Le discours sur la «start-up nation» est bien huilé: un pays sans ressource première et sans marché intérieur, où le risque et l’urgence sont inscrits dans l’ADN des habitants en raison du climat géopolitique. Une nation où l’armée obligatoire pour tous insuffle un esprit d’entraide, forme à la cybersécurité, aux techniques de pointe du renseignement et de l’analyse, un service militaire où on vous apprend à improviser, à challenger la hiérarchie et qui vous sert ensuite de réseau de recrutement. Des éléments qu’on aime à rappeler en Israël, la face visible du puzzle.

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Rendement à court terme

Uri Adoni, associé chez Jerusalem Venture Partners (JVP), dans le top 10 des sociétés de venture capital dans le monde avec plus de 1200 deals par an, les énumère comme tout bon leader d’entreprise florissante. Il y ajoute un chiffre qui n’est pas des moindres: «Pour chaque dollar investi du gouvernement israélien dans des start-up locales, 11 dollars proviennent de fonds privés. On travaille ensemble, mais le gouvernement joue un rôle de capital-risqueur essentiel.»

Les jeunes pousses se revendent en moyenne après quatre ans.

David Sikorsky Venture Partner, Jal Venture Fund

Comment expliquer cet afflux massif de capitaux en Israël? L’écosystème israélien offre un joli rendement, même si beaucoup d’investisseurs répètent à l’envi, lors de leur show-off, vouloir soutenir la création d’emplois et l’innovation. L’intérêt spéculatif n’est pas très loin, comme s’en réjouit David Sikorsky basé à Genève et qui gère Jal Ventures Fund, un fonds d’investissement de 60 millions de dollars ciblé sur les startup israéliennes dans le software et la défense. A titre personnel, il investit également dans des start-up suisses qui lui tapent dans l’œil. «Le rendement est très bon en Israël, assure-t-il. Mais plus que ça, le retour est cinq fois supérieur à l’engagement financier de départ sur une période de 5 à 6 ans seulement. Ça ne marche pas à tous les coups, mais les cycles sont courts en Israël, plus encore qu’à la Silicon Valley (6-7 ans) ou en Europe (7-8 ans). La raison en est que les jeunes pousses se créent et se revendent en moyenne en quatre ans.»

Elément relativement récent et qui explique l’augmentation insolente de l’apport de fonds étrangers qui sont de l’ordre de 87% aujourd’hui (+ 24% en six ans), le coût de rachat des start-up «made in Israël» est en nette croissance dans certaines industries. «Le prix d’une start-up dans la cybersécurité a terriblement augmenté, cela devient très très cher», relève David Sikorsky

Une diaspora très active

Cet afflux croissant et constant de fonds étrangers, accompagné de la chute drastique des investissements endogènes (-50% en quatre ans), n’est-il pas un risque pour la souveraineté d’un pays fragile politiquement? Jeremie Kletzkine, vice-président de Startup Nation Central, est très clair sur la provenance des apports «étrangers»: «Ces fonds proviennent principalement des Etats-Unis et de la Chine, mais les dirigeants qui les gèrent sont issus de la diaspora juive pour une grande majorité.» Exemple parmi d’autres: la caisse de pension des employés de la ville de New York, dont l’ex-maire est Michael Bloomberg. L’activation du réseauà l’international fonctionne extrêmement bien.

Autre point intéressant: l’argent reçu n’est pas investi dans le marketing ou l’enrobage du produit, mais véritablement dans la technologie. «Les start-up israéliennes s’approchent beaucoup plus près de la borderline qu’ailleurs, car nous avons la culture du risque et une ligne d’horizon à court terme. On a cette idée que demain, un obus peut tomber sur notre business», explique un investisseur israélien rencontré au salon de l’innovation DLD de Tel-Aviv, l’événement du numérique de l’année en Israël (lire l'article). Qui plus est, l’échec n’est pas perçu comme négatif en tant que tel.» Et de rappeler l’exemple de Dov Moran, l’inventeur israélien de la clé USB, qui a ensuite perdu 120 millions de dollars avec Modu, un smartphone miniature dont personne ne se souvient.

Autre élément d’inspiration, les multinationales telles que Coca-Cola, Turner, Mercedes investissent directement dans des start-up innovantes, via des structures très sélectives telles que The Bridge; une manière de rester dans le coup pour des entités certes fameuses, mais très anciennes. Dans un style équivalent, Procter&Gamble a annoncé à Tel-Aviv début septembre la création de son European Digital Innovation Accelerator. Un hub qui sera basé à Genève. «Les start-up nous chahutent et c’est ce qu’on veut. Pourquoi engager des experts dans tous les domaines, alors qu’on peut travailler avec eux en soutenant leurs propres structures, appuie Sophie Blum, vice-directrice marketing de Procter&Gamble. C’est un changement de mentalité où les niveaux de hiérarchie doivent être réduits.»

Les multinationales jouent donc bel et bien un rôle de catalyseur des capitaux étrangers en Israël, une tendance qui s’accélère même. On compte 300 centres R&D d’entreprises internationales et 90 incubateurs, avec à la clé 50 000 emplois. Certains parlent de bulle et d’effet de mode à l’image d’Eitan Sella de l’incubateur Hybrid. D’autres évoquent la fragilité du modèle à long terme: «Israël peut fournir entre 60 et 70% des travailleurs qualifiés pour ces structures. Les autres viennent de l’étranger un certain temps puis repartent», expose Dan Catarivas, directeur des relations internationales du patronat israélien. Dès lors, difficile de dire si l’argent reste réellement en Israël et permet de construire des infrastructures durables sur place. Le robinet peut également se fermer très rapidement.

Et en Suisse?

Par ailleurs, on murmure que les compétences réelles des chefs de projet dans les derniers centres R&D et académies, notamment du côté de Beer-Sheva (au sud d’Israël), si elles sont excellentes, demandent un suivi important. Laurent Miéville, directeur d’Unitec à Genève, s’interroge sur la possibilité de mettre en place une structure similaire en Suisse. «Le modèle israélien peut rapidement s’essouffler, mais reste dynamique. En Suisse, on a un problème de visa préoccupant pour les chercheurs étrangers dont l’arrivée chez nous est de plus en plus limitée», glisse-t-il.

Le modèle israélien peut rapidement s’essouffler

Laurent Miévillle Directeur, Unitec Genève

Quelles leçons la Suisse peut-elle tirer de la Silicon Wadi? En 2016, 909 millions de francs ont été levés pas des start-up, un chiffre en augmentation également, mais cinq fois inférieur à celui israélien (4,8 milliards de dollars), pour une population équivalente. Qu’en pensent les responsables helvétiques des promotions économiques et des milieux académiques? «Il y a clairement un travail à faire du côté du gouvernement suisse ou des structures para-étatiques, qui pourraient jouer un rôle de soutien direct à l’innovation en accueillant des projets pilotes, lance Raphaël Conz, de la Promotion économique du canton de Vaud. Par exemple, Romande Energie s’est d’abord tournée vers un produit étranger pour ses bornes électriques, ce malgré des contacts avec Green Motion. Elle vient finalement de signer un accord avec la start-up vaudoise, alors que celle-ci est désormais leader.» Des cas similaires avec le CHUV ou Ruag révèlent la frilosité ambiante face aux jeunes pousses locales.

Lionel Eperon, directeur de l’Office des affaires économiques du canton de Vaud, va même plus loin en reprenant l’idée soulevée par Patrick Aebischer, ex-boss de l’EPFL, d’utiliser une partie infime des 800 milliards des caisses de pension suisses pour constituer un fonds destiné à l’innovation en Suisse. «Les exigences de garantie demandées par les caisses de pension sont d’un autre temps, assène-t-il. Il faut regarder les chiffres dans le détail.» Prochaine étape donc, mettre la pression sur les caisses de pension pour savoir ce qu’elles font pour soutenir les PME et start-up.

Raphaël Conz recentre cependant le débat sur l’afflux de fonds étrangers en Israël, rappelant l’exemple de l’Etat de Californie quasi en faillite en 2010, alors qu’il abrite les plus grands noms de la Silicon Valley: «Il faut voir quelle est la finalité recherchée en Suisse. Est-ce acheter et vendre des start-up le plus rapidement possible? Le modèle israélien pour le high-tech peut être inspirant, mais qu’en est-il de la société dans son ensemble. Par ailleurs, la Suisse dispose d’aides financières actives. A nous de mieux communiquer sur ce que nous avons à offrir.»

Le canton de Vaud a investi 6 millions de francs pour 600 projets en 2016. A cela s’ajoutent des programmes de mise en relation avec des investisseurs, des soutiens proposés par Fongit sur Genève ou par la FIT (4 millions de francs par an entre le canton et des contributions privées). Viennent ensuite les Venture Kick à l’échelon national, tout comme les aides CTI de la Confédération. Bien d’autres plateformes existent, de conseil, de financement ou de supports logistiques, comme c’est le cas du LTA à Genève, ce laboratoire de l’Université de Genève ouvert à tous. L’idée lancée il y a deux ans permet de réduire les coûts des entreprises tout en finançant l’entretien du matériel.

Si les comparaisons sont légion entre les deux pays, le propos est toujours délicieusement enrobé en fonction de la position abordée. Entre les deux, Horesh Ben Shitrit, de Second Spectrum, un ingénieur israélien formé à l’EPFL et «serial entrepreneur» comme beaucoup du côté de Tel-Aviv, souligne les atouts suisses. «J’ai été mieux payé pendant ma création d’entreprise en Suisse, remarque-t-il. J’avais à disposition des ressources humaines d’une qualité supérieure et pour trouver des investissements, ça a été plus facile dans le early stage. Car, au lieu d’être 100 start-up à développer quelque chose dans un secteur, vous n’êtes que 10. La concurrence est moins forte. Maintenant, pour les investisseurs, les deux pays sont valables. Il faut voir quel est le but recherché.» Une conclusion à la Suisse, empreinte de retenue.