Gina Domanig, comment définir en quelques mots la cleantech?
Gina Domanig: La cleantech englobe les technologies industrielles ayant un impact positif sur l’empreinte écologique d’un ou de plusieurs secteurs.
Vous travaillez depuis plus de vingt ans dans le domaine des technologies vertes. Qu’est-ce qui a changé durant cette période?
Au début des années 2000, les convictions individuelles de certains motivaient le changement. Honnêtement, cela n’a pas apporté grand-chose. Prenons un indicateur comme exemple, les émissions mondiales de CO2 n’ont cessé d’augmenter et vont atteindre un nouveau niveau record cette année.
Pourtant, en Suisse et en Europe, les émissions de CO2 baissent. Comment l’expliquer?
Parce que nous avons ici des Etats qui interviennent activement en imposant des directives concrètes à l’industrie. Partout où le régulateur intervient en fixant des valeurs limites pour la consommation d’énergie et les émissions de CO2, nous constatons des progrès. En France, par exemple, les fournisseurs d’énergie sont tenus de respecter des objectifs d’économie fixés par le gouvernement pour les clients privés et professionnels. Ou encore en Norvège, où toutes les nouvelles voitures devront être exemptes d’émissions à partir de 2025.
D’un point de vue économique, ces réglementations sont plutôt gênantes...
(Rires.) Bien sûr qu’elles le sont. Les entreprises établies n’aiment pas les réglementations et, de leur point de vue, c’est tout à fait rationnel. Selon la taille de l’entreprise, elles ont investi pendant des années, voire des décennies, des millions ou des milliards de francs dans leur activité principale. Ces investissements veulent être protégés. Je peux vous donner un exemple?
Oui, volontiers.
Les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) sont largement utilisées dans l’industrie. Que ce soit dans la confection de vêtements imperméables, sous le nom de téflon pour les poêles et les casseroles, comme lubrifiant dans le traitement des métaux ou encore comme matériau d’étanchéité dans l’industrie alimentaire et la fabrication de semi-conducteurs. Ces PFAS extrêmement résistants peuvent s’accumuler dans les organismes et sont soupçonnés d’être dangereux pour la santé. L’UE veut donc les interdire et l’industrie s’insurge avec comme argument que les PFAS sont irremplaçables. Cependant, je peux vous citer au pied levé dix start-up qui sont prêtes à remplacer les PFAS dès demain.
Réglementer pour aider les start-up à démarrer et à se développer, iriez-vous aussi loin?
J’appelle cela «innovation under pressure». C’est une méthode très efficace, qui ne rencontre d’ailleurs pas que des oppositions au sein des entreprises. Les managers créatifs sont reconnaissants lorsque l’Etat fixe des règles en matière de durabilité. Cela leur donne la possibilité de faire bouger les lignes, ce qui profite également aux actionnaires à long terme.
«Les managers créatifs sont reconnaissants lorsque l’Etat fixe des règles en matière de durabilité. Cela leur donne la possibilité de faire bouger les lignes.»
Quelle est l’importance des engagements en matière de durabilité que formulent de plus en plus de grandes entreprises?
Premièrement, il faudrait savoir si ces objectifs en matière de climat et de durabilité sont réellement suivis au quotidien. Quoi qu’il en soit, ces engagements volontaires sont essentiels, car ils permettent aux entreprises de se sensibiliser à l’Open Innovation; une thématique centrale lorsque l’on s’intéresse au secteur des cleantechs. Les chaînes de valeur éprouvées dans les branches traditionnelles ne peuvent être brisées et reconstruites dans une perspective de durabilité qu’en intégrant des sources de savoir-faire externes et c’est là que les start-up entrent en jeu, car elles sont le partenaire idéal pour accompagner les entreprises dans ce processus.
Qu’est-ce qu’un investisseur en capital-risque tel qu’Emerald Technology Ventures peut apporter afin de faciliter la coopération des grandes entreprises avec les start-up?
D’une part, aider les start-up à gérer l’ensemble de la procédure d’investissement, de leur évaluation à l’exit. Nous proposons un tel service depuis cinq ans déjà et gérons entre autres les activités de capital-risque du groupe SIG, spécialiste des techniques de conditionnement.
Le peuple suisse s’est prononcé ces dernières années sur deux projets en lien direct avec le secteur des cleantechs. La loi sur le CO2 a été rejetée de justesse, tandis que la loi sur l’électricité a été adoptée à une nette majorité ce printemps. Votre commentaire à ce sujet?
Avec le rejet de la loi sur le CO2, les taxes d’incitation sur les énergies fossiles ne sont plus d’actualité jusqu’à nouvel ordre. Je le regrette vivement, car un renchérissement contrôlé des carburants et des combustibles aurait déclenché une poussée d’innovation.
La nouvelle loi sur l’électricité ne concerne pas la consommation mais la production d’énergie. Elle encourage le développement d’énergies renouvelables. Est-ce une voie praticable selon vous?
Les subventions peuvent également stimuler l’innovation. Prenons l’exemple de la technologie des batteries. Plusieurs pays, dont la Suisse ne fait malheureusement pas partie, investissent dans la production de batteries avec l’espoir qu’un financement de départ conduise à une production de masse et finalement à une baisse des prix unitaires.
La Suisse discute depuis des années de la création d’un fonds national d’innovation. Quels sont les pays qui ont une longueur d’avance dans ce domaine?
En tant que membre du conseil consultatif du fonds national d’innovation danois, je sais que les pays scandinaves, notamment, prévoient d’investir dans le secteur des cleantechs. Nous devons effectivement faire attention à ne pas prendre du retard dans ce domaine.
Une collaboratrice d’Emerald Technology Ventures dirige le fonds de technologie, un instrument de politique climatique créé en 2010 par la Confédération. Comment fonctionne-t-il?
Le fonds met à disposition des start-up et des PME du secteur des cleantechs des garanties de prêt à condition que le projet soutenu soit financé à 40% par d’autres sources. Le fonds cautionne actuellement 135 entreprises avec une enveloppe de prêts atteignant 262 millions de francs. Entre-temps, le fonds de technologie est devenu un moteur important du secteur suisse des cleantechs.
En Suisse, la recherche fondamentale est très performante en comparaison mondiale et l’environnement réglementaire s’améliore progressivement. Qu’est-ce qui permettrait aux start-up suisses du secteur des cleantechs de pouvoir encore mieux exploiter ce potentiel?
J’aimerais voir davantage de managers entre 40 et 50 ans créer une start-up cleantech ou prendre des responsabilités dans une start-up. Les managers expérimentés réfléchissent en fonction de la demande, savent ce dont leur branche a besoin et disposent du réseau nécessaire au développement de leur entreprise. Ce qui nous ramène au point de départ. Les cleantechs ne sont pas un ensemble de technologies que l’on déploie en rase campagne mais une tentative d’aménager notre mode de vie sur des bases durables. Quasiment toutes les chaînes de valeur sont concernées. Les grandes entreprises, leurs petits et grands fournisseurs ainsi que l’écosystème de l’innovation doivent se mobiliser collectivement pour que cela fonctionne.
Le Sustainable Asset Management Group (SAM) était un précurseur de l’investissement durable en Suisse. Lors de la vente du SAM à un gestionnaire de fortune néerlandais, Gina Domanig a mené à bien un MBO avec son équipe de la division de capital-risque. Depuis, l’entreprise crée ses propres fonds. Elle est actuellement investie dans 39 start-up, dont la grande majorité appartient au secteur des cleantechs. A ce jour, Emerald Technology Ventures gère et administre 900 millions de francs.
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