C’est parfois face aux difficultés que les nouvelles idées émergent. Les professionnels se mobilisent, avec notamment différentes initiatives, du lait équitable en passant par des fromages végétaux ou de la mozzarella produite en Suisse.

1. Difficultés des exploitations laitières

«Nous travaillons pour l’équivalent d’un salaire horaire de 17 francs. Au niveau de la rentabilité de la production, la situation est pire qu’avant le covid.» Boris Beuret est président des Producteurs suisses de lait (PSL, ou Swissmilk). Egalement producteur laitier dans le Jura, il s’inquiète pour la santé de la filière. «Le métier et nos productions doivent être revalorisés au plus vite.»

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La Suisse dénombre de moins en moins d’exploitations laitières: 50 300 en 1990 contre 17 600 en 2022, selon l’Office fédéral de l’agriculture. La plupart des exploitations sont familiales et comptent en moyenne 29 vaches. La production reste néanmoins constante: en 2009, une exploitation produisait en moyenne 80 000 kg de lait, contre 184 000 kg aujourd’hui. «Le métier s’est grandement professionnalisé. Les cheptels sont plus grands et la productivité maximale est garantie par le fait de privilégier certaines races de vaches notamment, par la planification de l’affouragement, etc.» Suivant la race et l’âge, une vache suisse donne entre 20 et 35 kg de lait par jour. Au total, 3,4 millions de tonnes de lait sont produites chaque année, selon PSL. Le nombre de vaches laitières, lui, diminue: en juin 2023, la Suisse comptabilisait 11 500 vaches de moins qu’en 2022, soit une baisse de 2,2%. En 2012, elles étaient encore plus de 585 000.

Compétition et inflation

La filière est touchée par l’inflation, qui freine les consommateurs, limite les exportations et augmente les coûts de production. En 2022, le prix du lait à la production a augmenté de 7,9% par rapport à l’année précédente pour s’établir à 75,34 ct./kg, soit son plus haut niveau depuis 2009. «Nous sommes en grand écart entre la volonté sociétale d’un lait plus durable et écologique, ce qui entraîne forcément une hausse des coûts de production, et la concurrence étrangère, qui ne doit pas répondre aux mêmes exigences que nous et affiche des prix très compétitifs. Cette situation nous pénalise.»

Pour perdurer, les laitiers utilisent les paiements directs de la Confédération, qui sont normalement prévus pour rémunérer les prestations annexes des agriculteurs, comme l’entretien du paysage – essentiel au tourisme –, l’aide à la biodiversité, etc. «Ces mesures supplémentaires ajoutent du travail, mais sont obligatoires pour toucher les aides sans lesquelles les exploitations ne peuvent survivre.» Pour le président, il faut donc repenser la libéralisation du secteur et «revaloriser le fromage suisse dans le marché intérieur. Nos producteurs fabriquent une grande variété de fromages, et il faut les promouvoir!»

2. Prix du lait: grandes surfaces versus producteurs

«On a parfois l’impression que les grands distributeurs attendent que la production indigène dégringole assez pour ne plus répondre à la demande, s’inquiète Anne Chenevard, propriétaire d’une exploitation d’une quarantaine de vaches à Corcelles-le-Jorat (VD). Ils pourraient ainsi obtenir la fin des barrières douanières et commercialiser du lait importé encore moins cher.» Pour Migros, il n’est pas question d’en arriver là: «Nous bénéficions d’une large assise dans l’approvisionnement en lait suisse et pouvons compter sur des partenariats solides. L’achat de lait à l’étranger n’est pas envisageable», répond Patrick Stöpper, chargé de communication, qui précise que Migros, via sa filiale laitière Elsa, achète le lait «à un prix plus élevé que la moyenne; jusqu’à 71,9 centimes par litre en avril 2023 après déduction des frais de transport, alors que le litre se négociait en moyenne à 67,3 centimes à la même période».

Face à ce qu’ils considèrent comme une sous-enchère, des professionnels se mobilisent. En septembre 2019, Anne Chenevard a créé, avec 13 autres producteurs, la coopérative Faireswiss pour lancer sa propre marque équitable de lait en brique. Objectif: s’affranchir d’un prix du marché qui «ne couvre même plus les coûts de production». Vendues entre 1,90 et 2,20 francs l’unité en magasin, les briques Faireswiss garantissent «un juste prix» aux producteurs, soit 1 franc par litre, contre environ 65 à 70 centimes sur le marché actuel.

En 2023, 78 fermes s’étaient regroupées sous l’égide de la coopérative partout en Suisse et près de 1,7 million de litres ont été commercialisés par la marque. Un volume beaucoup plus important qu’espéré. «Cela montre que les consommateurs sont prêts à payer un peu plus pour assurer un revenu correct au producteur», soutient la fondatrice. Certains distributeurs se sont laissé convaincre: Manor, Spar, Aligro, Pam, Edelweiss et près de 250 petits détaillants proposent désormais des briques estampillées Faireswiss dans leurs magasins.

Néanmoins, pour Anne Chenevard, pour pouvoir accueillir davantage de producteurs dans la coopérative, il faudra avoir accès aux rayons de Coop et de Migros, qui détiennent à elles deux près de 70% du marché du commerce de détail en Suisse. «Environ 120 exploitants attendent d’intégrer Faireswiss, mais nous ne pourrons les accueillir qu’à condition d’étendre notre marché aux grands distributeurs.» Par voie de communiqué, Coop rétorque qu’elle «soutient déjà l’agriculture durable via plusieurs programmes à valeur ajoutée, notamment IP Suisse, et que cela génère des répercussions positives à plus grande échelle». Patrick Stöpper, de Migros, estime quant à lui que «toute initiative visant à améliorer la condition paysanne est bonne à prendre mais certaines ne s’appliquent pas étant donné la taille de notre marché».

La coopérative Faireswiss veut garantir un juste prix

La coopérative Faireswiss, née en 2019, veut garantir un juste prix aux producteurs de lait et de fromages. Mais pour grandir, il lui faudrait pouvoir accéder aux rayons de Coop et de Migros.

© DR

3. A la conquête de nouveaux marchés

«Une fois fondus, nos fromages ressemblent à s’y méprendre à ceux fabriqués avec du lait de vache.» Nick Frauenfelder s’est installé en Asie il y a près d’une décennie. Après avoir adopté une alimentation végane, le Zurichois de 31 ans constate rapidement que le goût du fromage lui manque. «J’ai alors commencé à confectionner mon propre fromage végétal», raconte-t-il. Sa création maison plaît tellement à son entourage qu’il décide de le proposer à des restaurateurs et à des commerçants.

Le succès sur le marché local est immédiat, notamment parce que près de deux tiers de la population thaïlandaise est intolérante au lactose. Swees ouvre sa première usine à Chiang Mai, dans le nord du pays, grâce à un financement participatif qui lui a permis de lever 250 000 dollars. L’entreprise compte aujourd’hui 13 employés. Les 30 tonnes produites annuellement sont destinées aux marchés de la région: Thaïlande, Singapour et Vietnam.

Dans un contexte marqué par la concurrence des grands groupes industriels, certains fromagers tentent ainsi de se démarquer en exploitant des marchés encore inexplorés en Suisse et à l’étranger, tout en gardant leur fibre artisanale.

Mozzarella suisse

Ainsi, à 9000 kilomètres de là, la fromagerie vaudoise Mozza’fiato fabrique artisanalement de la mozzarella, de la ricotta et de la scamorza fumée. «A l’arrivée des premières tomates et jusqu’en septembre, 90% de nos clients sont des restaurateurs de la région», explique Pascal Rotonda, cofondateur de l’entreprise. Mozza’fiato écoule sa production dans sa boutique à Cuarnens (VD), mais aussi chez Manor, dans divers magasins locaux de la région lémanique et sur les marchés de Morges et de Lausanne.

Fondée par Gerardo Rotonda et son fils Pascal en 2016, Mozza’fiato a bénéficié d’un prêt de 150 000 francs de Prométerre, «qui a permis à l’entreprise de répondre rapidement à la demande». La fromagerie vaudoise produit près de 1000 boules par semaine durant la saison haute et s’est lancée il y a trois ans dans la fabrication délicate de la mozzarella de bufflonne. A ce jour, le marché suisse reste inexploité, car peu de producteurs maîtrisent ce savoir-faire. «Pour nous, c’est une manne très intéressante, car le lait de bufflonne offre un rendement environ deux fois supérieur à celui du lait de vache.»

Pascal Rotonda ne considère d’ailleurs pas la mozzarella importée comme une concurrence. «Il s’agit de deux produits distincts. La qualité de produits locaux justifie un prix plus élevé et notre clientèle le comprend très bien.» L’entreprise, qui emploie quatre collaborateurs, souhaite désormais diversifier ses partenaires et sa présence sur les marchés de Suisse romande.

Le chemin de croix du fromage suisse

Production locale en baisse, exportations en berne et produits importés bon marché qui séduisent toujours plus les consommateurs: les fromagers suisses sont dans la tourmente. Découvrez notre dossier: