Margencel est un lotissement comme il en existe beaucoup en Suisse. Situé aux abords de la gare d’Aigle (VD), il est apprécié pour sa proximité avec Lausanne et Sion. Avec ses cinq étages dans les tons gris et vert, il abrite une centaine d’appartements, 250 locataires et un peu plus de 5000 mètres carrés de surface commerciale, le tout construit par une entreprise immobilière locale. Ses premiers habitants ont emménagé en 2020. Le rez-de-chaussée est, quant à lui, occupé par une filiale de Migros et de Raiffeisen.

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Une solution géothermique innovante

Margaux Peltier s’est rendue à plusieurs reprises sur le site, mais le plus souvent, dans le garage souterrain. La CEO du spin-off de l’EPFL montre du doigt des conduites d’eau, larges parfois comme un doigt, ou comme un bras, traversant les deux niveaux du garage: «Elles desservent des panneaux géothermiques placés sur une surface de 330 mètres carrés.»

Dehors, il fait une température agréable de 20°C. Margencel n’a pas besoin d’être chauffé, ni refroidi. En revanche, lorsque les températures diurnes descendent au-dessous d’une valeur limite – environ 15°C en Suisse -, l’installation géothermique se met automatiquement en marche.

L’eau présente dans les panneaux géothermiques absorbe la chaleur du sol. Elle est ensuite acheminée vers une pompe à chaleur, qui transfère cette énergie dans le bâtiment. En plein été, le système s’inverse: la chaleur du bâtiment est injectée dans le circuit d’eau du parking souterrain et les panneaux la renvoie dans le sol par le béton.

La deuxième loi de la thermodynamique stipule que la chaleur circule toujours d’un corps chaud vers un corps froid. C’est pourquoi le sol permet de chauffer en hiver et de refroidir en été. «L’essentiel, explique Margaux Peltier, c’est que la température dans les structures souterraines du bâtiment reste constante à environ 12°C.» Jusqu’à récemment, le chauffage et la production d’eau chaude de Margencel fonctionnaient exclusivement au gaz naturel. «Notre installation va permettre de réduire la consommation de 20%», précise Margaux Peltier. En chiffres absolus, l’économie s’élève à 15 000 mètres cubes de gaz naturel, à quoi s’ajoute la baisse des besoins en électricité pour la climatisation en été.

Le système ingénieux d’Enerdrape: l’eau contenue dans des panneaux ultraplats absorbe la chaleur ou le froid de l’intérieur de la terre via des parois en béton.

Le système ingénieux d’Enerdrape: l’eau contenue dans des panneaux ultraplats absorbe la chaleur ou le froid de l’intérieur de la terre via des parois en béton.

© Fred Merz / Lundi 13 pour Startup Magazine

Les installations géothermiques couvrent environ 5% des besoins nationaux en chauffage et la tendance est à la hausse. Actuellement, on puise cette chaleur principalement dans la zone «peu profonde», soit jusqu’à 400 mètres; cela se fait par le biais de sondes ou grâce à des circuits d’eau aménagés dans les fondations d’ouvrages. Le terminal E de l’aéroport de Zurich en est l’exemple.

Au Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL, ce type de géostructures fait l’objet de recherches depuis une vingtaine d’années, sous la direction de Lyesse Laloui. C’est là que l’ingénieure civile Margaux Peltier a étudié et travaillé, après avoir quitté Monaco en 2011. Son travail de master portait d’ailleurs déjà sur les échanges thermiques entre l’air, le béton et le sol.

«Mais à la longue, c’était trop théorique pour moi», raconte Margaux Peltier. Elle mène alors une enquête de marché et constate que le secteur du bâtiment est tout à fait ouvert à la géothermie sans sonde. Il est non seulement intéressé à créer des systèmes de géothermie sans forage pour de nouvelles constructions, mais cherche aussi des solutions pour la rénovation de bâtiments.

Des panneaux préfabriqués révolutionnaires

Margaux Peltier s’entretient avec la professeure Lyesse Laloui et le directeur de son travail de master, le postdoctorant Alessandro Rotta Loria. Sa proposition: développer des panneaux préfabriqués d’échange de chaleur, faciles à monter. «Ils ont tout de suite été partants, se souvient la jeune entrepreneuse, et ils m’ont encouragée à prendre les devants.» A l’époque, Margaux Peltier n’avait pas encore 30 ans, mais son idée a fait mouche. En 2021, l’équipe a fondé Enerdrape grâce à un financement Venture Kick et s’est installée dans l’Innovation Park de l’EPFL.

Depuis, les fondateurs ont relevé un double défi: concevoir, d’une part, le système de tubes – désormais breveté – dans des panneaux métalliques de quelques centimètres d’épaisseur seulement et, d’autre part, développer une méthode d’installation qui génère de manière fiable la puissance thermique promise au client.

Et ce premier client a été Coop, le plus grand détaillant de Suisse, qui poursuit des objectifs ambitieux en matière de développement durable: les immeubles appartenant à l’entreprise, dont près de 1000 supermarchés, doivent être chauffés sans énergie fossile d’ici à 2035. Pour le supermarché Coop de Renens, près de Lausanne, il n’était pas possible de creuser des sondes géothermiques et il n’y avait pas non plus d’accès à un réseau de chauffage à distance. Il a donc fallu trouver des «solutions innovantes», explique le grand distributeur. A Renens, 200 panneaux préfabriqués ont été installés.

Pas de tours de forage, de cheminées ou de tours de refroidissement, les panneaux d’Enerdrape s’intègrent dans l’infrastructure sans être visibles.

Pas de tours de forage, de cheminées ou de tours de refroidissement, les panneaux d’Enerdrape s’intègrent dans l’infrastructure sans être visibles.

© Fred Merz / Lundi 13 pour Startup Magazine

Des partenariats clés pour une croissance rapide

Les échangeurs de chaleur en question sont produits dans le nord de l’Italie par une entreprise de construction métallique, découverte par Margaux Peltier sur internet. Au début, la communication était purement virtuelle. Puis l’ingénieure s’est rendue sur place pour discuter avec son fournisseur de leur partenariat.

Au prix actuel du gaz, les installations d’Enerdrape atteignent leur seuil de rentabilité après douze à quinze ans, et ce pour une durée de vie d’un demi-siècle, pratiquement sans entretien. Un argument qui a permis de convaincre jusqu’à maintenant trois clients suisses. D’autres projets pilotes sont en cours en Espagne, en France et aux Etats-Unis.

Les premières années, Enerdrape a été financée par des fonds de soutien de fondations et de l’agence de promotion de l’innovation Innosuisse. Début 2024 a sonné l’heure d’un premier tour de capital propre. La branche capital-risque de Romande Energie, la société Après-demain ainsi qu’un particulier ont participé à la start-up cleantech pour un total de 1,3 million de francs.

Un avenir prometteur pour la géothermie urbaine

Jusqu’à présent, les investissements en capital-risque dans les start-up suisses de la géothermie se comptent sur les doigts d’une main. Mais cela pourrait changer: les start-up américaines comme Dandelion ou Fervo Energy ont attiré des montants moyens de plusieurs dizaines de millions lors de leurs derniers tours de table.

Dans le parking souterrain de Margencel, les panneaux géothermiques et le système de tubes au plafond n’attirent pas l’attention. C’est un des principaux avantages de la solution Enerdrape, selon Margaux Peltier. Contrairement aux éoliennes et aux panneaux solaires. De plus, le sous-sol fournit une énergie constante, de jour comme de nuit, hiver comme été. «Je souhaite que nos panneaux géothermiques préfabriqués deviennent les panneaux solaires du futur.» Il faut que cela soit une évidence d’équiper les parkings et autres infrastructures souterraines à proximité des agglomérations pour les transformer en centrales thermiques. Margaux Peltier ajoute: «J’espère simplement que le déploiement ne prendra pas autant de temps que pour le photovoltaïque.»visi

Cette chaleur qui vient des profondeurs

«Lorsqu’il s’agit d’énergie, tout le monde parle d’électricité, personne de chaleur. Pourtant, on consacre la moitié de notre consommation d’énergie au chauffage, dont une grande partie à base de combustibles fossiles», note Cédric Höllmüller, codirecteur de Géothermie Suisse. La géothermie peut jouer un rôle décisif dans le mix énergétique suisse de demain. L’année dernière, la chaleur issue du sol a remplacé 460 000 tonnes de pétrole.Les sondes géothermiques y contribuent largement. Il y a actuellement plus de 20 millions de mètres linéaires installés dans tout le pays. En revanche, la Suisse est moins avancée dans le domaine des forages profonds, allant jusqu’à 5000 mètres. Les investisseurs redoutent deux écueils: ne pas trouver de quantités d’eau chaude souterraine suffisantes et devoir affronter les oppositions de la population locale. Actuellement, seules les installations de Riehen (BL) et de Schlattingen (TG) fournissent de l’eau chaude provenant du manteau terrestre. Une bonne douzaine d’autres projets, principalement en Suisse romande, sont en phase de réalisation ou de planification.

Sondes géothermiques nouvellement installées en mètres linéaires par an
© DR

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