorme.»
Cette diplômée de l’Ecole hôtelière de Lausanne, qui a grandi en Thurgovie et à Bâle, ne se contente pas de son activité d’entrepreneuse. Chez Venturelab, Naomi MacKenzie forme et soutient les jeunes, les guidant sur la voie du succès. Elle souhaite ainsi transmettre une partie de l’expérience qu’elle a acquise pendant sa période de démarrage. Depuis l’année dernière, elle fait également partie du programme Unreasonable, une initiative qui rassemble une communauté d’entrepreneurs, d’institutions et d’investisseurs pour résoudre de manière rentable des problèmes mondiaux urgents.
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Bertrand Piccard, 63 ans
Pilote, fondateur et président de Solar Impulse, Lausanne
Bertrand Piccard est un Digital Shaper inhabituel. Et pour cette raison même, inhabituellement inspirant. Son engagement en faveur des énergies renouvelables, des technologies propres et de la protection des ressources naturelles est connu dans le monde entier depuis ses vols avec l’avion solaire Solar Impulse, notamment son tour du monde 2015/2016. Bertrand Piccard est issu d’une famille d’aventuriers et d’explorateurs, de plongeurs en haute mer et d’aérostiers. Il a lui-même été champion du monde de voltige aérienne et a ensuite travaillé comme psychiatre et psychothérapeute. Solar Impulse, explique-t-il, n’a pas seulement inspiré les chefs d’entreprise et les politiciens à penser davantage à l’environnement, mais surtout la fondation du même nom a identifié «plus de 1200 solutions qui peuvent concilier l’environnement et l’économie», c’est-à-dire rendre la préservation de la nature rentable. Bertrand Piccard veut maintenant présenter ces solutions aux décideurs «du monde entier». Quant à l’avion lui-même, avec sa construction légère et son système de stockage des batteries, il sert de prototype aux appareils à propulsion électrique, qui sont maintenant prêts à être utilisés. Piccard appelle les jeunes «shapers» à travailler à «la mise en œuvre des solutions existantes au lieu de déplacer les problèmes de plus en plus loin dans le futur. Nous devons être audacieux et innovants et croire en l’impossible.»
Luc Piguet, 49 ans
Patron et cofondateur de ClearSpace, Renens
Nettoyeur dans l’espace, tout le monde ne peut pas afficher cette profession sur sa carte de visite. Luc Piguet le pourrait. Ce Vaudois est le patron et le cofondateur, avec Muriel Richard, de ClearSpace. «Nous nettoyons l’espace et apportons ainsi la durabilité au-delà de la Terre», c’est ainsi que cet entrepreneur de 49 ans décrit sa mission. Car l’espace grouille de déchets spatiaux, de satellites défectueux, de débris de fusées, des dizaines de milliers de dangers potentiels pour l’industrie des satellites alors qu’elle devient, comme l’explique Luc Piguet, «de plus en plus indispensable à notre mode de vie». Des déchets encore plus dangereux pour les voyages spatiaux habités.
ClearSpace a pour objectif de les éliminer, de récupérer les satellites mis au rebut ou de corriger leurs orbites. L’entreprise compte actuellement 35 employés. Elle est en pleine expansion. Pour sa mission, ClearSpace a reçu 93 millions de francs de l’Agence spatiale européenne. Luc Piguet prévoit de réaliser un chiffre d’affaires de 23 millions de francs cette année avec ses services de nettoyage, mais le chemin vers la rentabilité, lui, sera plus long qu’une mission sur Mars. Il estime en effet qu’il lui faudra encore sept ans.
Jan Wurzbacher, 38 ans
Cofondateur et co-CEO de Climeworks, Zurich
Le spin-off de l’EPFZ Climeworks, que Jan Wurzbacher a fondé avec Christoph Gebald, est sans aucun doute l’une des entreprises cleantech les plus intéressantes de Suisse. L’entreprise filtre le CO2 de l’air au moyen d’un processus complexe. Ces déchets peuvent ensuite être utilisés dans l’industrie ou transformés en pierres, enfouies dans le sol, ce qui les rend définitivement inoffensifs.
Depuis sa création en 2009, Climeworks a connu un développement impressionnant. Alors que, au départ, seuls quelques milligrammes de dioxyde de carbone étaient capturés chaque jour en laboratoire, l’entreprise aspire désormais de l’atmosphère des milliers de tonnes de ce gaz à effet de serre chaque année, avec ses installations commerciales. Cependant, pour avoir un véritable effet sur le climat, il va falloir encore grandir. Beaucoup. C’est pourquoi Climeworks veut lancer la production de masse de ses installations dès 2025. «Pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C, l’humanité devra éliminer des milliards de tonnes de dioxyde de carbone par an d’ici au milieu du siècle», explique Jan Wurzbacher, et la capture directe dans l’air devrait y contribuer de manière significative. Une nouvelle étude de l’université d’Aix-la--Chapelle montre que c’est techniquement possible.
Jusqu’à présent, Climeworks compte 17 centrales en exploitation ou en construction. Orca, en Islande, vient de devenir le deuxième projet phare après Capricorn, à Hinwil. Orca combine la technologie de Climeworks pour le captage direct dans l’air avec le stockage souterrain du dioxyde de carbone par minéralisation rapide de Carbfix. Orca capturera 4000 tonnes de CO2 par an, ce qui en fait la plus grande installation de ce type au monde à ce jour. En comparaison, les collecteurs de Hinwil ne captent que quelques centaines de tonnes par an.
Pas étonnant que les investisseurs fassent maintenant la queue devant la porte de Climeworks. En 2020, un tour de financement a permis de réunir 100 millions de francs, le plus gros investissement à ce jour dans un projet de capture du carbone. Des entreprises comme Microsoft, Audi, Shopify, Stripe mais aussi The Economist paient Climeworks pour extraire du CO2 de l’atmosphère. Jan Wurzbacher et Christoph Gebald ont déjà accompli beaucoup de choses avec leur entreprise, mais la mise en œuvre de leur vision ne fait que commencer.