Appeler un salon de coiffure et se renseigner sur les disponibilités avant de fixer un rendez-vous: ce sont les dernières prouesses en date réalisées par l’assistant personnel développé par Google. De son côté, Alexa, l’assistant personnel intelligent d’Amazon, pourra bientôt répondre à des appels basiques. Ces exemples dessinent une refonte totale du modèle des centrales d’appels actuelles. Souvent délocalisées, ces structures pourront en effet être fortement impactées par l’arrivée des assistants vocaux.
Pour Xavier Studer, blogueur spécialisé dans les télécommunications, cette évolution est naturelle. «Beaucoup d’entreprises recourent déjà à des bases de données pour répondre à la clientèle par le biais de chats ou d’e-mails. L’aspect vocal n’est que la pointe de l’iceberg.» Pour ce spécialiste, il s’agit aussi souvent d’une question d’image. Mais encore faut-il apporter des réponses pertinentes. Et à ce niveau, il reste du chemin à parcourir pour passer d’une intelligence artificielle qui se contente de compiler des données, à une intelligence artificielle capable d’un véritable raisonnement.
Fournir une réponse valable est bien plus difficile que de l’énoncer correctement. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise qu’une entreprise comme Google, dont le corps de métier consiste à répondre à des questions, se lance dans ce segment. Présentée à San Francisco lors de la conférence annuelle Google I/O pour la première fois cette année, la fonction d’assistance vocale lancée par le géant californien s’appelle Google Duplex. Testée cet été aux Etats-Unis, cette technologie devrait permettre d’effectuer des tâches réelles comme la planification de rendez-vous, grâce à des conversations naturelles par téléphone. Les utilisateurs pourront parler normalement, comme ils le feraient avec une autre personne, sans avoir à s’adapter à une machine.
Dans leur travail, les ingénieurs de Google ont pris en compte le fait que lorsque les gens se parlent, ils utilisent des phrases plus compliquées que lorsqu’ils s’adressent à des ordinateurs: ils se corrigent souvent au milieu d’une phrase, sont plus bavards que nécessaire et omettent parfois des informations, préférant se référer au contexte global. A ceci s’ajoute un rythme plus rapide et souvent plus saccadé. Bien d’autres écueils devront encore être surmontés avant d’aboutir à des systèmes d’assistance vocale véritablement efficaces.
Il reste beaucoup plus facile pour une machine de comprendre un texte écrit que parlé. Par exemple, les ordinateurs peinent encore à distinguer une voix lorsque l’on entend d’autres personnes parler en toile de fond ou à comprendre une personne s’exprimant avec un accent. De même, les machines bloquent souvent face au context switching. Ce qui peut poser problème dans le cas d’une personne appelant pour déclarer un sinistre et qui souhaiterait subitement obtenir des informations sur une nouvelle police d’assurance pour sa voiture.
Cosmos chez Swisscom
Comme le démontre l’exemple de Connie, un robot-concierge testé aux Etats-Unis par la chaîne Hilton et programmé pour répondre à près de 200 questions, la communication avec des machines n’est pas toujours chose aisée. Dans ce cas précis, il s’est avéré que les clients se contentaient de ne poser qu’une vingtaine de questions au robot, notamment celles qu’ils n’auraient pas osé poser à des humains, comme où trouver des strip-teaseuses, par exemple. Une situation qui démontre l’importance de bien cibler ce type de services, surtout lorsque l’on tient compte des coûts importants qu’ils peuvent engendrer.
En Suisse, où il y a trois langues nationales, la transition devrait prendre plus de temps.
Swisscom exploite en interne divers systèmes basés sur l’intelligence artificielle. C’est le cas du bot Cara, actif sur Facebook, ou de Cosmos, qui a appris via l’apprentissage automatique (machine learning) à identifier les demandes communiquées par des clients sous forme de texte (e-mail, fax, lettre ou formulaire en ligne), puis à les transmettre au bon service. Cosmos peut en outre répondre automatiquement aux demandes des clients portant sur des problèmes que ces derniers peuvent résoudre par eux-mêmes. Le lancement d’un autre chatbot de service auquel les clients pourront adresser leurs requêtes simples (du type «Comment installer internet chez soi?») est prévu dès 2019.
«Nous percevons l’intelligence artificielle comme une opportunité de taille, indique le porte-parole Christian Neuhaus. Ces systèmes ont pour but de soutenir et de décharger les agents dans le cadre de leur travail et non de leur faire concurrence. Les demandes de service véhiculent souvent un aspect très émotionnel. Un bot ne peut dès lors se substituer à un agent: il sert bien davantage de collègue électronique.»
Active en tant que call-center entièrement basé en Suisse depuis 1985, la société Digicall, à Denges, est consciente de la nécessité de repenser son modèle d’affaires en raison de l’évolution technologique et des nouvelles attentes de sa clientèle. La société emploie 30 collaborateurs et gère 30 000 appels par mois pour le compte d’environ 150 clients allant de sociétés comme Kudelski ou la compagnie d’assurances Zurich à des cabinets d’avocats ou de médecins.
Afin de pérenniser ses activités, elle entend recourir à l’assistance de logiciels «dans le but d’optimiser l’expérience client tout en minimisant les risques d’erreur», indique la directrice adjointe Aurore Muller-Gaudard. Pour ce faire, à côté de ses activités classiques de gestion d’agenda, de dépannage, de monitoring d’appels et de helpdesk, la société mise sur diverses technologies, telles que le développement de chatbox ou de systèmes de traductions simultanées permettant d’assister les agents à l’aide de sous-titres lors d’appels dans des langues étrangères.
Coopération hommes-machines
Pour Xavier Studer, ce type de modèle complémentaire devrait se généraliser dans les années à venir, les entreprises tendant de plus en plus à favoriser l’utilisation de formulaires de contact pour les requêtes basiques et ne recourir à des agents que pour les questions les plus complexes. Ce qui devrait aussi, au passage, permettre de limiter les coûts en personnel. «La Suisse, avec ses trois langues nationales, présente une particularité à ce niveau, dit-il. Il sera plus difficile de remplacer le travail des agents. La transition devrait prendre plus de temps qu’au sein de grands pays parlant la même langue, comme les Etats-Unis ou l’Allemagne.»
Responsable des technologies de l’information à l’Ecole hôtelière de Lausanne, Julia Aymonier estime elle aussi que la fonction d’information à la clientèle prendra de plus en plus la forme d’une coopération accrue entre les hommes et les machines. «On peut mentionner l’exemple d’Amelia, un système d’intelligence artificielle utilisé notamment par UBS ou Intercontinental Hotels Group pour répondre à des questions basiques de leur clientèle.» Dans les années à venir, l’enjeu consistera selon elle à former le personnel, et ceci dans tous les secteurs de l’économie, afin que celui-ci puisse apprendre aux machines, comme à un stagiaire, à réaliser à sa place des tâches répétitives et chronophages. Un travail qui ne concerne de loin pas uniquement les programmeurs, mais toutes les personnes sachant utiliser un ordinateur.
Les coûts dépendent du spectre de questions-réponses que l’on souhaite traiter. Il faut compter environ 1000 francs pour qu’un webmaster réalise un bon site-vitrine de base pour une petite entreprise. Les prix augmentent ensuite selon les fonctionnalités (formulaires de contact, chatbots, e-commerce) que l’on souhaite ajouter. Un système comme Amelia – qui s’adresse à des grandes structures – demande davantage de travail.
Afin d’établir un cadre conversationnel efficace, il doit préalablement être entraîné aux problématiques (légales, juridiques) et aux champs sémantiques propres à l’entreprise, ce qui implique une collaboration étroite entre les équipes techniques et les ingénieurs de la société américaine IPsoft, créatrice d’Amelia. «Dans tous les cas, même un investissement initial de quelques centaines de milliers de francs est vite amorti par rapport aux économies potentielles», estime Xavier Studer.