La porte du vaisseau s’ouvre: décollage immédiat pour un voyage spatial d’une heure semé d’embûches. Sera-t-il possible de rejoindre sans encombre la planète Pandoria? Telle est la nouvelle mission qui attend à Renens les amateurs de jeux d’évasion (ou escape games). Ici, pas de clés, de serrures ou de coffres-forts à déverrouiller, mais des tablettes, joysticks, trackballs, manettes et autres boutons qu’il faut apprivoiser pour pouvoir progresser dans l’aventure. La maîtresse du jeu s’appelle Eva, une intelligence artificielle intégrée à la navette. Posée sur des vérins, celle-ci bouge au gré des épreuves. L’immersion est garantie.
Des anciens de Practeo
«L’univers est à mi-chemin entre l’escape room traditionnelle, le cinéma et les parcs d’attractions», glisse Olivier Clerc, cofondateur d’UltimEntertainment, l’entreprise à l’origine du concept baptisé UltimEscape. Basée à Renens, la PME a pour ambition de révolutionner le marché des jeux d’évasion et des expériences collectives, en pleine croissance depuis quelques années (lire encadré). Pour ce faire, elle a mis en place une technologie «disruptive» permettant de gérer l’ensemble des salles à l’aide d’un même logiciel (SaaS). Leur solution a reçu le soutien de la promotion économique vaudoise (SPEI) et de la Fondation pour l’innovation technologique (FIT).
Les sept fondateurs sont pour la plupart issus de Practeo, un groupe spécialisé dans la mise en place de solutions digitales sur mesure pour les entreprises. «UltimEscape s’appuie sur dix ans de développements techniques réalisés auparavant chez Practeo et sur la rencontre de divers talents réunis au début de l’aventure», précise Olivier Clerc. Celle-ci débute en 2017 lors d’une sortie d’entreprise dans une escape room valaisanne. «L’expérience a été agréable, mais nous nous sommes demandé comment la salle pouvait être rentable au vu des prestations fournies», se souvient Marc Carrard, cofondateur d’UltimEscape.
Les collègues et amis flairent le bon filon et élaborent rapidement un business plan permettant aux escape rooms de «générer des bénéfices importants». Ils identifient plusieurs défis auxquels doivent faire face les salles traditionnelles: coût de personnel important (un game master par salle), durée de vie limitée (après deux ans, il faut souvent renouveler les énigmes et démolir le décor existant) et frais d’entretien importants. «Les profits se réalisent surtout sur la vente additionnelle de restauration et produits dérivés», constate Mathieu Fivaz, cofondateur de la société renanaise.
Avec ses salles digitalisées, UltimEntertainment promet de résoudre toutes les difficultés rencontrées. Plus besoin, en effet, d’une personne par pièce pour guider les participants, ni de ranger l’environnement après chaque passage. «En automatisant le rangement des salles, il est possible d’ajouter 30% de sessions supplémentaires par jour», assure Mathieu Fivaz. Cinq niveaux de difficulté ont été conçus pour faciliter le remplissage. «Mais surtout, nous offrons à nos partenaires une nouvelle aventure au moins tous les six mois, ce qui permet de faire revenir régulièrement les mêmes clients», note le responsable.
Objectif: ouvrir plus de 80 franchises d'ici à 2021.
Après le lancement de Destination Pandoria en septembre 2018, UltimEntertainment vient de terminer sa deuxième aventure: A la recherche de l’Atlantide. Pour cette dernière, le vaisseau spatial se transforme en sous-marin, mais la structure physique de la salle reste la même. Tous les changements ont lieu uniquement au niveau du logiciel. Il est donc possible de passer d’une aventure à l’autre en un seul clic, un peu comme on change de film dans une salle de cinéma. Cette solution facile et flexible a séduit les fondateurs de l’escape room du château d’Aigle, qui a ouvert ses portes en janvier dernier. Deux salles avec les aventures UltimEscape sont accessibles au public, à côté d’un univers plus traditionnel centré autour de la légende de la sorcière Abigaëlle.
Made in Switzerland
«C’est aussi un moyen de toucher un public plus large et friand de technologie, souligne Antoine Epicoco, l’un des instigateurs du projet. Mais nous ne souhaitons pas abandonner pour autant l’escape room traditionnelle. Il faut aussi laisser aux gens la possibilité d’explorer un univers plein d’objets et très concret tactilement.» Reste que le concept digital développé par UltimEntertainment promet des gains substantiels. Selon les calculs des fondateurs, un centre de quatre salles équipées de leur technologie permettrait de dégager un profit annuel (hors restauration) d’environ 160 000 francs, contre seulement quelques milliers de francs en moyenne pour un même complexe regroupant des escape rooms traditionnelles.
Convaincu de leur fait, les sept fondateurs de l’entreprise ont mis la main à la pâte. Des vérins à la structure métallique, en passant par le logiciel et la conception graphique des aventures, ils ont réalisé eux-mêmes, en l’espace de deux ans, leur première escape room, à Renens. A l’avenir, cependant, ils s’imaginent avant tout comme un studio technologique créant des aventures et commercialisant des salles construites de façon industrielle par une entreprise spécialisée. La société fribourgeoise Constructions Inoxydables a récemment obtenu ce marché. Elle produira le système pour toute l’Europe. L’ambition d’UltimEntertainment est de fournir ainsi un business «clés en main» reposant sur un système de franchises.
Dans ce modèle, les franchisés fournissent les locaux, achètent les vaisseaux équipés (coûtant 50 000 francs chacun) et gèrent les centres. Ils obtiennent une exclusivité géographique autour de ces derniers et paient à UltimEntertainment une licence d’utilisation représentant 35% de leurs revenus. En contrepartie, la société renanaise crée et renouvelle le catalogue d’aventures tous les six mois, fournit le système de réservation et d’analyse business tout en assurant la maintenance des salles et de la technologie. «Nous sommes confiants de la solidité de ce business plan, car notre centre de Renens a été rentable dès son deuxième mois de fonctionnement», souligne Olivier Clerc.
En plus de celle du château d’Aigle, une autre franchise de cinq salles ouvrira en mai à Genève-Meyrin. En parallèle, «plusieurs autres projets sont en cours en Valais et à Fribourg, ajoute Olivier Clerc. Grâce à cette expansion en Suisse romande, nous avons déjà rempli nos objectifs pour 2019.» Quid de la suite? Les associés cherchent activement d’autres acteurs intéressés par leur solution, à Neuchâtel, en Suisse alémanique, mais aussi au-delà des frontières nationales. «Nous attaquons le marché européen, la France en particulier, glisse Mathieu Fivaz. Pour le franchisé, il s’agit d’entrer sur un marché établi et en pleine croissance, avec une activité qui dégage d’importants bénéfices.» Des contacts ont déjà été établis à Paris et avec Inovallée, un parc technologique situé dans la région de Grenoble.
Le monde anglo-saxon est également une cible potentielle. «Des personnes se sont montrées intéressées à Londres, et nous avons eu un échange avec un grand groupe de salles de cinéma aux Etats-Unis», complète le responsable. De quoi faire atteindre des sommets au vaisseau Pandoria? La société renanaise semble en tout cas sur le point de s’exporter à l’international. Son objectif est d’ouvrir plus de 80 franchises d’ici à 2021.
Les escape games, un marché en explosion
Descendants directs des jeux vidéo, les jeux d’évasion grandeur nature sont nés au début des années 2000 au Japon. Le concept s’est ensuite rapidement exporté en Europe et en Amérique du Nord. Parmi les pays européens, la Hongrie a été pionnière sur ce marché. Aujourd’hui, selon Mathieu Fivaz, cofondateur d’UltimEntertainment, entre 50 000 et 100 000 salles d’évasion seraient en activité dans le monde.
Le premier escape game de Suisse romande, The Door, a ouvert à Lausanne en 2014. La capitale vaudoise compte actuellement une quarantaine de salles. Le Valais et La Chaux-de-Fonds se démarquent également. Au total, la Romandie compte quelque 150 escape rooms, et leur nombre ne cesse de croître.