Les chiffres de la consommation en ligne ne cessent de croître en Suisse, mais les internautes se tournent plus qu’ailleurs vers des sites étrangers, au détriment des plateformes nationales. C’est ce que montre une étude du cabinet américain de recherches eMarketer. En 2017, la consommation online sur les sites suisses s’est élevée à 8,6 milliards de francs, soit 5% du total des ventes du commerce de détail en Suisse, montre l’étude. A titre de comparaison, les ventes en ligne sur les plateformes nationales d’autres pays sont proportionnellement beaucoup plus importantes: elles atteignent 18% de l’ensemble du retail au Royaume-Uni, 15% en Allemagne et 10% en France, selon les estimations du cabinet de recherche Centre for Retail Research.

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Cette situation particulière s’explique notamment par la forte concurrence des plateformes étrangères qui proposent des offres compétitives sur le marché suisse, et dans les langues nationales. «La Suisse est géographiquement proche des grands marchés de l’e-commerce, tels que la France et l’Allemagne, et les achats transfrontaliers sont relativement simples, résume Eric Haggstrom, analyste pour eMarketer cité dans le rapport. Nous ne prévoyons pas que les ventes du commerce électronique en Suisse augmenteront de manière spectaculaire dans les années à venir. En 2022, cette proportion ne devrait pas dépasser les 5,7%.» Nicolas Inglard, directeur du cabinet genevois d’analyse Imadeo, se montre plus optimiste. Il estime que les ventes en ligne pourraient représenter 10% de la totalité du commerce de détail dans les années à venir.

L’exception Digitec Galaxus

Mais des mesures devront être prises pour convaincre les consommateurs d’utiliser davantage les sites helvétiques quand ils font leurs achats en ligne. Selon Carlo Terreni, directeur général de NetComm Suisse, une association de promotion du commerce électronique, le retard des plateformes nationales a une autre cause: la faiblesse de l’offre suisse, qui ne permet souvent pas de rivaliser avec des acteurs étrangers comme Zalando ou Amazon. «Ce désintérêt est navrant et nous nous battons pour favoriser le commerce en ligne local. Mais pour ce faire, l’offre des sites suisses doit être revue.»

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Robin Eymann, responsable de la politique économique à la FRC
© J-L Barmaverain

Parmi les critiques à l’encontre des plateformes de vente en ligne, les consommateurs avancent souvent les prix comme facteur prépondérant. «Il faut arrêter de toujours stigmatiser les prix suisses, réagit Robin Eymann, responsable politique économique de la Fédération romande des consommateurs (FRC). Certains acteurs comme Digitec Galaxus affichent les mêmes tarifs que ceux pratiqués par des prestataires étrangers comme Amazon, notamment dans l’électronique de loisirs.» D’ailleurs, la stratégie de l’enseigne suisse, filiale de Migros, s’engage dans cette direction, comme l’indique Florian Teuteberg, cofondateur de Digitec. «Notre but est d’aligner les prix du commerce en ligne suisse sur l’Allemagne. Nous y sommes déjà parvenus dans le secteur de l’électronique. Nous faisons un autre grand pas dans cette direction avec l’expansion de notre grand magasin en ligne Galaxus, prévue cette année en Allemagne.»

Cette stratégie se révèle payante. Dans un classement réalisé par le cabinet de recherche Carpathia, la plateforme domine le segment «business to consumer», affichant un revenu de 690 millions de francs en 2017, juste devant Zalando.ch (685 millions) et Amazon.de (575 millions). Pour Carlo Terreni, de NetComm, la réussite de la filiale de Migros provient de la clarté de son approche stratégique. «La société démontre qu’il est possible d’avoir du trafic sur son site avec une politique de vente claire et des services adéquats. Ce catalogue idéal de services est plutôt rare en Suisse.»

Cadre légal défaillant

Carlo Terreni estime que le succès de Digitec Galaxus provient de sa bonne compréhension du marché qui illustre, en creux, les lacunes de beaucoup d’autres acteurs du secteur. «En sondant leurs intentions, on constate que beaucoup d’entreprises proposent un canal de vente supplémentaire en ligne uniquement dans le but d’occuper une place sur le marché, et pour accroître leur visibilité, mais sans s’intéresser en profondeur aux opportunités du web.» Il estime que les sites seraient plus attrayants en s’appuyant sur des experts du commerce en ligne, notamment dans le domaine des services de vente proposés. «Il suffit de voir le processus de retour d’articles ou de remboursement pour s’en convaincre.»

Robin Eymann, de la FRC, pointe du doigt le cadre juridique: «Le droit suisse n’offre aucune base légale pour des délais de rétractation, alors qu’il est de 14 jours en Europe. Il en va de même pour les délais de livraison, les cas de non-livraison et les retours de marchandises. De plus, dans la majorité des cas, il faut créer un compte spécifique au site, ce qui peut décourager certains internautes. Autant d’obstacles qui vont freiner les achats du consommateur suisse.»

Pour renforcer la place du commerce en ligne indigène et combler son retard, NetComm Suisse a créé le label de certification BuySafe.swiss. L’objectif visé avec ce label est double: améliorer le trafic et les ventes réalisées en Suisse ainsi qu’élargir les débouchés à l’étranger. Pour recevoir cette certification, les enseignes devront remplir une série de conditions: être établies en Suisse, avoir recours à un prestataire de solution de paiement local et assurer la gestion et le stockage des données en terre helvétique. De plus, les sites de vente en ligne devront garantir une ponctualité des livraisons.

La Suisse n’offre pas de base légale sur les délais de rétractation contrairement à l’UE.

«La création de ce type de label, dont le but est de promouvoir le commerce online local, se retrouve dans d’autres pays, explique Carlo Terreni. Dans le cadre de la Suisse, ce label est nécessaire car le pays jouit d’une solide image de marque sur laquelle nous devons capitaliser.» Robin Eymann, de la FRC, renchérit: «La qualité suisse est mondialement connue et reconnue. Parfois, il vaut mieux payer un peu plus cher un objet avec des services et des conditions de vente optimales plutôt que sauter sur une occasion en Chine avec le risque de recevoir un produit défectueux et de faire face à d’importantes difficultés pour ensuite régler le litige avec le vendeur à l’autre bout du monde.»

L’évolution de la réglementation pourrait également renforcer la compétitivité des sites suisses. Dès 2019, les commerçants étrangers qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 100 000 francs par an avec de petits envois devront facturer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) helvétique à leurs clients suisses. En contrepartie, la douane ne prélèvera plus l’impôt sur les importations. Est-ce une mesure suffisante pour aider les enseignes indigènes? «Nous saluons cette décision, note Carlo Terreni, mais nous attendons davantage d’implication du monde politique. Il est nécessaire de favoriser les investissements dans des infrastructures destinées à l’e-commerce et de privilégier le développement des compétences des personnes.»


Le politique à la rescousse

En novembre 2017, le conseiller fribourgeois aux Etats Beat Vonlanthen a déposé une motion pour que la Confédération se porte officiellement garante du label BuySafe.swiss, en prenant certaines mesures comme la visibilité et la promotion. Dans son argumentaire, le sénateur s’appuie sur une étude de l’association NetComm selon laquelle près de 200 millions de personnes pourraient commander des biens depuis l’étranger par l’intermédiaire de sites suisses de vente en ligne.

Il prend également en exemple le label autrichien, qui est soutenu par le Ministère fédéral pour la science, la recherche et l’économie. «La Suisse pourrait aussi se positionner à moyen terme comme plaque tournante pour le commerce en ligne», précise-t-il. Sa motion a été transmise à la Commission de l’économie et des redevances pour un examen plus approfondi.