«Nespresso. What else?» demande George Clooney dans la célèbre publicité. Or, derrière le géant helvétique, se cachent des centaines d’autres entreprises actives dans le secteur du café. Négociants en grains, torréfacteurs, mais aussi bars, restaurants, fabricants de machines ou même écoles spécialisées: tous ces acteurs génèrent à eux seuls plus de 1% du PIB suisse.
En matière de création d’entreprises, la micro-torréfaction est le segment qui connaît la plus forte hausse. «Un nouveau micro-torréfacteur émerge environ tous les mois en Suisse», estime Ennio Cantergiani, fondateur de l’Académie du café à Satigny (GE). Ils importent directement de petites quantités de café vert pour les transformer et les commercialiser. «Leurs machines à torréfier peuvent préparer entre 10 et 20 kg de café, contre 250 kg pour les torréfacteurs classiques. Ils proposent des cafés dits «de spécialité», soit des grains raffinés aux origines diverses et dont les notations internationales affichent plus de 80 points sur 100.»

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Succès des cafés haut de gamme
A l’image des micro-brasseries, le phénomène réunit des torréfacteurs quasiment bénévoles, comme des professionnels. «Le modèle d’affaires le plus intéressant est de torréfier et d’exploiter des lieux comme un coffee shop et une boutique en ligne par exemple, où écouler et faire connaître son café», souligne Ennio Cantergiani, également coordinateur romand de la Specialty Coffee Association. La PME genevoise Boréal Coffee Shop constitue une réussite en la matière. Créée par deux passionnés il y a dix ans, elle compte désormais une quarantaine de collaborateurs et six enseignes en Suisse.
Les négociants en café comme le Genevois Jérémie Trono, qui travaille pour le groupe belge Efico, constatent aussi cet engouement pour la «petite» torréfaction: «La demande en café standard et bon marché stagne depuis déjà quelques années, tandis que celle pour le café haut de gamme est en pleine croissance.» A la qualité du produit s’ajoute le besoin de traçabilité. «Le consommateur helvétique recherche aussi davantage de cafés provenant du commerce équitable.» Avec 7,9 kg de café par année par habitant, le pays est le 7e consommateur mondial, devant l’Italie et la France.
Les sociétés de taille moyenne, au passé parfois centenaire, occupent également une place de choix. On peut par exemple citer Carasso, La Semeuse, Cafés Cuendet en Suisse romande (lire ci-dessous). Ces entreprises fournissent aux restaurants, hôtels et autres bars des grains, souvent accompagnés de machines pour préparer le café (automatiques ou à expresso) et même des tasses.
Outre la torréfaction et la livraison pour les professionnels, ces entreprises de taille moyenne ont ajouté d’autres services ou produits, comme les capsules, le catering ou la vente directe aux consommateurs. Si l’on ajoute les géants Nespresso et Delica (l’entreprise de Migros) aux micro-torréfacteurs et sociétés de taille moyenne, la Suisse héberge au total 130 torréfacteurs, selon le site Kaffeemacher.ch, dont une trentaine dans les cantons romands.

Le tea-room chassé par le coffee shop
Plus proches du consommateur, les restaurants et les cafés de Suisse continuent de voir dans l’expresso une source de revenu régulier. «Le café en capsules a rehaussé le niveau général des boissons bues à la maison ou au bureau, rappelle Chahan Yeretzian, directeur du Coffee Excellence Center de la Haute Ecole des sciences appliquées de Zurich. La difficulté pour les établissements est donc de convaincre les consommateurs de prendre le café à l’extérieur. Il faut offrir une certaine qualité, tout en préservant sa marge.»
Pour Ennio Cantergiani, les tea-rooms d’antan seraient voués à disparaître, en raison d’une image un peu vieillotte et d’un café trop standard. «Les coffee shops amenés par les Anglo-Saxons dans les villes cosmopolites de Suisse, Genève et Zurich en tête, proposent des méthodes de préparation alternatives.» Il s’agira par exemple de l’ustensile à piston AeroPress, de l’infusion à froid («cold brew» en anglais) ou encore de café filtre réalisé sans machine. Dans ces établissements tenus par des passionnés, on trouve aussi des «latte» parsemés de dessins. Les établissements Birdie à Genève ou Brew Bar à Vevey s’inscrivent dans cette tendance.

Plus de 70% du négoce mondial
L’esprit d’innovation, notamment dans le domaine des machines, constitue une des grandes spécificités du marché suisse. La plupart des grandes sociétés technologiques se situent outre-Sarine, à l’image de Thermoplan (LU), Bühler (SG), Jura (SO) ou Franke (AR). En Suisse romande, une entreprise fait figure de fleuron. La PME Eversys, qui compte une cinquantaine de collaborateurs et dont le siège se trouve à Ardon (VS), est spécialisée dans le développement, la production et la distribution internationale de machines à café automatiques professionnelles. La société créée en 2009 a réalisé un chiffre d’affaires de 17,3 millions de francs en 2016 (+48% par rapport à 2015). Minoritaire, le groupe italien De’Longhi devrait devenir actionnaire majoritaire prochainement.

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© iStockphoto


Autre segment discret du secteur suisse du café: les entreprises de négoce implantées entre Genève et Lausanne. Sucafina, Louis Dreyfus, Walter Matter ou Ecom Agroindustrial sont notamment actives dans le domaine. «Certaines font du négoce simple, avec de l’achat et de la vente de café vert, donc non transformé, explique Ennio Cantergiani. D’autres banques de négoce sont actives dans la spéculation.» Autrefois basées à Londres, les sociétés de négoce de matières premières se sont déplacées en Suisse.

L’Arc lémanique est devenu la nouvelle «plaque tournante», souligne le Genevois Jérémie Trono, trader chez Efico. «Il est estimé que 70 à 75% des contrats de café vert mondiaux sont négociés depuis la Suisse.»
Surfant sur la vague du café de spécialité, un nouveau type de sociétés émerge en Suisse: les écoles privées spécialisées. Une dizaine ont vu le jour, dont l’Académie du café créée en 2016 par Ennio Cantergiani. Les formations qu’elles proposent, comme par exemple pour le diplôme de barista, sont notamment encadrées par la Speciality Coffee Association Schweiz. Les professeurs mettent en avant les similarités avec le vin, en utilisant des termes comme terroirs, assemblages ou arômes.


«La croissance est excellente depuis notre diversification»

L’entreprise familiale de torréfaction Carasso a ouvert deux nouvelles boutiques à Genève et lance des cours sur le café.

Les idées foisonnent dans la tête de Philippe Carasso, directeur de la PME basée à Satigny (GE). Récemment, le «petit torréfacteur genevois» s’est transformé en torréfacteur-vendeur en inaugurant deux magasins dans le centre-ville de Genève. «Carasso est un des seuls torréfacteurs à posséder ses propres boutiques et nous n’excluons pas l’idée d’en ouvrir encore d’autres, car la croissance est excellente depuis que nous nous sommes diversifiés», se félicite le chef d’entreprise.
Un tiers du chiffre d’affaires de Carasso est aujourd’hui réalisé dans ses boutiques. La vente aux cafés, hôtels et restaurants reste toutefois le segment le plus important, représentant environ 60% des revenus de la PME. Le restant correspond au café torréfié vendu sous la forme de «marques blanches», soit en sous-traitance.
Conjointement à l’ouverture de ses boutiques, l’entreprise genevoise a mis en place des formations de barista, dispensées par le spécialiste du café Ennio Cantergiani. Amateurs et professionnels peuvent y apprendre les techniques de l’expresso et de ses dérivés. Ils reçoivent des cours sur l’analyse sensorielle et la dégustation, les défauts des grains ou encore l’économie du café. «Par cette démarche, nous sommes dans la transmission d’un savoir et dans l’éveil du consommateur», précise le directeur, qui projette également de commercialiser un café au whisky à la rentrée prochaine.


«Nous avons souffert de l’arrivée des capsules»

L’entreprise de la région lausannoise Cafés Cuendet se concentre sur le service aux professionnels.

Carmine Romanelli, 68 ans, dirige Cafés Cuendet depuis 1985. L’homme d’affaires d’origine italienne a ainsi pu observer le volume de torréfaction de l’entreprise doubler et le nombre d’employés passer de 14 à 27. L’avènement du café en dosettes a freiné la progression de la PME basée à Crissier (VD). «Nous avons souffert de l’arrivée des capsules. Cela nous a obligés à consolider les secteurs qui marchaient bien», se souvient Carmine Romanelli. Le torréfacteur a donc misé sur le café en grains – livré en grande partie aux professionnels, notamment aux restaurants –, sur le secteur des machines à café et de leur entretien, ainsi que sur le service de livraison. Des domaines qui représentaient à eux trois 80% du chiffre d’affaires de l’entreprise en 2017.
La traçabilité du café est un autre axe fort du projet mené par le directeur, également actionnaire minoritaire: «Cela fait dix ans que nous œuvrons pour proposer une traçabilité totale, du producteur à la tasse. Et cela continuera à l’avenir.» Les exportations de l’année 2018 pourraient également jouer un rôle moteur: «Environ 20% de notre activité se concentre sur l’étranger. Nous réalisons ainsi des échanges avec Dubaï, les Etats-Unis et l’Iran. A l’avenir, cette part pourrait croître, puisque nous démarrons un partenariat avec le Vietnam.»


«Notre production de café en grains ne cesse d’augmenter»

Fondée en 1900, La Semeuse fait partie des torréfacteurs romands les plus connus. Elle vise désormais aussi le marché alémanique.

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 Nicolas Bihler, directeur de La Semeuse à La Chaux-de-Fonds.
© N.De Neve

A sa création par la famille Bloch, l’entreprise La Semeuse se spécialise dans l’importation et la distribution d’huile d’arachide. Ce n’est qu’en 1938, dans une période d’entre-deux-guerres peu propice au commerce d’huile, qu’elle s’oriente vers la torréfaction du café. Depuis 2015, la famille neuchâteloise Bihler a repris la direction avec une stratégie différente de ses concurrents: «La plupart des torréfacteurs tentent d’appâter les clients avec des prix plus bas que Nespresso. Nous avons fait le choix de nous positionner plus haut, avec des produits de qualité», explique le directeur, Nicolas Bihler.
La société de La Chaux-de-Fonds, qui compte 37 employés, importe le café vert d’Amérique latine et d’Afrique pour le torréfier et ainsi transformer le grain brut en café moulu, dosettes, grains et capsules. Près de 70% des produits sont écoulés dans le commerce de détail, contre 30% dans les entreprises, restaurants et hôtels. Et malgré un arrivage massif de la capsule sur le marché du café – que La Semeuse a adoptée en 2014 – la «production de café en grains ne cesse d’augmenter», souligne le directeur.
Si les affaires se portent bien avec une hausse du chiffre d’affaires de 15% entre 2016 et 2017, Nicolas Bihler souhaite accroître les exportations: «Aujourd’hui, la part des exportations est de 15%. J’aimerais qu’elle passe à 30% ces prochaines années.» La Semeuse souhaite aussi intensifier sa présence outre-Sarine.