L’histoire commence sur les bancs de l’Université de Genève, en gestion d’entreprise précisément. Pour obtenir leur bachelor, les étudiants doivent présenter un projet. Deux d’entre eux décident de plancher ensemble sur un sujet qui reflète leurs spécificités et convictions. Léa Puyo et Marcel Arndt sont tous les deux gourmands, elle est végane, il est intolérant au gluten et au lactose. Ils vont alors étudier la faisabilité de créer des cookies pas comme les autres: sans lait, sans œuf et sans aucun autre ingrédient de provenance animale (véganisme oblige), sans gluten bien sûr, mais aussi sans huile de palme, ni soja, ni additif ou conservateur.
La marque s’appellera Freely, clin d’œil à tous les ingrédients dont elle se passe. Leur bachelor en poche, les deux anciens étudiants ont envie de donner vie à leur travail académique. Commence un parcours moins simple qu’imaginé. «Il a fallu un mental et un moral d’acier!» Heureusement, leurs personnalités très complémentaires leur permettront de résister à ce stress, démontrant au passage une nouvelle fois que ne pas être seul pour créer son entreprise constitue un véritable atout.
Tout est réalisé à l’interne
Première étape concrète et difficile, trouver le local idoine. Il doit se prêter à une activité industrielle (voltage et ampérage suffisants, arrivée d’eau et autres aspects techniques), avoir des murs en bon état et pouvant être repeints avec des peintures compatibles avec de la fabrication alimentaire, être assez grand pour accueillir des machines, ne pas être trop cher, etc. Problème: «Certains propriétaires ou régies ne voulaient pas d’une jeune entreprise. En plus, un bail commercial court sur cinq ans, ce qui constitue un gros engagement quand on se lance.» Ils finissent par trouver un local de 140 m2 à La Plaine, en campagne genevoise.
Il a fallu un mental d'acier pour y arriver
Parallèlement, il faut chercher des machines pour tout pouvoir faire à l’interne, y compris l’emballage. «Nos cookies sont sans gluten, nous voulions absolument éviter qu’ils entrent en contact avec des produits en contenant, pour que les personnes fortement intolérantes ou allergiques à cette substance ne courent aucun risque.»
Les recettes, ensuite, doivent être testées. Car c’est une chose de fabriquer des biscuits dans sa cuisine, c’en est une autre de les produire à plus grande échelle. D’autant qu’une pâte sans gluten et sans huile de palme est difficile à travailler. Ne contenant ni additif, ni conservateur, elle est en outre peu aisée à stabiliser. Les entrepreneurs cherchent alors un spécialiste pour les aider. Mais même si le véganisme est en plein boom, il n’y a pas encore en Europe continentale beaucoup de gens qui maîtrisent la question.
Léa Puyo et Marcel Arndt dénichent une ingénieure alimentaire en Grande-Bretagne qui a des compétences globales, tant en matière de véganisme que de nourriture sans gluten et de produit bio. Ensemble, ils affinent la recette pour que le moelleux et les autres caractéristiques gustatives soient garantis.
Parcours du combattant
Ils ne sont toutefois pas au bout de leurs peines. Pour être vendus dans la grande distribution, de tels produits doivent avoir une durée de péremption assez longue. Grâce notamment à leur système d’emballage, leurs cookies tiennent six mois. Le dire c’est bien, pouvoir le prouver c’est mieux. Ils font alors réaliser des tests de vieillissement en laboratoire. Pour gagner du temps, ils se tournent vers l’un d’eux qui arrive à pousser les aliments à vieillir très vite, quatre fois plus rapidement que normal.
Dernier écueil: les permis d’importation. «C’est le parcours du combattant. En fonction des produits, ce sont des organismes différents. Et pour certains ingrédients, tels que le sel fin, il est interdit de s’approvisionner à l’étranger. Encore fallait-il le savoir.» Pour le packaging et le marketing, c’est plus rapide: les deux jeunes entrepreneurs savent ce qu’ils veulent - ils s’étaient rendus aux Etats-Unis, car ils désiraient un design qui différait des autres produits bio - et se tournent vers une agence romande de communication qui leur permet d’affiner leur concept.
En janvier 2017, la commercialisation des biscuits Freely débute. Deux ans et demi se sont écoulés depuis la fin de leur bachelor, qui a coïncidé avec le début de leur recherche de locaux. «Les premiers mois, nous avons décidé de nous concentrer sur les salons pour nous faire connaître, obtenir des contacts et nous confronter à l’avis des consommateurs. Cela permet d’avoir une vraie réaction et des commentaires en direct. Nous avons également fait tester des nouveaux goûts. C’est très constructif et nous avons été attentifs aux remarques.»
Un exercice exigeant: ils produisent en semaine, font les salons le week-end. Mais l’effort paie, des boutiques spécialisées et des grands sites étrangers spécialisés dans les produits végans les repèrent et, convaincus, les ajoutent à leur offre. Les fondateurs de Freely entament alors les véritables démarches commerciales. Ils vont voir les acheteurs potentiels, font goûter leurs produits, proposent des échantillons. Certains prospects demandent à visiter leurs ateliers.
Bientôt dans des distributeurs
Après avoir convaincu de nombreux petits points de vente, la jeune entreprise signe avant Noël avec Le Pain Quotidien et Novae, qui propose leurs cookies dans une partie de ses restaurants d’entreprise. Et fin janvier, avec les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) qui les vendent dans leurs cafétérias. En tout, les biscuits Freely se retrouvent à l’heure actuelle dans une soixantaine de boutiques (en Suisse et en France) et dans autant de restaurants d’entreprise. D’ici peu, ils seront également proposés dans des distributeurs automatiques d’entreprise. Et dans bien d’autres endroits, espèrent les jeunes entrepreneurs qui attendent encore plusieurs réponses de prospects qui semblaient intéressés.
Les cookies (de trois saveurs différentes) sont aussi vendus sur leur boutique en ligne. Mais la très grande majorité du chiffre d’affaires s’effectue quand même dans les points de vente physiques. Tous ces efforts paient-ils? Aujourd’hui, Léa Puyo et Marcel Arndt arrivent à se verser des salaires, qui restent toutefois faibles «afin de pouvoir réinvestir la majorité des revenus dans notre entreprise». Surtout, ils ont pu engager depuis peu une troisième personne à plein temps et s’offrir les services d’une femme de ménage, tâche quotidienne et importante dans un secteur comme celui-ci. Et ils ne veulent pas s’arrêter là, eux qui sont sur le point d’accroître leur offre, en ajoutant deux saveurs à leurs cookies et en planchant sur un tout nouveau produit, bien entendu «free» des mêmes ingrédients que leurs biscuits.