Mathieu Asté, 52 ans
Fondateur et CEO d’iSense, Zurich
Mathieu Asté est un vrai foodie. Tout au long de sa carrière professionnelle, ce diplômé en agronomie et en nutrition a travaillé sur les ingrédients et les textures des aliments au sein de différents groupes alimentaires tels qu’Ingredion et IFF. Avec sa start-up iSense, basée à Zurich, Mathieu Asté veut maintenant créer une place de marché pour les arômes, pilotée par la technologie. «Sélectionne-t-on une couleur sans palette de couleurs? Les groupes choisissent souvent les goûts en se basant sur des hypothèses et ils tâtonnent dans le noir. Pourtant, il existe des normes pour l’industrie des arômes, comme il y en a pour définir les couleurs. Mais le langage et la mesure du goût font actuellement défaut. C’est ce domaine qui est au cœur de nos activités.»
La société iSense s’attache ainsi à doter la thématique des arômes d’un benchmarking. Le logiciel de gestion spécialement développé par iSense permet de définir les goûts avec précision. Les données sont ensuite enregistrées dans un portail d’arômes SaaS (Software as a Service). Cet outil permet d’accélérer la sélection, la comparaison et la création d’arômes pour les groupes alimentaires. La firme iSense a déjà convaincu quelques grands noms de l’industrie. Nestlé ainsi que la maison d’arômes japonaise Takasago comptent déjà parmi ses partenaires.
Pascal Bieri, 36 ans
Cofondateur de Planted Foods, Zurich
De la viande végétale fabriquée à partir de protéines alternatives, plus précisément de pois, d’avoine et de tournesol, voilà l’activité de Planted. Les produits sont depuis longtemps disponibles non seulement dans les pays germanophones, mais aussi en France, en Italie et depuis peu en Grande-Bretagne. On les trouve dans les restaurants et dans le commerce de détail. Chez Coop et Migros, ils sont depuis longtemps dans les rayons réfrigérés: poulet, désormais aussi sous forme de brochettes à griller, pulled pork, kebab et escalopes à base de protéines végétales.
La croissance de Planted est toujours aussi rapide. Le volume de production a doublé depuis l’année dernière. Planted peut désormais produire plus de 1 tonne de viande de substitution à l’heure. Le nombre d’employés est passé de 100 à 170 aujourd’hui, dont 120 travaillent au siège de Kemptthal (ZH), 50 dans la recherche et le développement. Avec les cofondateurs Lukas Böni, Christoph Jenny et Eric Stirnemann, Pascal Bieri a publié un premier rapport sur la durabilité. Les produits Planted ont maintenant réussi à se faire une place dans les restaurants des chemins de fer allemands, ce qui dope leur notoriété. Exploit emblématique, Planted a fait son entrée dans l’historique restaurant zurichois Kronenhalle. En termes de capital, Planted a récolté plus de 50 millions de francs. Des fonds fournis par d’illustres investisseurs suisses comme Stephan Schmidheiny, Gaydoul Group ou le gardien de football Yann Sommer.
Emilie Dellecker, 36 ans
Cofondatrice de FoodHack, Lausanne
Même à l’ère du numérique, les échanges personnels restent l’un des meilleurs moyens de se constituer un réseau. «C’est pourquoi nous tenons à organiser des événements où les acteurs de la branche, les créateurs de start-up et les investisseurs potentiels se rencontrent directement», explique Emilie Dellecker. L’entreprise FoodHack, qu’elle a cofondée en 2019, représente aujourd’hui la plus grande communauté de pionniers et d’investisseurs dans le domaine de la foodtech. En plus des événements et des contenus médiatiques, Food-Hack a lancé une plateforme d’investissement numérique qui joue un rôle clé. Celle-ci permet aux start-up de présenter leur pitch devant plus de 350 investisseurs accrédités. FoodHack investit en outre elle-même régulièrement dans de jeunes entreprises prometteuses, avec un groupe de plus de 100 business angels. Un million de dollars a récemment pu être levé pour promouvoir les technologies de l’alimentation, du climat et de la santé.
Lorsqu’on lui demande pourquoi elle s’intéresse justement aux start-up de la foodtech, Emilie Dellecker fait référence à son parcours de biologiste, doublé d’une passion pour la durabilité et la technologie. «Dans le secteur alimentaire, je peux maintenant combiner ces thèmes de manière idéale.» Emilie Dellecker se réjouit déjà du prochain FoodHack Summit, qui aura lieu en 2023.
Judith Ellens, 40 ans
Cofondatrice d’Eaternity, Zurich
Pour connaître l’impact d’un menu sur l’environnement, il suffit de consulter le site internet d’Eaternity. Les empreintes écologiques de quelque 80 000 plats et 100 000 produits sont enregistrées dans cette base de données. La clientèle est constituée de restaurants, de cantines, de fabricants de produits alimentaireset de particuliers. Les principaux critères d’examen sont le climat, l’eau, le bien-être des animaux et l’impact sur la forêt tropicale.
Derrière Eaternity se trouve un spin-off de l’EPFZ, lancé en 2014. Néerlandaise d’origine installée en Suisse depuis plus d’une décennie, Judith Ellens a joué un rôle déterminant dans la création et le développement de l’entreprise. «L’alimentation respectueuse du climat doit s’établir dans la société», soutient l’entrepreneuse. Ses principaux clients sont des entreprises de restauration collective, à qui elle propose un certificat appelé Eaternity Score. Des firmes comme Compass Group, Dussmann Group et Aleyna ont déjà recours aux services d’Eaternity.
Christine Gould, 42 ans
Fondatrice et CEO de Thought for Food, Bâle
Le secteur alimentaire et l’agriculture font partie des domaines les moins numérisés qui soient. C’est pourquoi il est urgent de s’atteler à cette tâche, affirme Christine Gould, CEO de Thought for Food. «C’est de cette manière que nous trouverons des solutions pour nourrir le monde de manière durable.» Son entreprise offre donc aux innovateurs et aux start-up la possibilité de travailler ensemble sur de nouvelles approches de thèmes comme l’alimentation, le changement climatique et l’énergie.
A cet effet, elle a créé les TFF Digital Labs. Il s’agit de la première plateforme numérique de collaboration qui répond aux besoins spécifiques du secteur alimentaire et agricole. «Sur notre plateforme, les utilisateurs ont notamment accès à des ressources d’apprentissage hautement interactives telles que du matériel open source, des technologies de soutien et des offres de mentorat.»
Thought for Food est devenu un mouvement mondial qui compte aujourd’hui plus de 30 000 membres dans quelque 180 pays. «Nous construisons des ponts entre les acteurs et mettons en commun leur savoir-faire. Nous voulons encourager des start-up concurrentes, mais aux compétences complémentaires, à travailler ensemble en leur offrant l’espace nécessaire pour faire avancer leurs idées de manière coopérative», détaille Christine Gould. Il en résulte des solutions dont la valeur est nettement supérieure à l’addition des différentes parties.
Le concept d’agriculture régénérative montre à quoi peuvent ressembler ces nouvelles approches. La question centrale est de savoir comment financer une agriculture qui produit suffisamment de denrées alimentaires et, en même temps, améliore la biodiversité, la santé des sols et les écosystèmes existants. Une autre priorité thématique est le développement de sources de protéines sans mort d’animaux. «Nous réunissons à cet effet différents acteurs qui travaillent à la culture de viande à partir de cellules», explique Christine Gould. L’intérêt de ce développement est d’obtenir une viande avec le goût, la texture et les nutriments essentiels de la «vraie» viande, en diminuant drastiquement l’impact sur l’environnement ou la société.
Tobias Gunzenhauser, 34 ans
Cofondateur et CEO de Yamo, Zoug
Quand on parle d’aliments sains pour bébés, on pense plutôt aux carottes et aux pommes qu’aux données informatiques qui se déclinent en bits et en octets. Ceux-ci constituent pourtant une base commerciale de premier choix pour Tobias Gunzenhauser. Son entreprise Yamo, fondée en 2016 avec José Amado-Blanco et Luca Michas, a pour objectif d’offrir une alternative saine aux produits industriels pour enfants souvent très sucrés. «Pour nous, les technologies numériques sont absolument essentielles», souligne Tobias Gunzenhauser. Il décrit Yamo comme une DNVB, c’est-à-dire une «digitally native vertical brand». Ainsi, Yamo interagit avec les parents intéressés et leurs enfants via des canaux numériques pour développer de nouveaux produits et de nouvelles recettes.
En 2018, l’entreprise zougoise a été la première en Europe à lancer un abonnement numérique à une bouillie pour bébé. Via le site web, les parents peuvent composer des repas optimaux à l’aide d’un quiz. La numérisation a également un effet décisif sur la production. «Grâce à l’utilisation de technologies numériques, les temps de développement des produits sont diminués par deux par rapport à ceux des grands groupes.» Un avantage décisif pour la start-up, qui propose désormais ses produits dans six pays européens et 3200 magasins. «Nous pouvons ainsi répondre plus rapidement aux besoins des clients.» En outre, les connaissances acquises grâce à l’expérience en ligne leur permettent d’optimiser les négociations avec les détaillants.
Ian Roberts, 53 ans
CTO du groupe Bühler, Uzwil (SG)
«L’innovation technologique est la clé des problèmes du secteur alimentaire», affirme Ian Roberts. CTO chez Bühler depuis 2011, le Britannique a fait beaucoup pour que le groupe tech d’Uzwil soit numériquement à jour. Ian Roberts a particulièrement fait bouger les choses dans la branche alimentaire du groupe Bühler. Il a joué un rôle déterminant dans la création du Food Innovation Hub, que Bühler a ouvert en collaboration avec Migros et Givaudan à Kemptthal (ZH). Cette installation pilote, équipée de laboratoires de développement de produits et de capacités de culture cellulaire, doit aider les start-up à faire avancer la technologie de la viande cultivée à partir de cellules animales. Un engagement important, selon Ian Roberts, qui considère la crise climatique comme l’une des problématiques les plus urgentes dans le monde actuel.
Ce spécialiste compte plus de 25 ans d’expérience dans le secteur alimentaire. Avant de rejoindre Bühler, il a occupé différentes fonctions dans le domaine de l’innovation et du développement commercial chez Nestlé. Fervent défenseur de l’entrepreneuriat et de la durabilité, il est en outre cofondateur et président de l’accélérateur de start-up MassChallenge Suisse et membre du conseil d’administration de Restor, une plateforme qui œuvre en faveur de l’écologie et de la restauration des terres. «J’accepte tout mandat qui me permet d’une manière ou d’une autre d’avoir un impact positif», souligne Ian Roberts.
Christina Senn-Jakobsen, 47 ans
Managing Director de Swiss Food & Nutrition Valley, Zurich
Changement climatique, malnutrition et sous-alimentation d’un côté, obésité de l’autre: le secteur alimentaire actuel n’est manifestement pas durable. C’est pourquoi Christina Senn-Jakobsen estime qu’il est urgent de transformer cette industrie qui brasse des milliards de dollars. En tant que directrice générale de l’initiative à but non lucratif Swiss Food & Nutrition Valley, elle veut faire de l’industrie alimentaire locale une plaque tournante de l’innovation. Après des études de nutrition, cette Danoise d’origine a travaillé pour le groupe alimentaire Mondelez dans le développement du chocolat et y a été Brand Manager pour Toblerone. Ensuite, Christina Senn--Jakobsen a travaillé comme conseillère auprès de l’accélérateur de start-up Kickstart. «La Suisse est un petit pays, mais une énorme nation alimentaire», observe-t-elle. Cette spécialiste se réfère ainsi aux excellentes conditions dont dispose la Suisse avec ses universités de pointe, ses start-up et ses géants de l’alimentation.
C’est précisément ces acteurs – plus d’une centaine jusqu’à présent – que son initiative réunit pour améliorer l’éducation autour de l’alimentation, promouvoir l’innovation des produits de substitution à la viande, l’automatisation de l’agriculture et réduire les déchets. La collecte des données, la robotique et l’intelligence artificielle ont joué un rôle clé dans ce processus: «Sans numérisation, aucune transformation réussie de l’industrie alimentaire ne peut avoir lieu», affirme cette experte.
Raffael Wohlgensinger, 28 ans
Fondateur et CEO de Formo, Saint-Gall/Berlin
Un fromage qui naît en laboratoire sans produits d’origine animale? Certains puristes pourraient être effrayés par cette idée. Mais Raffael Wohlgensinger, fondateur de Formo, y croit. L’objectif de ce jeune homme est de fabriquer artificiellement un fromage au goût excellent mais nécessitant peu de ressources. L’idée a germé dans son esprit pendant ses études à l’Université de Saint-Gall. Il se nourrissait déjà à l’époque de manière végétalienne. «J’ai toujours été fasciné par la biologie et enthousiasmé par les possibilités de l’agriculture cellulaire», relate-t-il. Il s’est inspiré du projet de certaines start-up qui consiste à produire de la viande en laboratoire, sans sacrifier d’animaux. «Mes amis et moi avons décidé que, en tant que Suisses, nous ferions la même chose pour les produits laitiers.»
Depuis, des chercheurs travaillent à Berlin et à Francfort sur un fromage sans composant d’origine animale. Les protéines lactiques microbiennes en constituent la base. Le processus repose sur un échantillon d’ADN d’une protéine de lait transféré dans une cellule hôte, qui est ensuite fermentée avec précision. «Les protéines laitières confèrent au fromage son caractère typique, que l’on ne peut pas remplacer par des produits végétaux», constate Raffael Wohlgensinger. Selon lui, le goût est décisif pour que le fromage végétalien puisse s’imposer sur le marché et produire un réel impact. Cette idée enthousiasme également de nombreux investisseurs qui soutiennent les objectifs de Formo à hauteur de plusieurs millions de francs.
Mark Zahran, 31 ans
Fondateur et CEO de Yasai, Zurich
Quand on entend «densification», on pense à de nouveaux concepts urbains ainsi qu’à la cohabitation dans un espace plus restreint. Comme le prouve Mark Essam Zahran avec sa start-up Yasai, ce principe peut également être appliqué à l’agriculture: «Avec le vertical farming, les surfaces agricoles utiles sont désormais planifiées et construites en hauteur plutôt qu’en largeur.» Mark Zahran a étudié l’architecture à l’EPFZ et à Mexico. C’est en Amérique centrale qu’il a commencé à s’intéresser à l’agriculture. A cette époque, il tombe sur le livre Vertical Farms: How to feed the world in the 21st Century. Dickson Despommier y décrit les avantages de la culture verticale de légumes. «Je suis allé directement à New York pour le rencontrer», se souvient l’entrepreneur. Plus tard, il revient en Suisse avec l’intention d’importer cette approche en Europe.
Sa vision est devenue réalité. Avec Stefano Augstburger – son demi--frère – et Philipp Bosshard, Mark Zahran a fondé sa start-up il y a deux ans. Son nom, Yasai, signifie «légume» en japonais. Aujourd’hui, le spin-off de l’EPFZ emploie 12 personnes et a déjà pu réunir plus de 6 millions de francs de capital-risque. Récemment, une nouvelle étape a été franchie. La demande de recherche déposée auprès d’Innosuisse a été approuvée, ce qui permettra d’injecter 1 million de francs dans la recherche de vertical farming au cours des trois prochaines années. L’installation pilote de Niederhasli (ZH) montre comment ces subventions seront utilisées. Des plantes sont cultivées sur des surfaces superposées dans un ancien entrepôt. Jusqu’à présent, les plantes aromatiques sont prioritaires, mais diverses variétés de salade font également partie des cultures testées.
L’agriculture verticale permet d’obtenir des rendements au mètre carré jusqu’à 200 fois plus élevés que ceux de la culture traditionnelle. On économise notamment de l’eau et des engrais. A l’avenir, Yasai veut utiliser l’intelligence artificielle et le deep learning pour optimiser les processus. «En plus de la production des plantes elles-mêmes, les données que nous collectons sur les différentes cultures par le biais de capteurs valent vraiment de l’or.» L’objectif est de créer une base de données qui permettra à tout profane de cultiver ses propres plantes dans des fermes verticales.