On peut être la plus petite armée du monde et se retrouver à la pointe de la technologie: depuis février dernier, les fameux gardes suisses du Vatican sont équipés de casques flambant neufs, imprimés en 3D. Si leur silhouette caractéristique n’a pas changé, ce ne sont plus des forgerons qui les ont conçus mais la société zurichoise 3D-Prototyp. Anecdotique? Oui et non. La pièce d’armure des gardes du corps du pape illustre à merveille les atouts supposés de l’impression additive. Aussi résistants mais plus légers que les modèles en métal (470 grammes contre 2 kilos), les casques en polymère sont moins coûteux (900 francs au lieu de 5600 francs) et bien plus rapides à fabriquer: quelques heures à peine, contre 130 heures chez un forgeron spécialisé. Moins chers, plus faciles et plus rapides à produire: pourquoi les produits sortis des imprimantes 3D n’ont-ils pas déjà envahi le marché?
Investissement conséquent
Au-delà des freins psychologiques qu’affronte classiquement toute nouvelle technologie, les fabricants de machines portent une part de responsabilité, estime Lucien Hirschi, fondateur et directeur de Zedax, basée à La Neuveville: «Ils ont eu tendance à se protéger en verrouillant leurs systèmes et en obligeant leurs clients à se fournir en matières premières auprès d’eux, au prix fort. Compte tenu des frais de maintenance et d’entretien, ça n’est plus très rentable dès qu’on se lance dans les grandes séries.»
Reste que le marché semble frémir. «Au début, l’essentiel de notre chiffre d’affaires venait du prototypage. Désormais, un quart de mon activité concerne la production en petites séries, de 500 à 1000 pièces.» Moules, caches, pièces de rechange, mécanique de précision... Un positionnement orienté presque exclusivement vers le marché B2B, avec une clientèle diversifiée. Zedax fournit ainsi des horlogers, des mécaniciens, des architectes, des fabricants de moules industriels…
Tout est possible ou presque tant que les pièces produites en série ne dépassent pas quelques centimètres de côté, d’autant que Lucien Hirschi a investi dans une imprimante HP dernier cri, qui lui permet de réaliser plus vite des produits de qualité. Une Rolls-Royce de l’imprimante qui lui a coûté près de 300 000 francs... Et un frein sérieux au développement du marché: bien que les solutions de location et de leasing se multiplient, de tels tarifs ont de quoi faire réfléchir des patrons de PME. Là où les particuliers peuvent se procurer des imprimantes sommaires à 500 francs, le coût des équipements professionnels se situe plutôt autour de 30 000 francs en entrée de gamme et dépasse le million de francs pour certaines machines très spécifiques.
Une dépense indispensable et justifiée pour Adrien Fankhauser, fondateur de Go-Choco, une PME de Romanel-sur-Lausanne spécialisée dans le chocolat publicitaire personnalisé. L’entrepreneur a dépensé 150 000 francs pour sa propre machine. Il l’utilise pour concevoir des moules personnalisés en fonction des demandes de ses clients. Logos, messages, slogans... Une fois le modèle imprimé en résine, Go-Choco coule du silicone médical dessus pour en tirer un négatif au dessin extrêmement précis. «Elle peut imprimer des couches de 16 microns, six fois plus fines qu’un cheveu, explique le jeune chef d’entreprise. Une précision indispensable pour obtenir un rendu de qualité quand on travaille le chocolat.»
Béton haute couture
Pour le reste, Adrien Fankhauser n’en finit pas de vanter les atouts de la 3D, bien moins coûteuse que les solutions classiques: «Un moule thermoformé coûte de 8000 à 10 000 francs là où nous facturons 480 francs pièce des modèles personnalisés conçus et réalisés en 48 heures.» De quoi mettre un produit aussi emblématique que le chocolat à la portée de toutes les PME, des hôteliers aux parfumeurs ou aux garagistes qui souhaitent soigner clients et partenaires. «Grâce à la 3D, j’ai très peu de charges fixes, je travaille avec un chocolatier qui me fournit à la demande et j’offre un produit facile à fabriquer, réalisable à la demande et personnalisable.» Adrien Fankhauser s’apprête à attaquer le marché suisse alémanique, avant de se tourner vers l’export en capitalisant sur la réputation du chocolat suisse.
Difficile d’imaginer un secteur plus éloigné du monde du chocolat que celui du bâtiment. Pourtant, l’impression 3D peut y faire valoir les mêmes atouts: personnalisation, rapidité et réduction des coûts. C’est en tout cas le pari d’Agnès Petit: cette ancienne de Holcim et de Creabeton, diplômée de l’EPFZ, a lancé Mobbot en 2018. La start-up développe des solutions d’impression 3D destinées au secteur de la construction, pour des produits très spécifiques. «Nous ciblons le domaine des infrastructures: chambres à câbles, conduites, regards, passerelles piétonnes... L’idée consiste à remplacer les produits préfabriqués standards par du sur-mesure livré juste à temps, en évitant de passer par des coffrages comme dans la construction traditionnelle.»
Optique atypique
Imposante, la machine utilisée permet d’imprimer un élément d’une tonne en dix minutes. A terme, le but est de positionner Mobbot non plus comme fabricant mais comme fournisseur d’une solution technologique pour les sociétés de construction directement déposée sur le chantier. Plus rapide – un jour pour une chambre à câble contre trois à cinq normalement –, la technologie de Mobbot représente aussi un sérieux gain financier en fonction du volume de la pièce. «Plus elle est complexe, plus c’est rentable, résume Agnès Petit. Pour un client qui a besoin de chambres de dimensions différentes, le coût sera diminué de 40 à 80% en prenant en compte les économies de main-d’œuvre.» Réputé conservateur, le secteur du bâtiment est-il prêt à passer à la 3D? Oui, estime Agnès Petit, qui se dit même surprise de l’intérêt de certains pour une solution qui suppose pourtant de changer les pratiques et d’organiser différemment les chantiers. L’entrepreneuse vise aussi bien les marchés suisse et européen que l’Asie ou la région du Golfe.
Autre usage, là encore radicalement différent mais toujours en petites séries: les lunettes, à la frontière entre mode et santé. Né à Zurich et implanté depuis plusieurs années en Suisse romande, l’opticien Viu a récemment innové en développant une ligne de montures sur mesure imprimées en 3D, la collection Archétypes. Une manière de répondre aux besoins de la clientèle, explique son dirigeant, Kilian Wagner: «L’impression 3D nous permet de produire à la demande des produits personnalisés, adaptés aux caractéristiques du visage de chaque client.»
Le point de bascule?
Là encore, la rapidité d’exécution est au rendez-vous: là où un cadre classique, fabriqué à la main en Italie, est livré trois à quatre mois après la date de commande, le cadre imprimé en 3D par un sous-traitant arrive en moins de dix jours en magasin. Si ce mode de production n’est pas moins cher, le coût total des montures imprimées en 3D – verres compris – se situe à environ 350 francs, soit un tarif qui reste très raisonnable pour une marque visant un public amateur de design et de haute qualité. «Les motivations sont multiples. Certains clients sont sensibles à une technologie nouvelle, d’autres apprécient la légèreté et la flexibilité du produit et d’autres s’y intéressent pour des questions de responsabilité environnementale.»
Reste un constat: aussi divers que soient les produits aujourd’hui conçus et réalisés en Suisse, la 3D reste aujourd’hui majoritairement cantonnée au prototypage et à la production en petites séries. Que manque-t-il pour que la production explose? «C’est en train de venir», juge Lucien Hirschi, attentif à une tendance de fond sensible dans le monde de la santé. La croissance récente mais forte du marché de l’impression métal en Suisse romande, confirmée au niveau mondial, en est un autre indice aux yeux du dirigeant de Zedax. Dans les années qui viennent, les grands cabinets d’analyse spécialisée expriment le même message: l’émergence de machines plus rapides et de nouveaux matériaux devrait faciliter l’adoption de l’impression 3D dans de nombreux secteurs.
Signe des temps, les grandes entreprises s’y mettent: Bugatti imprime ses étriers de frein, GE Aviation ses injecteurs de carburant… Bref, l’industrie a commencé à faire des progrès après quelques années d’exagérations médiatiques un rien trompeuses. Assez pour entraîner avec elle une partie des PME? Probablement. Reste à savoir si le mouvement arrivera à dépasser certains marchés de niche.
Que peut-on imprimer en 3D?
Née au milieu des années 1980, l’impression 3D est d’abord restée limitée au prototypage rapide, seule application vraiment fonctionnelle à ses débuts. En bientôt quatre décennies, les progrès réalisés dans le domaine des machines, des matériaux et des logiciels font que les limites ne sont plus vraiment technologiques. Aux résines, aux cires et aux plastiques classiques se sont ajoutés les produits alimentaires, les métaux, les matières biocompatibles… Résultat: les maquettes et prototypes représentent toujours 70% du marché de l’impression 3D, mais les applications se multiplient dans tous les domaines, du petit outillage aux moules industriels en passant par les prothèses et les implants médicaux, la bijouterie, le textile ou des accessoires courants, comme des coques de smartphones personnalisées.
Parmi les produits les plus spectaculaires, le chinois Winsun a fait parler de lui avec son «imprimante» capable de faire sortir de terre dix maisons en 24 heures, tandis que la NASA teste actuellement une machine capable d’imprimer des produits alimentaires pour ses astronautes. De son côté, Michelin imprime déjà près de 1 million de lamelles métalliques en 3D pour ses moules de fabrication de pneus. Plus glamour: Lady Gaga et Dita Von Teese (photo) ont été les premières stars à porter des robes de créateurs articulées en nylon ou en cristaux, imprimées en 3D.