Les PME suisses sont-elles égales face aux grands groupes dans la course aux technologies? Alors que le virage numérique est annoncé comme déterminant pour le proche avenir des entreprises, la question de l’inégalité des chances entre les sociétés, en particulier selon leur taille, devient un enjeu crucial pour notre économie. La question mérite d’être posée; nous avons trouvé des réponses auprès de l’un des plus grands groupes mondiaux spécialisés dans l’inspection, le testing et la certification: le géant genevois SGS, soit 97 000 employés dans le monde (et plus de 400 personnes en Suisse).

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

Lors d’un long entretien, Fred Herren, vice-président senior de la division Digital & Innovation du groupe, tord le cou à de nombreux a priori sur le sujet. Oui, les PME sont aussi des clientes de la SGS et oui, elles peuvent et doivent bénéficier de toutes les avancées technologiques mondiales.

Les PME ne pensent pas forcément à s’adresser à des géants comme vous. Quelle est la taille minimum requise pour une société suisse désirant faire appel à vos services?

Il n’y a pas de limite de taille. Les services et les prix sont identiques pour toutes les sociétés avec lesquelles nous travaillons. Vingt pour cent de nos clients en Suisse sont d’ailleurs des PME, une proportion plus grande encore dans d’autres pays. Pour nous, un client est un client. Nous voulons nous rapprocher plus encore des entreprises romandes, qui constituent un tissu extrêmement dynamique, comme l’ont montré les exemples de sociétés très intéressantes présentées à la récente journée Forward à l’EPFL. A titre d’exemple, nous collaborons avec La Poste Suisse, qui lance une plateforme de ventes des produits suisses en Chine et que chaque PME devrait pouvoir utiliser.

Avez-vous des noms de clients de référence?

La SGS est traditionnellement connue en Suisse romande pour ses activités de certification et de contrôle. Nous travaillons par exemple avec Ricola et des dizaines de PME en Suisse que nous certifions. Mais le devoir de confidentialité nous contraint à la discrétion.

Sur le papier, on semble pourtant loin du numérique…

Nous avons évolué par rapport à cette image «industrielle», en créant une nouvelle structure dédiée à l’innovation et au numérique. Il y a deux ans, nous avons décidé d’accélérer la digitalisation au sein du groupe. A la fois pour optimiser nos processus et pour améliorer notre capacité à développer de nouveaux services à la clientèle en s’appuyant sur le numérique. Notre directeur général, Frankie Ng, est un féru de technologies et l’entité Digital & Innovation rapporte directement au CEO.

Cette cellule compte une cinquantaine de personnes en tout. Quelles sont ses priorités?

Cette entité se focalise sur le développement de notre offre numérique, c’est-à-dire les nouveaux produits et services basés sur des technologies comme le RPA (Robot Process Automation), la blockchain, les drones ou l’intelligence artificielle, sans oublier la véracité des données, l’internet des objets ainsi que la cybersécurité ou la certification des objets connectés. Pour ce faire, nous avons une équipe et un réseau aux quatre coins du monde. Nous venons d’ailleurs d’annoncer l’ouverture prochaine du Campus Cybersecurity en partenariat avec l’Université technique de Graz, en Autriche, qui comprendra un laboratoire de testing important.

En quoi les nouveaux outils vous aident-ils dans vos tâches, finalement?

Un exemple: lors des contrôles physiques de marchandises. Auparavant, nous envoyions un collaborateur inspecter sur site la marchandise. Aujourd’hui, nous employons un système de vidéo à distance sur téléphone mobile qui permet à une PME de faire l’inspection de ses produits sous la supervision de notre expert depuis son bureau de Genève ou de Zurich. On réduit ainsi les déplacements physiques et nous permettons au client de choisir le moment opportun pour faire ce travail. De manière générale, nous appliquons toutes les méthodes technologiques possibles pour simplifier le travail.

Comment les PME sont-elles concrètement concernées par le virage numérique?

Un bon exemple est celui de la loi sur la protection des données en Europe (RGPD). Elle amène les PME à devoir travailler sur leurs données avec de l’aide extérieure. Ce règlement est un grand souci pour les consommateurs et les PME et il existe un réveil des consciences face à cette obligation, surtout après les amendes infligées en France. Nous avons un outil en ligne pour aider les entreprises. Des gens de chez nous les accompagnent dans le processus pour ensuite les certifier. Autre cas possible, si une PME de Neuchâtel veut exporter ses produits en Inde, elle doit être accompagnée pour anticiper les contrôles et les règlements auxquels elle devra se conformer, si possible avec un soutien digital.

Donnez-nous une idée de vos processus mis en place chez un client…

L’entreprise doit d’abord documenter ses procédures, c’est le travail le plus fastidieux. Mais lorsqu’elles se développent, ces sociétés sont obligées de passer par cette étape importante. Notre expert examine alors les documents et analyse si tout est correctement documenté. Il informe l’entrepreneur sur des non-conformités pour ensuite émettre un certificat qui devient une véritable valeur ajoutée. La procédure oblige à une certaine discipline.

Que doivent faire les entrepreneurs face à l’accélération de la numérisation tous azimuts?

Avant tout, ils doivent se poser ces questions: ai-je vraiment besoin de bouger dans le sens du digital? Mon domaine d’activité en a-t-il besoin? Que veulent mes clients? Est-ce que cela sera un atout ou un nouveau poids? Il ne faut pas systématiquement prendre le virage numérique mais uniquement s’il permet d’améliorer vraiment ses services et de créer de nouveaux produits qui répondent à une demande.

Et si l’entreprise décide de foncer?

Si le patron est décidé à introduire de nouveaux systèmes ou produits, un expert peut accélérer le processus ou détecter des faiblesses dans le projet. Ensuite, nous pouvons notamment aider l’entreprise à comprendre les marchés d’exportation et leurs exigences. Vous savez, les standards se multiplient partout dans le monde, c’est hallucinant. Pour une PME, consulter la liste des réglementations de certains pays et les comprendre peut faire peur, certaines abandonnent même à ce stade. Il vaut mieux investir un peu et éviter de voir ses marchandises ensuite bloquées longtemps dans un port étranger. C’est un de nos rôles pour les PME.

La SGS investit-elle dans des sociétés suisses?

Oui, nous avons des participations dans une société au Tessin (dans l’intelligence artificielle, ndlr), dans une entreprise active dans les tests d’amiante à Bienne et également dans une entité à Saint-Gall qui vérifie la qualité des textiles.

Vous collaborez aussi avec l’EPFL?

Nous essayons de nous montrer agnostiques en matière de technologies. Nous n’avons pas, à l’interne, de recherche et développement à proprement parler. Nous approchons des sociétés qui maîtrisent la technologie utile pour nos services. A l’EPFL, Sensima (capteurs pour les ponts, ndlr) en est un bon exemple, ainsi que Scantrust, active dans le marquage des produits. Flyability est également un partenaire, car nous utilisons des drones dans les domaines agricoles ou minéraux. L’EPFL est un beau jardin de technologies.

Mais quel est le deal avec ces sociétés?

Il existe différents modèles. Mais avec nous, ces jeunes pousses peuvent accéder à un vaste marché beaucoup plus rapidement et acquérir de la visibilité. Nous sommes un mastodonte face aux start-up et nous ne voulons pas forcément les acheter, car il y a un risque de perdre ce qui fait leur force, l’agilité. Mieux vaut les laisser dans cet environnement.

La blockchain est à la mode, mais pas chez vous apparemment…

Je vais être clair, nous n’avons aucun client dans le monde qui ait été demandeur d’informations sur une blockchain ou nécessitant des services sur blockchain! Dans ma position, je le saurais. Nous avons toutefois pris une participation dans une société du nom de KomGo, qui regroupe des banques, des sociétés de trading et des producteurs, dont le but est de simplifier les procédures de back office dans le domaine du financement du commerce des matières premières, un projet très concret et avec des partenaires motivés.

Comment interprétez-vous ce désintérêt pour une technologie dont on prédit un si grand avenir?

J’ai visité plusieurs sociétés offrant de la blockchain. Franchement, aucun projet ne m’a encore convaincu économiquement. De plus, la blockchain peut être très chère.

Revenons à notre fameux virage digital. Certains prédisent des millions de pertes d’emplois. Qu’en pensez-vous?

Dire que des millions de jobs vont disparaître dans la civilisation à cause de la digitalisation ou de la robotisation est absurde. Je pense que l’on va optimiser les jobs avec différentes technologies comme les robots. Grâce à eux, je peux former la personne remplacée pour des tâches plus intéressantes. Certains pays sont plus engagés dans la digitalisation. Ils ont compris que cela permet des rotations et crée des opportunités. En Chine, nous avions une mission dans une usine de voitures qui consiste à ouvrir et fermer les portes d’une automobile toute la journée afin de les tester. Nous avons mis un robot à la place, car c’est un travail répétitif.

Comment attirer des jeunes chez vous avec votre image de géant un peu traditionnel?

Nous n’avons peut-être pas l’image d’une start-up ou de Google, mais aujourd’hui 50% de nos employés sont des millennials. Ce qui attire les jeunes générations chez nous, c’est la valeur que nous apportons à la société. L’influence de SGS est partout, lorsque vous prenez votre voiture, achetez vos légumes ou lavez votre vaisselle, par exemple. Les talents que nous recrutons veulent faire une différence dans le monde. Nous allons à la rencontre des jeunes générations à l’occasion d’événements comme des hackathons et en étant très présents sur les réseaux sociaux.

Quel conseil «digital» donneriez-vous aux PME?

D’abord, nous ne voulons pas dire aux entrepreneurs que seule la digitalisation est la clé, c’est faux. Le digital accélère les choses et les rend plus faciles, mais il faut rester humble par rapport à cette approche. Il faut procéder par petites étapes, modestes et pratiques.

Quelles sont les prochaines pistes d’avenir dans ce grand mouvement?

Le rêve aujourd’hui pour une entreprise est de naître digital et de grandir digital. Elle gagne beaucoup de temps sur les autres, déjà installées. Pour ma part, le challenge aujourd’hui serait de répertorier les start-up du monde entier pour toutes les connaître. Des milliers travaillent sur un projet et l’une d’entre elles prépare peut-être un produit concurrent qui va remplacer certains de nos services. Notre rôle est de garder un œil pour identifier des sociétés qui fournissent des produits complémentaires à nos services.

Les conflits de générations freinent-ils le numérique dans des PME?

Dans toute volonté de numérisation, l’engagement total du CEO est primordial. Je le constate chez nous et ailleurs, comme avec un groupe dans la région de Saint-Gall qui produit des machines alimentaires, par exemple. Le patron est totalement engagé et cela fonctionne. Les collaborateurs sont obligés de suivre, même si les vieilles générations peinent parfois à comprendre. Mais il y a toujours un mélange de gens matures et de jeunes qui poussent et motivent leurs aînés. A la SGS, nous avons 97 000 employés et donc 97 000 idées potentielles. Nous proposons des campagnes à thème pour s’investir, des boîtes à idées informatisées.

Quelle serait votre devise pour les patrons?

On ne fait pas du digital pour la beauté du digital. Il faut impérativement penser aux logiques économiques des projets avant de se lancer.


Bio Express

file746dx83pvkoa98728e
Fred Herren
© Stéphanie Liphardt
  • 1955 Naissance à Lausanne.
  • 1980 Travaille pour le WEF dans diverses fonctions.
  • 1987 Engagement à la SGS.
  • 1995 Il devient General Manager chez Unilabs.
  • 2010 Retour à SGS en tant que COO Région d’Afrique.
  • 2017 Nommé responsable Digital & Innovation chez SGS.