Politiques protectionnistes, ralentissement économique: la conjoncture mondiale actuelle expose les entreprises suisses à des vents contraires. Comment la Suisse est-elle équipée pour faire face à ces turbulences?

La Suisse constitue le septième investisseur direct étranger (IDE) aux Etats-Unis, avec près de 307 milliards de dollars, et environ 30% des revenus des entreprises suisses en proviennent. La plupart des entreprises suisses produisent directement sur place et sont souvent perçues comme américaines, à l’instar de Nestlé ou d’ABB. Je pense donc que la Suisse reste bien positionnée.

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Donald Trump va essayer d’encourager les entreprises à produire aux Etats-Unis pour améliorer la balance commerciale, augmenter l’IDE et créer des emplois. Il utilisera la menace de droits de douane comme arme de négociation. Le risque est que cela alimente l’inflation: 80% des biens disponibles chez Walmart (l’équivalent américain de Migros, ndlr) sont fabriqués en Chine et les entreprises chinoises ont une marge nette moyenne de 6%. Il semble donc difficile d’imaginer que les Chinois ne vont pas essayer de répercuter ces coûts sur les consommateurs américains, à moins qu’ils ne soient prêts à vendre à perte.

Que penser de la situation économique compliquée des pays voisins de la Suisse?

Ces pays se trouvent dans une spirale vicieuse auto-renforcée. Leurs taux de croissance diminuent en raison du vieillissement de leur population et de leur incapacité à innover ou à participer aux chaînes de valeur les plus attractives, en particulier autour de la numérisation.

En parallèle, leurs contrats sociaux généreux deviennent impossibles à financer à long terme. Les composantes les plus coûteuses – les soins de santé et les retraites – augmentent de manière exponentielle à mesure que le ratio actifs/retraités diminue. Beaucoup acceptent d’augmenter leurs dettes comme solution temporaire, mais cela ne fait que repousser et aggraver le problème. Ils s’opposent par ailleurs de plus en plus à l’immigration – ou du moins à la bonne immigration –, ce qui freine davantage la croissance et amplifie cette spirale négative.

Est-ce que le fait d’être un pays de plus petite taille aide dans ce contexte?

Oui, mais ce qui se passe sur le plan politique est préoccupant. La Suisse a longtemps eu une formule de succès unique: une régulation minimale pour les entreprises et un gouvernement central léger avec peu d’intervention. Cela reposait sur une confiance mutuelle entre la société et le monde des affaires, qui semble s’éroder. Il est crucial que le secteur économique regagne cette confiance pour que cette formule puisse perdurer.

Quel est votre avis sur la jeunesse suisse et ses perspectives?

Nous travaillons avec de nombreux stagiaires et avons eu de très bonnes expériences, notamment avec ceux que l’on appelle les secondos. Il n’y a pas de substitut à l’ambition et à la faim de réussir. Cependant, les jeunes Suisses privilégient souvent les diplômes à l’expérience, ce que je considère comme une erreur. Ils préfèrent des stages prestigieux, comme au Forum économique mondial, plutôt que des projets concrets. Cela ne leur permet pas de développer les compétences nécessaires pour réussir.

Il faut une meilleure symbiose entre l’éducation et l’économie. Les jeunes Suisses accordent une grande importance à la prospérité de la Suisse, mais je trouve peu de gens qui comprennent d’où elle vient. Marc Walder, PDG de Ringier, m’a dit que le programme du gymnase de Rämibühl, que sa fille fréquente, n’a pratiquement pas changé depuis quarante ans, quand il y était lui-même. Ce n’est pas un bon signe. A l’inverse, une jeune Suédoise de 23 ans, qui en est à sa deuxième création d’entreprise, m’a expliqué récemment comment la Suède propose des cours aux lycéens sur la manière de créer sa propre entreprise.

Pouvez-vous nous parler de votre dernier livre, What Goliath Can Learn from David?

Le monde est trop préoccupé par la puissance brute au lieu de l’excellence. J’explique pourquoi les petits pays prospères comme la Suisse, le Danemark et Singapour dominent les indicateurs de performance.

Les nations «David» sont plus ouvertes à l’expérimentation et plus capables de parvenir à un consensus sociopolitique. Les grandes nations, même armées des meilleures idées, peinent souvent à les concrétiser. La complexité de leurs structures ralentit les réformes, comme le montrent les cas récents en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis.

Votre ouvrage mentionne également des exemples de pays comme le Danemark, la Finlande et Singapour. Quelles leçons la Suisse pourrait-elle tirer de ces pays pour relever ses propres défis?

Par exemple, le système de santé de Singapour fonctionne à 30% du coût de celui de la Suisse, avec des résultats comparables. C’est le seul aspect du contrat social suisse qui constitue une «défaillance de marché». Dans un modèle où l’on facture à l’acte, les incitations à prescrire ou à opérer excessivement sont nombreuses. J’ai aidé à organiser une visite de responsables politiques et de professionnels de la santé suisses à Singapour, mais beaucoup hésitent encore à regarder au-delà de leurs frontières.

A plus long terme, comment la Suisse devrait-elle adapter son modèle économique?

La Suisse part d’une position forte, mais il existe des risques. La réussite des petites nations repose sur leur connectivité, ce qui multiplie les opportunités. Par exemple, les chercheurs suisses ont le plus grand nombre d’articles scientifiques cosignés avec des auteurs étrangers. Ne pas voter pour l’Espace économique européen (EEE) en 1992 a été une erreur majeure.

Aujourd’hui, seule une des 20 entreprises les plus innovantes et les plus précieuses du monde possède son siège en Suisse (Glencore), contre près de 60% en 1991 (DuPont, Dow, Canon, etc.). Il nous manque la nouvelle génération d’entreprises internationales les plus innovantes comme Amazon, Apple ou Nvidia. Il s’agit d’un point critique, car ces entreprises représentent les chaînes de valeur les plus prospères, offrant les carrières les plus prometteuses, et nous devrions donc nous attendre à une fuite des cerveaux de la Suisse vers ces sociétés de premier plan.

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