«Redalpine est un fonds qui investit dans des visions et des disruptions.» Savez-vous qui a dit ça, Michael Sidler?
(Rires) La citation provient probablement de notre site web, prononcée par Mathis Büchi et Lino Teuteberg. Après avoir créé avec succès SmallPDF, ils ont tous deux lancé la plateforme de déclaration d’impôts Taxfix. Dans laquelle nous avons investi.
Redalpine se positionne comme un investisseur en phase d’amorçage et de démarrage («seed and early-stage»). Qu’est-ce que ça veut dire?
Nous intervenons lorsque les entreprises sont encore très jeunes, parfois même avant qu’elles ne disposent de produits commercialisables ou de relations stables avec leurs clients. Dans ces cas, ce qui compte pour nous, c’est le potentiel de l’équipe fondatrice et de la technologie.
Combien de projets évaluez-vous chaque année?
Mes collègues et moi avons analysé environ 3000 business plans, ce qui s’est concrétisé au final par une poignée de prises de participation. Au total, Redalpine a investi dans un peu moins de 70 start-up jusqu’à présent.
Le capital cumulé de vos six fonds s’élève à plus de 500 millions de francs. Comment convaincre vos investisseurs?
Les six associés de Redalpine définissent la stratégie, la durée et les objectifs de rendement d’un fonds. Sur la base de ces informations et de nos antécédents, les investisseurs prennent des engagements de financement. Ils nous donnent le droit d’utiliser cet argent lorsque nous prenons une décision d’investissement. Le secteur du capital-risque est, à la base, une question de confiance. Les investisseurs doivent être convaincus que nous sommes en mesure d’identifier des start-up qui peuvent multiplier leur valeur dans les cinq à dix ans et être vendues avec un bénéfice.
Vous l’avez mentionné, le succès d’un fonds de capital-risque est mesuré par la qualité des sorties, quand vous vendez les parts d’une jeune pousse dans laquelle vous avez investi. Quelles «exits» ont été particulièrement réussies ces dernières années?
Je citerai quelques noms familiers du TOP 100 Startup Awards des dix dernières années: le fournisseur de biotechnologies InSphero (2e en 2012), l’entreprise de sciences de la vie Biognosys (11e en 2013) ou la société IT bexio (7e en 2016), qui a été vendue à La Mobilière pour plus de 100 millions de francs.
Ces trois exemples montrent que Redalpine, contrairement à d’autres investisseurs en phase de démarrage, ne se concentre pas sur un secteur précis. Pourquoi?
Nous nous concentrons sur les industries à croissance rapide dans notre zone géographique. L’approche interdisciplinaire est un de nos atouts. Nous sommes particulièrement impliqués là où les secteurs se chevauchent. Dans le secteur des biotechs, nous ne nous intéressons pas aux entreprises qui travaillent sur un principe actif spécifique, mais à des entreprises comme Araris (11e en 2021), qui a développé une plateforme. Il en va de même pour l’intersection entre le marché des biens de consommation et les ICT. La voiture a été inventée depuis longtemps, mais Carvolution (5e en 2021) a réussi à développer un nouveau modèle économique autour de l’automobile.
Votre dernier fonds, Redalpine Capital VI, a terminé sa phase de souscription au printemps dernier. Redalpine Capital I, le premier fonds, lancé en 2007, a été liquidé au cours de l’été. Le rendement standard de l’industrie est d’environ 20%. Avez-vous atteint ce niveau?
Nous ne divulguons pas de chiffres. Mais nos performances nous placent dans le quart supérieur des fonds comparables dans le monde.
Pour un rendement qu’ils espèrent élevé, vos investisseurs acceptent des risques importants et une faible liquidité…
C’est exact. Mais pour les investisseurs orientés vers le long terme, tels que les particuliers très fortunés, les family offices ou les fonds de fonds, ce n’est pas un problème.
Le long terme est un de vos mots-clés. Alors pourquoi n’y a-t-il pas de caisses de pension parmi vos investisseurs?
C’est une bonne question, que vous devriez d’ailleurs poser aux caisses de pension. Mais nous savons, grâce à nos discussions dans le monde de la finance, que les administrateurs de fonds de pension sont extrêmement peu enclins à prendre des risques. En outre, ils disposent de sommes énormes à investir et se concentrent sur des investissements plus conséquents. De leur point de vue, les fonds de démarrage, qui sont relativement petits, exigent une gestion trop importante par rapport à l’argent investi.
La réticence des caisses de pension a cependant des conséquences. Les études montrent que les jeunes pousses ont de la peine à lever de l’argent en Suisse par rapport aux autres pays…
… Je ne suis pas d’accord avec vous, si l’on considère les deux ou trois dernières années. La start-up GetYourGuide (3e en 2012) a levé 488,9 millions de francs en 2019 et Sophia Genetics (5e en 2015) a levé 110 millions de francs l’année dernière. Il est vrai, cependant, qu’une grande partie de l’argent provenait d’investisseurs américains et asiatiques, ce qui est bien sûr regrettable d’un point de vue économique.
D’où vient l’intérêt des investisseurs internationaux pour les jeunes pousses suisses?
D’une part, c’est la récompense de tous les efforts fournis ces dernières années. Il existe désormais d’innombrables projets très attrayants en Europe et en Suisse, soutenus par des personnes qui savent exactement comment présenter un business plan et le faire évoluer. En un mot, nous disposons désormais d’un écosystème mature.
Et d’autre part?
Les investisseurs sont à la recherche de rendement, après presque dix ans de politique de taux d’intérêt bas. Aux Etats-Unis et dans certaines régions d’Asie, les fonds de capital-risque ont connu un afflux très important de fonds, ce qui a poussé les valorisations des start-up à des hauteurs parfois vertigineuses. En Europe, les fonds trouvent encore des projets intéressants, à des conditions raisonnables.
Cela contraste avec le fait que les investissements en capital-risque en Suisse ont légèrement diminué l’année dernière, aux environs de 2,1 milliards de francs.
Cette statistique ne comptabilise que l’argent qui est investi directement dans les entreprises, et pas ce qui se passe sur le marché secondaire. Il existe de plus en plus d’investisseurs qui, attirés par les rendements, veulent se lancer dans le capital-risque. Mais ils n’ont aucune relation avec l’écosystème des start-up. Ils se tournent alors vers des investisseurs précoces, comme nous, et proposent de reprendre nos participations. Ces dernières années, un grand nombre de sorties ont été effectuées grâce à ces «secondary transactions».
L’économie mondiale semble se rétablir après le choc du covid. Comment évaluez-vous le futur du capital-risque?
Certaines start-up ont souffert, par exemple en raison des restrictions sur les voyages internationaux. Mais il s’agissait de cas isolés. Ce qui va perdurer, c’est l’accélération de la numérisation, un élan déclenché par la pandémie et qui a dopé certains projets, dans les logiciels en particulier. Le secteur du capital-risque a lui aussi bénéficié de cet élan. Qui va probablement perdurer même après la fin de la pandémie.
Vous êtes personnellement impliqué dans le jury de Venture Kick depuis des années. Pourquoi?
Parce que Venture Kick est de loin l’organisation de financement de start-up la plus professionnelle de Suisse. Et – je l’admets volontiers – parce que je veux savoir ce qui se passe dans les universités, chez les entrepreneurs, quand tout commence.
Michael Sidler
Michael Sidler, 53 ans, a étudié la biologie à l’Université de Zurich, où il a obtenu un doctorat. Il a travaillé pour le Boston Consulting Group et a rejoint en 2003 la jeune biotech zurichoise Prionics, alors leader mondial du marché des kits de test ESB. C’est à cette époque que Michael Sidler a réalisé ses premiers investissements en tant que business angel. En 2006, il était membre de l’équipe fondatrice de Redalpine Venture Partners.