Avec 13 257 nouvelles procédures de faillite, l’année 2017 a constitué un record en Suisse (+2,6%). Parmi ces sociétés figurent malheureuses un grand nombre de jeunes pousses qui, malgré un concept innovant et une volonté de fer, se sont rapidement essoufflées. Huit anciens collaborateurs et membres de la direction de start-up désormais disparues reviennent sur les raisons de leur échec (lire témoignages).
Ils évoquent, pêle-mêle, la faiblesse de leur business plan, la concurrence féroce ou encore le manque d’implication. Des experts du monde du coaching et de l’accompagnement aux entreprises livrent par ailleurs quelques conseils pour éviter les faux pas, et la chute fatale.

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1- Assurer son financement
Environ 60% des start-up en Europe cessent leurs activités après cinq ans en raison d’une sous-évaluation de leur financement. C’est la principale cause d’échec, selon Pascal Bourgier. Le coach en création de start-up chez Genilem constate que les entrepreneurs ont tendance à «tout griller» avant même d’avoir trouvé leurs clients. Il est par conséquent primordial d’effectuer des études de marché approfondies de chaque segment visé.
«Il faut toujours demander davantage que ce dont on pense avoir besoin», souligne pour sa part Douglas Finazzi, responsable romand de l’Institut pour jeunes entreprises IFJ. Le cash a souvent tendance à diminuer plus vite que prévu, il est donc important de bénéficier de réserves suffisantes afin de faire face aux imprévus. Pour ce faire, il est recommandé de prévoir dans son plan d’affaires des best-case/worst-case scenarios, soit un scénario optimiste et un autre plus pessimiste. Cela est d’autant plus important pour une start-up, flexible par définition. Par ailleurs, il convient de limiter au minimum le nombre de levées de fonds et d’entreprendre ces dernières avec des objectifs précis.


2- Cibler la demande
Bien définir sa clientèle est un élément crucial pour éviter de mettre la clé sous la porte. «Il est important d’agir en amont, d’être proactif et de déterminer dès la conception du produit si celui-ci est adapté au public cible», poursuit Douglas Finazzi. Les concepteurs ou les ingénieurs ont souvent tendance à penser que leur produit ou service est génial, sans retours ou tests préalables. Il est donc primordial de confronter son idée au consommateur et d’identifier son profil type: homme, femme, intérêts, lieu d’habitation, etc.
Pascal Bourgier insiste lui aussi sur la nécessité de tester son produit, de réaliser des études de marché ou de lancer une campagne de crowdfunding. Bref, de se «frotter au marché» afin d’évaluer la concurrence déjà existante et la demande exprimée par les clients. De son côté, Jordi Montserrat, Managing Partner de Venturelab, rappelle qu’il faut absolument se poser ces questions trop souvent sous-estimées: Quel problème résout-on? Qui génère la demande? Que veut-on livrer? Qui sont les concurrents? Autrement dit, l’entrepreneur a-t-il bien compris les principes, les contraintes, le contexte global de l’industrie dans laquelle il se lance?

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Douglas Finazzi, responsable romand de l'Institut pour jeunes entreprises IFJ
© DR

3- Bien s’entourer
Constituer une équipe appropriée est fondamental pour le succès d’une entreprise. La vision, les valeurs et les objectifs doivent être partagés par tous. Il faut aussi s’entourer de personnes qui saisissent la dynamique du secteur et comprennent le monde des start-up. Par exemple, il peut arriver qu’un associé souhaite augmenter le nombre de collaborateurs alors qu’un autre désire en priorité faire grossir le capital de la société. Les profils et les sensibilités doivent être complémentaires: certains collaborateurs doivent avoir des affinités avec les affaires, d’autres avec le marketing, d’autres avec les aspects plus techniques. Schématiquement, il vaut mieux éviter le cas classique des trois amis ingénieurs ou développeurs qui décident de se lancer ensemble.
Parmi les entreprises qu’accompagne Genilem, les problèmes relationnels et les conflits entre associés sont la principale cause d’échec. Une question plus difficile à évaluer que celle du financement. D’autant que les individus évoluent avec les années, surtout en cas de rentrée importante d’argent. Si l’incompatibilité est durable, il faudra, à l’image d’un divorce, se résoudre à mettre un terme à l’aventure.

4- Faire mieux que la concurrence
Une concurrence trop rude a signé l’arrêt de mort de nombreuses start-up en Suisse. Pour éviter cet écueil, il peut être utile d’appliquer la stratégie «océan bleu» (exposée dans le livre du même nom de W. Chan Kim et Renée Mauborgne). Il faut parvenir à débusquer cet «océan bleu», c’est-à-dire: savoir ce qu’il reste à faire, où l’on peut encore faire du profit, comment peut-on se différencier, etc. La préparation, à travers les recherches et les études de marché, se révèle primordiale, surtout dans le contexte saturé et mondialisé d’aujourd’hui. «Il faut identifier quels sont les problèmes actuels, résume Douglas Finazzi. Cela peut être l’évolution démographique, le réchauffement climatique ou l’optimisation des processus d’import/export par exemple.»
Pascal Bourgier conseille de ne pas négliger la concurrence indirecte. Pour ce faire, il convient de se demander comment les consommateurs s’en sortaient avant le nouveau produit ou service proposé, qu’est-ce qui rend ces derniers uniques, ce qui les distingue. Cela permettra également de bien évaluer les parts de marché restantes.

Le prix juste est celui que le client est prêt à payer. A la fin, c'est toujours le marché qui tranche.

5- Un prix adapté au marché
Une fois la clientèle cible identifiée, encore faut-il définir le prix adéquat pour son produit. Deux stratégies peuvent s’appliquer. Si l’on dispose de fonds importants, on peut opter pour une posture agressive et vendre en dessous de ses coûts de production. C’est ce qu’ont fait Uber ou Amazon. Le but étant de tuer la concurrence avant de penser à faire des bénéfices. «C’est une stratégie possible, mais il faut être très riche», sourit Douglas Finazzi de l’IFJ.
Pour la majorité des jeunes entreprises qui se lancent sur un nouveau marché, il est plutôt recommandé de bien calculer ses marges afin qu’elles puissent financer les salaires, le marketing et les autres dépenses courantes. Par ailleurs, il ne faut pas oublier l’aspect psychologique du prix. Est-il en adéquation avec la qualité du produit? Dans le cas d’un produit de luxe, celui-ci permet-il de créer une exclusivité ou une distinction? Enfin, il convient de mesurer la valeur de l’innovation proposée grâce à des tests. «Le prix juste est celui que le client est prêt à payer, résume Pascal Bourgier de Genilem. A la fin, c’est toujours le marché qui tranche.»

6- Choisir le bon timing
«Entrer au bon moment sur le marché est extrêmement important», insiste pour sa part Maxime Pallain. Le CEO de la plateforme d’investissement en ligne Raizers cite l’exemple du quinoa: «L’importation de cette plante en Occident n’aurait probablement pas fonctionné dans les années 2000, car la vogue de l’alimentation saine, bio et durable n’existait pas encore suffisamment.»
Afin de n’arriver ni trop tôt, ni trop tard, il est important de scanner le marché, souligne Rico Baldegger, directeur de la HEG Fribourg: «Il faut s’intéresser à la demande régionale ou nationale, mais aussi internationale. Cette partie d’analyse doit être très variée, en mêlant les faits, les chiffres issus d’études ainsi que les rencontres d’acteurs sur le terrain.» Et si, malgré tout, le timing n’est pas le bon, il faut redoubler d’efforts. «Le risque est que la mode soit passée ou que les concurrents aient pris des positions dominantes, relève Maxime Pallain. Dans ce cas, il faut une très bonne gestion, des fonds importants et un nouveau concept disruptif. Si vous êtes très fort, vous pouvez imposer votre produit ou votre service sur le marché, même si personne n’en a besoin. Apple y est bien parvenu avec l’iPhone.»

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Rico Baldegger, directeur HEG Fribourg
© DR

7- Un modèle commercial solide
Bien planifier son modèle économique et ne pas oublier les fondamentaux se révèle crucial pour Maxime Pallain. Schématiquement, il faut anticiper avec précision les sources de revenus et les rentrées d’argent d’une part, les dépenses et les coûts cachés de la société d’autre part. «Un mauvais calcul et tout peut tomber!» Le CEO de Raizers recommande d’ailleurs de se faire aider par d’autres entrepreneurs. «En matière de modèles économiques, il vaut mieux privilégier l’avis de professionnels bénéficiant d’une expérience de terrain que de personnes ayant des connaissances théoriques.»
Et si le business plan demande une attention particulière avant de se lancer, il n’est pas non plus gravé dans le marbre. Il convient de l’adapter aux habitudes des consommateurs et aux évolutions du marché. «Il faut y aller étape par étape, souligne Rico Baldegger. Il est possible de démarrer avec un produit facile à insérer sur le marché, afin de se faire connaître. Puis il faut rapidement passer à une clientèle non bêta.»

8- Une stratégie marketing adaptée
Trop de start-up se trompent de plan marketing et en pâtissent. «Les sociétés ont des stratégies différentes, remarque Maxime Pallain. Certaines, avec un modèle business to consumer et un produit de grande consommation, souhaiteront être connues de tous, communiquer de manière globale, et paieront très cher pour leur campagne. D’autres, dans un modèle business to business, baseront leur prospection sur le contact humain.»
Mais un conseil s’applique toutefois à l’ensemble des entreprises: il faut sortir du lot, être créatif. La marque française Michel et Augustin l’a bien compris. Les deux associés se sont filmés en train de camper devant le siège de Starbucks afin d’obtenir un rendez-vous avec le PDG, dans le but de faire distribuer leurs biscuits et autres produits par la multinationale. Cette action a créé un buzz, pour le prix d’une tente et d’une caméra. «Le même impact avec une stratégie de communication traditionnelle aurait coûté des millions.» Selon David Narr, directeur de la structure d’accompagnement Genilem, il ne faut pas hésiter à tester ses produits, à en mesurer les effets et à sonder l’opinion. «Avec les réseaux sociaux, nous avons aujourd’hui des moyens numériques qui permettent de le faire sans trop de frais. Une campagne de publicité sur Facebook se révèle par exemple beaucoup moins onéreuse que l’installation de 5000 affiches en papier dans la rue.»

9- Soigner sa clientèle
La satisfaction du client devrait être une évidence pour tous, mais il existe encore de grandes disparités selon les entreprises, estime Maxime Pallain, CEO de la plateforme d’investissement Raizers. «Prenons l’exemple de deux restaurants. Dans le premier, surbooké, le personnel se permet des largesses et d’être désagréable. Dans le second établissement, le service est, par contre, constamment excellent. Cette différence de traitement aura évidemment un effet sur le long terme.»
«Chacun sait qu’il est plus facile de garder ses clients que d’en chercher de nouveaux», rappelle le directeur de Genilem. Mais il s’agit de redoubler d’efforts, car les clients, bien servis par un grand nombre de sociétés, deviennent toujours plus exigeants. «La fidélisation des consommateurs peut ainsi provoquer de nouvelles ventes. Et si l’un d’entre eux devient ambassadeur de l’entreprise, l’effet boule de neige est enclenché.»
Rico Baldegger parle même de cocréation avec le client. «Ses idées, ses feed-back peuvent influencer l’évolution de l’entreprise. Cette proximité est d’ailleurs l’avantage d’une PME.» Les techniciens font encore trop souvent l’erreur de rester dans leur atelier ou dans leur laboratoire, alors qu’ils devraient se rendre sur le terrain pour discuter avec leur clientèle.

10- Garder le cap!
L’équipe avec laquelle on travaille est évidemment importante, mais le soutien personnel apporté par la famille, les amis et l’ensemble du réseau social l’est tout autant. «Le sentiment de ne pas être seul vous renforce, rappelle Rico Baldegger de la HEG Fribourg. Créer un écosystème autour de soi, qui a de l’énergie et une vision positive, motivera l’entrepreneur.»
Un nombre élevé de jeunes sociétés ferment en raison de négligences de la part des dirigeants. Il est donc nécessaire de faire preuve de discipline. «On peut avoir le sentiment que cela n’amène pas de valeur ajoutée, mais il faut veiller à être toujours à jour sur le plan administratif, en particulier en matière de comptabilité», avance David Narr de Genilem.

Mieux vaut avoir des problèmes financiers, voire faire faillite, que de détruire sa santé.

Sonder sa véritable motivation avant de se lancer paraît aussi indispensable, estime Maxime Pallain. «Il est important de se poser les bonnes questions dès le début: Ai-je envie de ça? Suis-je prêt à ne pas me payer pendant un ou deux ans? Suis-je prêt à manager, à gérer des vraies personnes qui vont compter sur moi et me faire confiance?»
Il est finalement important de veiller au burn-out. «Dans une start-up, le chef d’entreprise fait tout, surtout au début, mais rien ne l’oblige à travailler 60 heures par semaine, poursuit Maxime Pallain. Il doit s’organiser et définir ses priorités. Lors des moments difficiles, il est crucial qu’il continue à bien manger, dormir et faire du sport. Il sera plus efficace au final.» Même son de cloche chez David Narr: «Mieux vaut avoir des problèmes financiers, voire faire faillite, que de souffrir d’un burn-out. Rien ne vaut la peine de se détruire la santé.»


«On ne peut baser son affaire sur l’espoir d’une vente à un grand groupe»

Après plusieurs années consacrées à concevoir des montres mécaniques haut de gamme, le designer horloger Jorg Hysek a décidé de lancer en 2007 la marque de montres digitales Slyde Watch.

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Le designer Jorg Hysek se consacre à la réalisation de pièces horlogères artistiques. 
© DR

En trois ans d’existence, la société a réussi à employer une quinzaine de collaborateurs et à vendre jusqu’à
3000 pièces par année, cela après avoir levé 10 millions de francs auprès d’une dizaine de partenaires financiers.
«J’avais approché tous les grands groupes horlogers suisses afin de bénéficier d’une distribution suffisante, mais aucun ne s’est montré suffisamment intéressé, se rappelle Jorg Hysek. Ils étaient encore très frileux en ce qui concerne les montres digitales…»
Sans cet appui logistique, ni financement supplémentaire, la société n’a pas pu atteindre le volume nécessaire qui lui aurait permis de vendre ses créations à un prix de 2000 francs au lieu de 5000 à 6000 francs. L’entreprise disposait d’une centaine de points de vente dans le monde, contre environ 500 qui auraient été nécessaires à son développement.
Le designer se consacre aujourd’hui à la réalisation de pièces horlogères artistiques en relation directe avec ses clients. La leçon qu’il a retenue de cette expérience? «Il ne faut pas baser une affaire sur l’espoir de la vendre à un grand groupe.»


«Il s’agit de s’entourer des meilleures personnes»


Avec une cinquantaine d’apparitions dans la presse, le site d’enchères inversées Cronodeal a beaucoup fait parler de lui. Il faut dire qu’à son lancement en 2014 par Alessandro Soldati et un camarade de HEC Lausanne, il a enregistré un pic de 25 000 visites en un seul jour. La société a par la suite rapidement grandi, en s’installant dans un immense dépôt à Bussigny en 2016 et en engageant près d’une dizaine d’employés. Elle vendait aussi bien des appartements de luxe que des montres de marque ou des voitures. Malgré tout, en janvier 2017, les associés ont engagé une réflexion de fond, car les efforts investis n’étaient pas compensés financièrement. La concurrence des boutiques en ligne Siroop et Galaxus était féroce. «Beaucoup d’opportunités nous passaient sous le nez. Nous avons préféré liquider la société, en ayant des fonds encore à disposition. Sans aucun regret.»
Alessandro Soldati a rebondi et gère aujourd’hui plusieurs start-up où il applique les leçons tirées de sa première expérience. Pour GoldAvenue, plateforme de vente en ligne de métaux précieux, l’entrepreneur a créé des bases solides. «Il ne s’agit pas juste de chercher des fonds mais d’analyser le marché, de savoir à quel public on s’adresse, et de s’entourer des meilleures personnes.» Dans le cadre de la société Ticinobox, active dans la distribution de boîtes découverte de produits tessinois, il travaille avec une personne très motivée, qui «fait avancer» l’entreprise.


«Nous aurions dû nous focaliser sur une application en particulier»

En 2016, Gavrilo Bozovic fonde Teleport, plateforme de vidéo interactive en ligne. La société se développe dans un premier temps rapidement, attirant des investisseurs en Suisse et aux Etats-Unis, avant d’être finalement rachetée fin 2017.

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Gavrilo Bozovic travaille désormais comme mentor pour des start-up.
© Julien Chavaillaz

Avec du recul, Gavrilo Bozovic analyse: «Notre technologie avait de nombreux débouchés, ce qui paraît intéressant: beaucoup de clients nous approchaient avec des idées. Cependant, cela nous a fait perdre beaucoup de temps. Nous avons trop exploré le marché plutôt que de nous focaliser sur une application en particulier.» Faire un choix aurait permis d’envoyer un message clair et de développer les ventes de manière plus efficace. «Mais choisir un marché implique de dire non à beaucoup de clients potentiels, ce qui est une décision difficile pour un entrepreneur.»
Gavrilo Bozovic travaille aujourd’hui comme mentor pour plusieurs start-up ainsi que comme consultant pour de grandes entreprises. Et il observe le même problème. «Beaucoup de start-up réfléchissent à de nouveaux produits avant d’avoir compris ce que leurs clients attendent. Des grandes entreprises investissent des millions dans des nouveaux développements sans avoir suffisamment validé leur marché. Dans les deux cas, je les aide à avancer pas à pas, en écoutant leurs clients, plutôt que de se lancer – et se perdre – dans des développements inutiles.»


«Je voyais que quelque chose n’allait pas, mais je voulais y croire»

Le début de Swiss Space Systems (S3), tout comme sa fin, a été fortement médiatisé. De la promesse d’envoyer une navette suisse dans l’espace au constat que son CEO, Pascal Jaussi, avait simulé une tentative d’agression sur lui-même.

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La faillite de Swiss Space Systems a été prononcée début 2017. 
© Swiss Space Systems

Pierre-Alexandre Schwab, ex-ingénieur système dans l’entreprise, raconte: «J’ai fait partie de l’aventure dès le début. Je travaillais sur mandat et puis j’ai cherché à être engagé, car c’était une véritable opportunité.» L’informaticien y parvient mais déchante vite: les salaires ne suivent pas. Les dépenses de l’entreprise sont monumentales: bureaux équipés de matériel dernier cri, BMW pour chaque membre de la direction, alors que les investisseurs se font rares. Seul un contrat de sponsoring de Breitling et un prêt régulier d’Axa Winterthur remplissent les caisses.
«A ce moment, j’avais deux sentiments contradictoires. Je voyais que quelque chose n’allait pas, qu’il y avait un risque que je perde beaucoup. Mais je m’imaginais aussi quitter l’entreprise et la voir décoller, de loin, en regrettant d’être parti.» Le personnel reste, jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, «psychologiquement, physiquement et financièrement». Finalement, la faillite est prononcée début 2017.
«Ceux d’entre nous qui ont rebondi l’ont fait grâce à leur famille, au soutien de leurs proches. Seul, cela aurait été très dur.» Pierre-Alexandre Schwab a retrouvé un emploi six mois après son départ de S3. Comme salarié. «Je ne suis pas dégoûté de l’aventure start-up. Je peux toutefois en tirer quelques leçons, comme celle de ne plus faire confiance aveuglément et de ne plus se fier uniquement à des paroles.»


«Avoir l’esprit d’un vendeur est indispensable»

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Pour Davide Valdarnini, son chocolat bio et éthique a peut-être été lancé trop tôt.
© Y. Genevay/Le Matin

Les chocolats Désolé naissent d’une blague entre amis. A l’instar des chocolats Merci, l’idée est de commercialiser des douceurs pour se faire pardonner. Un crowdfunding, porté par une vidéo pleine d’humour, rapporte 15 000 francs à Davide Valdarnini et à son associé début 2016. Une somme qui est vite dépensée dans l’achat de moules, de pâte chocolatée de base et d’emballages. C’est que les deux compères souhaitent en faire un produit éthique avec du cacao bio et un packaging équitable. Trouver les partenaires adéquats se révèle complexe et le produit final coûte cher. Malgré une distribution de quelques mois chez Globus et Manor, les rentrées d’argent sont trop rares, et le duo décide d’arrêter l’aventure.
Aujourd’hui, Davide Valdarnini se demande si le produit n’est pas arrivé trop tôt sur le marché: «Il y a trois ans, les préoccupations pour ce type de produit n’étaient pas encore si vives.» Il estime aussi que pour créer un produit de grande consommation, il faut avoir «l’esprit d’un vendeur». De la patience est également nécessaire. «On parle souvent de trois ans comme délai pour qu’un produit perce. Nous avons voulu réduire ce temps en brûlant les étapes. Or, il y a de l’inertie en Suisse, tant auprès des investisseurs
que des consommateurs.»
Davide Valdarnini travaille désormais comme indépendant dans l’audiovisuel, collabore avec la RSI pour du contenu d’émissions et s’engage en politique. «Quand on n’est pas bon vendeur de chocolat, il faut développer des produits d’un autre type. Aujourd’hui, je fais encore passer des messages, mais différemment.»


«Le double business model s’est avéré contre-productif»

Deux scientifiques, Christophe Reymond et Nicolas Fasel, et un spécialiste finance, Bruno Macherel, créent ensemble la start-up biotech RMF Dictagene en 1991. Ils ont deux projets: d’une part, la production de peptides synthétiques (polymères d’acides aminés) destinés aux entreprises pharmaceutiques. D’autre part, la recherche de produits novateurs, dont un vaccin anti-malaria. L’entreprise engage jusqu’à 30 employés pour développer ses activités, qui s’étendent désormais aussi à l’oncologie ou à l’herpès. Mais, fin 2004, la deuxième phase clinique du vaccin anti-malaria ne fonctionne pas. La majorité des investisseurs, trop focalisés sur ce vaccin, perdent confiance. Les fonds viennent à manquer en 2005 et la liquidation intervient deux ans plus tard.
A l’heure du bilan, un élément ressort: RMF Dictagene était soutenue essentiellement par des actionnaires privés, motivés par la bienfaisance. «Des investisseurs professionnels nous auraient peut-être poussés à vendre une partie de nos équipements ou à réorienter le projet», analyse Christophe Reymond. Autre enseignement, le business model double (vente et recherche) s’est révélé contre-productif. Et puis, le fait de dégager un produit phare et de le vendre ainsi aux investisseurs n’était pas un bon calcul. «Nous avions une diversité d’activités, mais le soutien financier était concentré sur un seul projet.» Christophe Reymond travaille aujourd’hui comme General Manager de la branche suisse de Voisin Consulting. Il partage son expérience pour accompagner les start-up biotech.


«Il faut être prêt à s’investir complètement»

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La société spécialisée dans le matériel de plongée a été fondée en 2011.
© iStockphoto

La société Pandora Underwater Equipment vient tout juste de mettre la clé sous la porte. Spécialisée dans la conception, l’achat, la vente, la production et le conseil en matériel de plongée sous-marine, elle comptait sept collaborateurs pour l’équivalent de trois postes à plein temps. L’entreprise fondée en 2011 s’était notamment fait connaître grâce à un prototype permettant de contrôler de façon autonome les gilets stabilisateurs de plongée sous-marine.
«Techniquement, nous n’avons pas réussi à industrialiser le prototype, indique le cofondateur Christophe Glez. De plus, lorsqu’on se lance dans ce type d’aventure, il faut être prêt à investir énormément de temps, ce que je n’ai pas fait personnellement.» Par exemple, il n’a pas «fait le pas» de démissionner de son emploi chez Thermo Fisher Scientific, une multinationale américaine fournissant du matériel de recherche et d’analyse aux laboratoires, pour se consacrer à 100% au développement de la start-up. Il admet, par ailleurs, que la jeune société ne bénéficiait peut-être pas des compétences et des ressources en interne
à la hauteur de ses ambitions.
Cette expérience pratique, Christophe Glez la voit comme une sorte de MBA «sans le diplôme final, mais avec le coût correspondant», puisqu’il a investi une somme importante dans sa start-up. Il en retire par exemple des compétences en création et gestion d’entreprise, tout comme une maîtrise des relations avec des actionnaires et un comité de direction.


«En Suisse, il est plus facile de gagner des prix que de lever des fonds»

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La start-up StereoTools concevait des outils pour soigner des tumeurs cérébrales. 
© iStockphoto

Ingénieur de formation, Rémi Charrier a cofondé en 2005 la société StereoTools. Constituée de cinq collaborateurs, cette start-up spécialisée dans le développement de dispositifs médicaux concevait des outils capables d’atteindre des tumeurs cérébrales de manière extrêmement précise.
Malgré plusieurs prix remportés, elle a été contrainte de cesser ses activités en 2011 par manque de financement, cela avant d’avoir pu accéder à la phase de commercialisation et vendre son produit aux hôpitaux. «Dans le secteur des technologies médicales, les moyens sont importants. Nous avions besoin de 10 millions de francs. Mais en Suisse, il est plus facile de gagner des prix que de lever des fonds.»
Selon lui, les investisseurs restent peu nombreux dans notre pays et s’intéressent davantage aux projets destinés aux grands marchés avec des risques restreints. Son expérience entrepreneuriale lui a cependant permis de se familiariser avec différents paramètres nécessaires à la gestion d’une entreprise, que ce soit en termes réglementaires ou de gestion d’équipes et de projets. Des compétences qu’il peut aujourd’hui mettre à profit en tant que directeur technique chez Intuitive Therapeutics, une start-up basée à Saint-Sulpice active dans le développement de logiciels médicaux.