Decathlon, à fond la forme. Le slogan de l’entreprise tricolore n’a jamais été aussi approprié en Suisse. L’enseigne connaît une croissance irrésistible depuis son arrivée en 2017. Un premier point de vente a été inauguré en juin dernier à Marin (NE). «Il a servi de laboratoire test, explique Sarah Bernard, directrice du magasin neuchâtelois. Le bilan est plutôt positif.» C’est un euphémisme si l’on considère le développement de la marque française ces dernières semaines en Suisse. Le site de Marin pourrait s’agrandir de 30% d’ici à l’automne. Dans l’immédiat, un deuxième établissement a ouvert à Meyrin (GE) mi-avril, alors que celui de Villeneuve (VD) est attendu pour mai 2019. Des discussions avancées sont déjà menées pour en ajouter trois autres.

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«Quand on s’appelle Decathlon, on a la chance d’avoir beaucoup d’opportunités, résume Adrien Lagache, responsable du développement en Suisse. D’ici à dix ans, nous prévoyons d’avoir une trentaine de grands magasins [de plus de 2500  m2, ndlr] dans le pays. Cette offre sera complétée par une centaine de convenience stores.» Derrière cet anglicisme – qui signifie littéralement «épicerie» – se cache l’arme secrète de l’enseigne française: Decathlon Connect. Le premier site suisse sera basé à Genève et devrait être opérationnel fin 2018. «Nous avons trouvé un accord mais rien n’est encore signé, tempère Adrien Lagache. L’annonce pourrait intervenir dans les prochaines semaines.»

Stratégie 2.0 et développement urbain

Ces petits magasins, dont la surface variera entre 400 et 800 m2 seulement, sont axés sur le digital et le high-tech. Grâce au numérique, la marque peut présenter toute la gamme d’un produit en ayant très peu d’exemplaires en stock. L’espace nécessaire est ainsi divisé par cinq. Par conséquent, les magasins délaissent les zones industrielles pour regagner les centres-villes. «Le but est d’être plus proche des clients», résume Magali Clair, responsable de la communication pour le géant français en Suisse. Un pilote a été lancé à Munich fin février, en collaboration avec l’agence allemande Kplus konzept. Cette approche 2.0 est déjà implémentée en Suisse. Tous les vendeurs y sont équipés de tablettes, tandis qu’un «genius bar» est à disposition des clients, avec notamment des zones de chargement pour les téléphones portables.

Les ambitions de Decathlon sont grandes pour le marché helvétique. Les moyens potentiellement à disposition sont, eux, illimités. Le groupe fondé en 1976 est la deuxième entreprise mondiale dans la distribution d’articles de sport, avec un chiffre d’affaires de 11 milliards d’euros hors taxes (+11% par rapport à 2016). La Suisse – et ses 100 millions de francs annuels dans la branche – représente une goutte d’eau. Decathlon fait ainsi figure de requin dans un aquarium.

L’exemple des tentes Quechua

D’autant plus que le commerce du sport connaît déjà des heures difficiles dans le pays. Entre 2010 et 2016, la branche a connu une baisse de 20%. Le boom du début des années 2000 – qui a connu son apogée en 2011 – semble bien loin. «Ces résultats s’expliquent par la baisse des prix et l’augmentation de l’e-commerce», précise François Cruchon, président de la section Vaud-Fribourg de l’Association suisse des magasins d’articles de sport. Les perspectives négatives n’effraient pas Decathlon. Loin de là. «Nous croyons en notre capacité à créer le marché grâce à l’innovation, balaie Adrien Lagache. Les tentes Quechua, avec lesquelles nous avons touché des gens qui ne faisaient pas de camping, en sont un excellent exemple.»

Il existe plusieurs scénarios possibles avec Athleticum.

Adrien Lagache, responsable du développement en Suisse de Decathlon

Athleticum pourrait devenir la première victime collatérale. A Meyrin, Decathlon a racheté l’espace commercial au groupe genevois Maus Frères (qui détient également Lacoste, Manor ou Jumbo). Ce rapprochement ne pourrait être que le début. «Selon mes informations, Decathlon s’apprête à racheter Athleticum, affirme François Cruchon. Ils vont remplacer une partie des magasins déjà existants. Leur priorité ira à des enseignes qui affichent déjà des résultats intéressants.» Contacté, Athleticum évoque simplement un «partenariat global». Adrien Lagache rejette lui aussi le terme de rachat. «Ce n’est pas dans les habitudes de la marque. Il s’agit d’une collaboration. La suite est encore à écrire et il existe plusieurs scénarios possibles.» Et les autres grands groupes de Suisse? Dosenbach-Ochsner s’est refusé à tout commentaire, tandis qu’Intersport n’a pas donné suite à nos sollicitations. Seul SportXX a accepté de s’exprimer sur le sujet, par l’intermédiaire de sa maison mère Migros. «La concurrence étrangère devient de plus en plus aiguë, reconnaît Tristan Cerf, porte-parole du géant orange. De nouveaux fournisseurs d’articles de sport arrivent en Suisse, aussi bien avec des magasins de marques qu’en ligne. Il devrait y avoir une concentration sur le marché. Cela dit, ce dernier est suffisamment vaste pour tous les fournisseurs qui se positionnent clairement et créent de réels avantages pour le client.» 

La clé, évoluer pour survivre

En clair, les enseignes devront chasser sur d’autres territoires que Decathlon pour prospérer. «Ce ne sont pas les plus gros qui mangeront les plus petits, prévient François Cruchon, également patron de François Sports à Morges. Ce sont les plus rapides qui mangeront les plus lents. La clé sera la capacité d’adaptation des enseignes.» SportXX a principalement misé sur des marchés de niche tels que les activités en extérieur ou le sport pour les enfants. Intersport s’est, lui, rapproché du site de vente en ligne Brack.ch. Face à un nouveau prédateur, les marques suisses devront évoluer pour survivre. Darwin n’aurait pas trouvé mieux.


Collecte de données, clients pris en otages?

Pour effectuer un achat dans l’un des deux magasins suisses de l’enseigne, il est obligatoire de devenir membre du club MyDecathlon. Depuis le 25 janvier, au moment de passer à la caisse, les clients doivent ainsi fournir une adresse e-mail ou un numéro de téléphone. Decathlon met en avant sa volonté d’offrir «un suivi sécurité infaillible». «Les personnes sont libres et prennent cette décision en tout état de cause», explique Sarah Bernard, directrice du magasin de Marin.

«Cette façon de faire est proprement scandaleuse, martèle Kevin Huguenin, professeur assistant à l’Université de Lausanne. Il est clair que l’identifiant demandé servira à faire du profilage de clients.» Cet expert en protection des données livre ses conseils afin de contourner cette obligation. «Il est possible d’utiliser la plateforme YOPmail, qui fournit de fausses adresses. Le consommateur peut ainsi se protéger.»

La Fédération romande des consommateurs (FRC) avait dénoncé le procédé de Decathlon mi-avril. «Il n’existe aucune raison de demander ces données personnelles, explique Robin Eymann, responsable de la politique économique à la FRC. Le libre choix du client n’est absolument pas respecté.» La FRC avait notamment sollicité l’intervention du préposé fédéral à la protection des données (PFPDT). «Nous n’avons pas d’enquête officielle en cours, détaille la porte-parole Silvia Böhlen. Decathlon a été contacté et nous les avons priés de s’assurer que leur système de traitement des données est conforme aux exigences de la loi sur la protection des données. Le principe de proportionnalité pose notamment un problème potentiel dans ce cas. Concrètement, cela veut dire qu’il est interdit de collecter plus de données que nécessaire dans le but premier de l’entreprise. Dans le cas de Decathlon, ce but est de vendre des articles de sport.» Le PFPDT a reçu une réponse de l’enseigne française et «procède actuellement à son analyse, en se réservant la possibilité d’ouvrir un contrôle».