Ils viennent de faire la couverture du magazine Forbes India sur la deeptech indienne et sont parés pour partir à la conquête du monde. Cofondateurs de la start-up CynLr, Nikhil Ramaswamy et Gokul NA, 34 ans, ont mis au point un système de vision qui rend les robots industriels hyper-polyvalents et adaptables. Et donc plus économiques. Un exploit technologique qui séduit des clients aussi divers que General Motors, Amazon ou Shell.
Nous leur rendons visite dans leur vaste laboratoire où les équipes d’ingénieurs s’affairent autour d’une vingtaine de robots. Les deux jeunes ingénieurs, diplômés d’universités indiennes, se sont rencontrés chez National Instruments, le leader américain des systèmes de test et de mesure. Fondée en 2015, CynLr s’est installée à Whitefield, dans l’un des très nombreux parcs technologiques de la ville. Avec ses 90 000 start-up et une centaine de licornes recensées, l’Inde se place désormais derrière les Etats-Unis et la Chine. Le pays ne compte pas moins de 720 incubateurs et autres accélérateurs, dont les trois quarts sont soutenus par le gouvernement.
Depuis quelques mois, les start-up indiennes doivent pourtant faire face à de sérieux revers. En 2021, l’année de tous les records, les capital-risqueurs avaient investi plus de 35 milliards de dollars dans les sociétés indiennes non cotées les plus prometteuses. Au premier semestre 2023, on est redescendu à moins de 5 milliards. Une sacrée dégringolade qui s’explique par l’actualité mondiale, mais aussi par les excès enregistrés en Inde. Une bonne partie des entrées en bourse se sont par ailleurs soldées par des échecs, soulignant un problème endémique de surévaluation des champions de la tech indienne.
Les fondateurs de CynLr ne se laissent pas décourager par ce refroidissement, passager selon eux. Les 5,2 millions levés jusqu’ici leur permettent de parfaire leurs produits, mais aussi de négocier leur expansion à l’étranger. Le duo prévoit de louer des locaux près de Lausanne pour y fabriquer ses systèmes de vision de pointe. Des produits designed in India… and manufactured in Switzerland, voilà le concept. «Nous réalisons les développements algorithmiques à Bangalore, mais pour la partie hardware, nous ne pouvons pas faire sans l’Europe. Et notamment la Suisse», explique Gokul NA. Les moteurs qui équipent les solutions CynLr? Ils sont fabriqués par Maxon Motors, à Obwald. L’optique est française. D’autres composants sont achetés en Allemagne. Le tandem vient aussi de nouer des contacts de recherche avec le CSEM de Neuchâtel et l’équipe d’Aude Billard, professeure et directrice du Learning Algorithms and Systems Laboratory (LASA) de l’EPFL.
Autre star de la deeptech indienne, l’entreprise Log9 Materials suit, elle, une trajectoire un peu différente. Ce printemps, elle inaugurait la première chaîne de fabrication de batteries lithium-ion en Inde. Un événement symbolique dans un pays qui vise à réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine. Et un décollage éclair qui lui permettra de conquérir dans les mois à venir 40% du marché des trois-roues électriques à usage commercial.
Log9 Materials a mis au point une technologie unique: recharge dix fois plus rapide que la normale, tolérance record aux températures élevées du sud de l’Inde et donc sécurité accrue. Certes, le pays en est encore aux balbutiements de la mobilité électrique, mais le gouvernement en a fait une priorité stratégique. Ce qui a permis à l’entreprise de se financer sans trop de difficultés (plus de 70 millions levés à ce jour). Parmi ses investisseurs, le légendaire fonds de capital-risque Sequoia Capital, Amara Raja Batteries et le malaysien Petronas Ventures.
Si Log9 a fait le choix de se concentrer sur la production de batteries lithium-ion, elle n’a pas abandonné la technologie à la base même de sa création: la production de piles à combustible à base d’aluminium. Avantages: la disponibilité (et le prix) de cette matière première et une durée de vie de vingt ans garantie. Inconvénient: un rendement bien inférieur au lithium et donc son poids. Une technologie a priori plus adaptée à une utilisation stationnaire qu’à des applications de mobilité. Par exemple pour le stockage de l’énergie produite par des panneaux photovoltaïques. «Nous voyons un marché énorme en Europe, où un nombre croissant de propriétaires de maisons individuelles et d’entreprises passent au solaire», explique Pankaj Sharma, l’un des trois fondateurs de la start-up qui compte désormais 800 collaborateurs. D’ailleurs, Log9 Materials est en tractation avec plusieurs partenaires potentiels en Allemagne et en Suisse, dont la PME sédunoise Studer Innotec. La Chine contrôle actuellement plus de 80% du marché mondial des batteries. Log9 Materials veut contribuer à mettre fin à cette hégémonie.
Les entreprises étrangères sont toujours plus réticentes à investir en Chine. Plusieurs pays asiatiques se profilent pour prendre le relais, dont l’Inde, le nouvel eldorado. Découvrez notre dossier: