L’été s’est installé en Suisse. Alors que la saison d’hiver a été particulièrement bénéfique pour les acteurs du tourisme avec une augmentation de plus de 4,5% des nuitées, Suisse Tourisme espère que la période estivale va confirmer cette tendance haussière. Car depuis la crise financière mondiale amorcée en 2008, puis l’avènement du franc fort, les touristes ne sont plus aussi assidus en Suisse et la branche souffre. Quels sont les remèdes à trouver, les recettes à appliquer pour que la Suisse retrouve un nouveau souffle mondial dans cette industrie si importante pour l’image et la réputation helvétiques?

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

Le challenge est de taille mais les atouts sont là: la stabilité et une offre incomparable sur la planète. Depuis le 1er janvier 2018, Martin Nydegger est devenu le directeur de Suisse Tourisme. Il semble l’homme de la situation puisqu’il est membre de la direction depuis 2008 et qu’il a été à la tête du département Business Development jusqu’à la fin de l’année 2017. Il nous a reçus au quartier général de Suisse Tourisme, à Zurich, dans son bureau où trônent des affiches qui inciteraient bien à partir immédiatement en vacances, dans les Grisons par exemple…

PME: Martin Nydegger, vous êtes à la tête de Suisse Tourisme, un organisme primordial en Suisse. Mais quels sont ses missions, ses moyens et ses relations avec le Conseil fédéral?

Martin Nydegger: Suisse Tourisme est une organisation un peu spéciale, car nous sommes une institution semi-publique. Cela comporte à la fois des avantages et des désavantages. Nous avons environ 93 millions de francs de budget annuel, dont un peu plus de la moitié provient de la Confédération et le reste de nos partenaires stratégiques et touristiques. Nous sommes présents dans 26 pays avec 33 bureaux de représentation et 240 collaboratrices et collaborateurs font partie de nos équipes.

Votre ministre est Johann Schneider-Ammann par le biais du Seco. Est-ce que vous le rencontrez?

Oui, évidemment. Il m’a demandé quelles sont les priorités à gérer, comment améliorer le tourisme alpin et rural. J’ai été surpris par sa très bonne connaissance du tourisme suisse. Il faut dire qu’il a un hôtel à Saanen, dans le canton de Berne, il est donc concerné!

Le comité de sélection a fait le choix d’une candidature interne. Pourquoi? Quels sont vos atouts?

Je travaille pour Suisse Tourisme depuis douze ans. Nous sommes en train d’affiner une stratégie qui est déjà excellente. Si le comité a décidé de prendre quelqu’un à l’interne, cela signifie que la stratégie fonctionne. Je ne suis pas là pour tout changer. Mais le monde, lui, change et très vite. Chaque mois, nous constatons des évolutions importantes, nous nous adaptons. J’ai travaillé pendant six ans pour une destination, j’ai été à l’étranger pour Suisse Tourisme: j’ai une connaissance à 360 degrés du tourisme suisse. Je pense que pour ce poste, il faut avoir une personnalité authentique et pragmatique, car nous travaillons essentiellement avec des entrepreneurs et beaucoup de petites PME. Pour vous donner un exemple, l’un des acteurs les plus importants du tourisme suisse est les Chemins de fer de la Jungfrau.

Vous visez la continuité, mais vous avez certainement de nouveaux projets…

Je voudrais accélérer le développement de produits, car nous sommes une entreprise marketing avant tout. Il faut améliorer encore les offres existantes. Par exemple, les mayens dans les alpages représentent la Suisse «cliché» qui a du succès dans le monde entier, mais impossible de trouver ces offres d’hébergement rassemblées en ligne. Aujourd’hui, nous avons développé un site qui permet de réserver directement plus de 250 chalets d’alpage. Dans les villes, Taste my Swiss City est une offre de circuits de découvertes culinaires que nous venons de lancer. Nous essayons aussi de montrer des aspects plus surprenants de la Suisse, de changer la vision des gens. Cet été, le thème principal de notre campagne est la découverte du pays à vélo.

Votre clientèle est en partie à l’étranger… Vous rendez-vous souvent sur place?

Oui et il faut entretenir les relations, les contacts. Je considère que je passe 40% de mon temps à l’étranger. En 2018, j’ai visité déjà huit marchés de première importance, comme les pays du Golfe (Dubaï), l’Inde, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou encore les Pays-Bas. Il faut toujours le faire avec un objectif, par exemple le lancement de nouveaux produits. Mon but est de visiter 15 marchés par année.

Quels sont les points faibles de la Suisse touristique? Le franc fort?

L’industrie du tourisme est fragile car elle dépend beaucoup d’événements exogènes comme des crises ou des attentats. De plus, la branche enregistre de petites marges, il y est difficile de trouver des collaborateurs et de financer des investissements. Nous avons environ 5000 hôtels, or, chaque année, 1% de ceux-ci disparaissent. En ce qui concerne la monnaie, un coefficient démontre que lorsque le franc se renforce de 1%, les nuitées peuvent reculer jusqu’à 2%. Les villes ne sont pas vraiment touchées par ce phénomène, c’est surtout le tourisme de loisirs dans les régions rurales et de montagne qui souffre.

Et les forces?

La nature a toujours été le motif principal de la venue des touristes grâce à nos paysages et à nos montagnes. C’est aussi notre credo chez Suisse Tourisme. Nous sommes une destination de rêve dans les pays d’Asie, où nous bénéficions d’une image romantique. De plus, la diversité des cultures est très riche dans notre pays. La Suisse offre une variété extraordinaire d’expériences touristiques sur un tout petit territoire. A souligner aussi que le tourisme domestique est aussi très important car il représente environ 45% des nuitées hôtelières et les Suisses aiment voyager dans leur pays.

Que représente le tourisme dans le PIB?

Au niveau national, il pèse 3-4% du PIB, mais en Valais ou dans les Grisons cela peut monter à 14 ou 15%. Le tourisme engrange 16 milliards de recettes à l’exportation [par le biais des achats des visiteurs, ndlr], l’activité représente la 5e branche d’exportation en Suisse, très proche de l’horlogerie.

L’hiver 2017-2018 a connu une augmentation de plus de 4,5% des nuitées. Assiste-t-on à un renouveau?

Il faut préciser que les trois hivers précédents ont été mauvais. Cette année, il y a eu beaucoup de neige, presque trop! Quelques remontées mécaniques n’ont pas pu fonctionner pour cette raison. Donc, la saison aurait pu être encore meilleure. De plus, le franc suisse s’est affaibli. On a constaté aussi des changements dans la politique des abonnements des remontées mécaniques, de nouveaux forfaits de saison sont apparus, comme à Saas-Fee ou le Magic Pass en Suisse romande. En Engadine, un pricing dynamique sera introduit cette année. Cela change la manière dont la clientèle aborde la saison, surtout s’il neige très tôt. Il faut préciser aussi qu’en Autriche les prix ont augmenté de manière significative, de nombreux Suisses ont renoncé à y aller.

Quelle est la meilleure saison en Suisse?

Je dirais qu’aujourd’hui l’hiver et l’été sont tout aussi importants, mais cela dépend des régions. Nous avons décidé de promouvoir plus intensivement la saison d’automne, qui faisait jusqu’à présent partie de l’offre d’été. Les touristes voyagent aujourd’hui plus souvent et moins longtemps. En raison des changements climatiques, l’arrière-saison offre de très belles journées. L’automne, qui, en Suisse, est incroyable, est une saison idéale à développer pour ces raisons. Un tiers des nuitées «estivales» sont réalisées en septembre et en octobre.

Les touristes veulent des vacances réservées en un clic

Qui sont les touristes les plus nombreux?

Les premiers visiteurs sont toujours les Allemands avec 3,7 millions de nuitées, soit 18% des nuitées des touristes étrangers en 2017. Ensuite viennent les Américains (10%), puis les Britanniques et la Chine (8%) qui a dépassé la France. Selon nos estimations, le marché chinois devrait générer 2 millions de nuitées d’ici à 2021.

Que sait-on de la satisfaction des voyageurs?

Une enquête, le Monitoring du tourisme suisse, a été faite par notre département Etudes de marché sur 22 000 touristes en Suisse en 2017. L’hospitalité est perçue de manière positive et les langues n’ont jamais été un problème. Les Suisses sont perçus comme très polis et compétents même s’ils sont un peu distants parfois. Nous devons cependant améliorer la commodité des offres, c’est la nouvelle demande. Les touristes veulent profiter de vacances réservées en un seul clic, que tout soit organisé à l’avance.

La digitalisation est donc primordiale…

Myswitzerland.com est un site incroyablement important dans le monde. C’est le site touristique le plus visité, davantage que celui de la France au classement Alexa! Nous n’avons pas une stratégie digitale séparée du reste des activités, car le digital est dans notre ADN. Nous avons un team pour les réseaux sociaux et de la communication au recrutement, tout le monde pense et agit «digital».

Quelles sont les perles du tourisme suisse?

Je dirais que les grandes villes comme Genève, Zurich ou Lucerne sont des incontournables. Mais un Allemand et un Américain auront des envies différentes. Nous avons créé une route touristique pour visiter une grande partie de ces «perles». Il y a des sites moins connus dans le monde, comme Appenzell qui est une région incroyable, la vallée de Joux ou le Creux-du-Van.

Et pour vous, quels sont vos coups de cœur?

J’ai été directeur de l’Office du tourisme à Scuol en Basse-Engadine, qui demeure un lieu privilégié pour moi. Je suis allé à Montreux récemment et nous voulons retourner avec ma femme sur les terrasses de Lavaux, c’est fantastique!

Le programme «Ski comme première expérience» est une nouveauté qui semble plaire…

Oui, son succès est étonnant. On pense toujours à montrer la neige et les montagnes. Mais les visiteurs asiatiques, par exemple, aimeraient parfois essayer le ski. Nous avons donc lancé un forfait qui permet, en une journée, de tester le ski, moniteur, abonnement et équipement compris. Le but pour ces clients n’est évidemment pas de devenir des pros du ski, mais de vivre une expérience unique. Nous leur donnons aussi l’envie de revenir.

Sur 5000 hôtels en Suisse, 1% disparaît chaque année.

Un pays qui vous inspire?

Le Costa Rica est un pays très intéressant, il est similaire au nôtre au niveau de la richesse de la nature. Du côté du marketing, les campagnes de l’Australie, de la Scandinavie ou de l’Irlande sont très réussies.

Selon vous, les offices de tourisme sont-ils appelés à disparaître?

C’est possible, mais pas demain. Vous trouvez énormément d’informations sur les sites internet et mobiles, mais il y aura toujours des gens qui auront besoin d’informations personnelles et du contact direct avec les experts d’une destination.

Les aéroports sont-ils à la hauteur, notamment celui de Genève?

Nous avons une collaboration avec l’aéroport de Zurich et sommes en discussion avec André Schneider, le nouveau directeur de Cointrin, car avec Genève, c’est plus difficile pour l’instant.

Quelles sont les tendances du tourisme «indigène»?

Nous avons découvert un phénomène positif: les Suisses alémaniques viennent de plus en plus souvent du côté romand. Cela ne m’étonne pas, car l’offre en Romandie est très attractive, avec des nouveautés comme le Musée Chaplin ou le Nest. Fribourg fonctionne bien aussi avec la Maison Cailler ou la Gruyère. Les Alémaniques connaissent bien le Tessin, ils découvrent de plus en plus la Suisse romande.

Airbnb est-il un problème?

Ce n’est pas un problème, mais il faut que les mêmes règles du jeu soient respectées par tous les acteurs touristiques: taxe touristique, sécurité, hygiène. Dans certaines villes, la problématique de la location de vacances peut se poser lorsque le taux de vacance d’appartements est bas. Mais pour la Suisse, c’est une grande chance, car nous avons besoin de visiteurs et c’est une offre pratique pour eux; Airbnb doit juste jouer le jeu comme les autres prestataires.

Les stations de montagne sont-elles obsolètes?

Tout le monde doit faire des efforts. Les investissements dans les remontées mécaniques ont été énormes, je dois le dire. Mais pour les stations de basse altitude, le futur est très incertain.

Les Valaisans ont refusé les JO d’hiver, qu’en pensez-vous?

C’est très dommage, cela aurait été une belle opportunité pour la Suisse et pas seulement pour le tourisme. Ce refus est peut-être un phénomène lié au fait qu’en Suisse, nous ne sommes pas en danger, nous sommes très gâtés, cela nous rend peut-être un peu léthargiques.

En revanche la Fête des vignerons aura lieu!

Nous avons déjà un plan pour faire venir les médias étrangers, c’est un événement idéal pour le développement de l’œnotourisme. Il existe une compétence pour les vins en Suisse que l’on ne connaît pas ou très peu à l’étranger.

file70qk66uov3kht4xzkxh
Le Musée Chaplin ou le Nest attirent de plus en plus de Suisses alémaniques
© ©G. BALLY-KEYSTONE

Bio express:

Martin Nydegger

1972 – Naissance (BE)

1996 – Responsable

du marketing, puis directeur d’Engadin Scuol Tourismus

2005 – Entrée chez Suisse Tourisme, en charge du marché néerlandais

2008 – Devient responsable du Business Development

2018 – Prend la direction de Suisse Tourisme

 


Le chiffre:

93 millions de francs. Le budget annuel de Suisse Tourisme, dont plus de 50% de la Confédération.