«En 2013, je ne connaissais rien aux abeilles, aujourd’hui, je possède, avec mon fils Raphael, qui vit en Nouvelle-Zélande, près de 9000 ruches là-bas, soit plus de 500 millions d’abeilles, et nous produisons 6% du miel de manuka de la planète, à savoir 72 tonnes de miel en 2017», lance Jean-Baptiste Knopf, un entrepreneur de Donatyre (VD) peu pressé de partir à la retraite, et qui connaît les chiffres sur le bout des doigts.
Ancien importateur de chaudières, le directeur de 67 ans parle désormais de la reproduction des reines, de phytothérapie et des vertus médicinales du manuka, une plante qui ne pousse qu’à l’état sauvage et qu’en Nouvelle-Zélande, en Australie et en Tasmanie. Consommé tel quel ou converti pour la pharma en onguents, pansements antiseptiques et sirops, le miel de manuka voit son prix s’envoler comme à la bourse. Le kilo s’achète entre 120 et 800 francs. Une tendance qui n’a pas échappé aux investisseurs.
Un marché qui pèsera 1 milliard
«Aujourd’hui, la demande de miel de manuka est huit fois supérieure à la production, mentionne le Broyard. Chaque année, notre production de Hunterville est déjà vendue avant même la récolte de janvier-février. Le marché est en telle croissance qu’il y a aussi énormément de contrefaçons et on vous vend parfois du miel synthétique pour du miel de manuka.» La Nouvelle-Zélande a exporté pour 315 millions de dollars (230 millions de francs suisses) de miel de manuka en 2016 et le gouvernement du pays prévoit une valorisation de cette industrie à un milliard de dollars (750 millions de francs) d’ici à 2030. Knopfhoney veut être sûr de prendre une part majeure de ce marché.
Des montants à faire tourner les têtes, mais qui demandent surtout de suivre et de développer les infrastructures à une vitesse effrénée. Une véritable course contre la montre. On est très loin des plans de départ de Raphael Knopf qui, à 23 ans, est parti apprendre l’anglais «down under». Avide de grands espaces, passionné de chasse et de pêche, le jeune Fribourgeois avait d’abord démarré un partenariat dans une ferme de production de lait et d’élevage. Saucisses et fromages à la mode suisse ravissaient les palais de l’hémisphère Sud. La crise boursière de 2008 fait chuter le prix du lait de moitié, génère des conflits privés et c’est la faillite. Le Néo-Zélandais d’adoption, qui possédait deux ruches par passion, ne reste pas inactif et bifurque vers le commerce du bois, puis vers l’apiculture. En 2013, Knopfhoney est fondée; il a alors 800 ruches et 34 ans.
Nous produisons 6% du miel de manuka de la planète, soit 72 tonnes.
Parallèlement, Raphael se fait connaître en créant et en entretenant des chemins privés dans la forêt primaire où lianes et fougères vivent en maîtres. Une activité qui lui permet d’accéder à des zones extrêmement retirées où pousse le manuka, ce buisson dont les Maoris extrayaient déjà l’essence pour soigner cicatrices, brûlures et inflammations.
A cette période, il conclut les premiers contrats de location de terres pour y poser ses ruches. Les accords sont simples, pour dix ans, souvent conclus par une seule poignée de main, et prévoient un pourcentage de la production reversé aux propriétaires terriens. Chose rare, ce sont peu à peu ces derniers qui le sollicitent pour accueillir les maisons des butineuses. «Mon fils est extrêmement bien intégré en Nouvelle-Zélande, où il vit désormais depuis seize ans, relance l’entrepreneur. Il fait partie de nombreuses associations: pêche, chasse, agriculture, Lions Club, apiculteurs… Mais surtout, c’est un cuisinier hors pair. Et à chaque grande manifestation, il est aux fourneaux pour plusieurs milliers de personnes.» Un lien qui fait de Raphael Knopf un incontournable du paysage de Hunterville.
Chiffre d’affaires multiplié par 40
«Les manières de faire du business sont différentes en Nouvelle-Zélande et en Suisse, observe Knopf père. Encore beaucoup de contrats se font oralement. Il peut arriver qu’un concurrent vienne poser ses ruches là où vous avez l’exclusivité, à vous de surveiller. C’est une sorte de guerre du manuka.» Knopfhoney dispose de plus de 200 conventions de location chez des propriétaires terriens, le tout sur plus du tiers de l’île nord, soit la taille de la Suisse.
Dans ces conditions, difficile, voire impossible, de mettre la pédale douce. Raphael Knopf ne compte plus ses petites nuits. «Il y a deux ans, j’accompagnais encore mon fils sur le terrain lors du mois que je passais en Nouvelle-Zélande, poursuit son père. C’était réveil à 3 heures du matin, départ en camion, en hélicoptère parfois, pour aller vérifier des ruches dans des endroits complètement reculés, des forêts primaires qui n’ont jamais vu la trace d’un pesticide. On revenait dormir deux heures à la maison, puis départ de nuit ailleurs. Cette fois, je n’ai pas joint l’équipe. Moi, je continue de m’occuper des finances.»
La gageure s’échelonne sur toute l’année, car l’entreprise fabrique elle-même les ruches, les palettes, les entrepôts qui ne cessent de s’agrandir. La surveillance des ruches sur une superficie de 42 731 km2 se fait tous les quinze jours. Ce travail de prévention et de traitement organique des boîtes est incontournable pour éviter les maladies des abeilles, tel le varoa.
Une telle croissance engloutit également les liquidités, qui sont réinvesties aussitôt dans le développement. Actuellement, ce sont les deux lignes d’extraction du miel, l’une pour la consommation classique et l’autre pour le médical, qui occupent une large part du budget. «Si le rendement du miel est sans comparaison, les liquidités partent dans les infrastructures, les véhicules, la confection des ruches, les logements et salaires de nos 26 employés qui travaillent lorsque la météo le permet, peu importe le jour ou l’heure, énumère le codirecteur. Tout est géré par Knopfhoney à l’exception de la mise en pot. Toute notre production est ensuite revenue à une seule société en Nouvelle-Zélande, qui s’occupe de la distribution dans le monde.» Son miel se retrouve aussi bien sur les tables du petit-déjeuner en Asie ou aux Etats-Unis que dans des crèmes médicales et vétérinaires des plus grands noms de la pharma. Un acheminement qui échappe à la PME. «Mon rôle depuis Donatyre est de trouver des fonds, car les 80% viennent d’investisseurs suisses (65% de privés et 15% de banques), explique Jean-Baptiste Knopf. Au départ, les banques ne voulaient pas nous prêter d’argent. On s’est donc tournés vers des privés et en une semaine, on avait une base solide.» En quatre ans, la société a multiplié par dix le nombre de ruches et par 40 son chiffre d’affaires.
Bientôt en Suisse romande
L’industrie du miel attise les convoitises et Knopfhoney reçoit régulièrement des offres de rachat d’investisseurs asiatiques de huit à dix fois supérieures à son chiffre d’affaires 2017. Aujourd’hui, le Fribourgeois de 67 ans ne souhaite plus articuler de montants, tant ceux-ci évoluent rapidement. Knopfhoney vaudrait à présent plusieurs dizaines de millions de dollars néo-zélandais. «Mais on n’est pas à vendre, coupe le directeur financier. Nous cherchons des partenaires ou des investisseurs jusqu’à 40% du capital. Mais nous souhaitons rester majoritaires.»
En 2018, l’entreprise va créer 2000 ruches de plus, ce qui nécessite d’engager quatre à sept collaborateurs supplémentaires. La course est ouverte entre tous les producteurs de miel de manuka en Nouvelle-Zélande et personne ne veut rater le coche. Nouveau tournant: Knopfhoney vient de recevoir l’homologation pour commercialiser son miel en Suisse et en Europe. «Actuellement, le marché du manuka est quasi inexistant ici, estime Jean-Baptiste Knopf. J’ai envie de le développer. J’ai plusieurs présentations prévues en Suisse romande dès le printemps. Les premiers pots avec notre étiquetage vont arriver prochainement.»
Knopfhoney en chiffres
- 9000 ruches et plus de 500 millions d’abeilles, avec une augmentation de leur nombre tous les six mois.
- De 3500 à 5000 dollars néo-zélandais, la valeur globale d’une ruche en 2018, une estimation qui a quadruplé en quatre ans.
- 72 tonnes de miel commercialisées en 2017, soit 6% de la production mondiale de manuka. Une accélération est prévue pour 2019 avec un doublement du chiffre d’affaires de cette année, déjà 40 fois supérieur à celui de 2014.
- 80% d’investisseurs suisses et 26 collaborateurs des Philippines et d’Amérique du Sud, logés pour la plupart sur site.
- 42 731 km2 en propriété ou contrats de location, soit 105% de la superficie de la Suisse.