S’il existe deux métiers qui ont été profondément bouleversés ces dernières décennies, c’est bien ceux de journaliste et de médecin. Alors imaginez quels défis le groupe Médecine & Hygiène a dû relever pour se positionner en tant que leader de l’information médicale en Suisse romande. Fondé en 1943 à Chêne-Bourg (GE), il emploie 25 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 5 millions de francs par année grâce à plusieurs marques, dont la Revue médicale suisse (RMS), la plateforme et le magazine grand public Planète Santé et les Editions Georg. Interview de Bertrand Kiefer, directeur et rédacteur en chef de la RMS, et de Michael Balavoine, rédacteur en chef de Planète Santé.
Comment définiriez-vous le groupe Médecine & Hygiène?
Bertrand Kiefer: C’est un groupe de production et de diffusion d’informations médicales, avec différents pôles: édition scientifique, journalisme, événementiel, multimédia. Notre public cible va des médecins au grand public en passant par les universitaires et les hautes écoles de santé. Quand l’entreprise a été créée, en 1943, c’était une coopérative qui éditait la revue Médecine & Hygiène, connue aujourd’hui sous le nom de Revue médicale suisse.
Nos activités se sont progressivement développées: nous avons ouvert une imprimerie, diffusé d’autres revues médicales, publié des livres destinés aux professionnels de la santé, racheté les éditions universitaires genevoises Georg, etc. L’année 2005 a été un tournant, avec le rachat de la Revue médicale de la Suisse romande, qui était éditée depuis 125 ans (alors que la revue Médecine & Hygiène fêtait ses 62 ans), pour créer l’actuelle RMS. Depuis, nous occupons une position dominante sur le marché de la production de savoir médical en Suisse romande.
Et la «Revue médicale suisse»?
BK Depuis toujours, cette revue est vouée à la formation continue des médecins de Suisse romande. Son financement est assuré à parts égales par les abonnements, la publicité et le soutien d’institutions comme la Société médicale de la Suisse romande, dont elle est l’organe officiel. Son conseil de rédaction compte plus de 150 experts romands du secteur de la santé. Cependant, nous éditons aussi une quinzaine d’autres revues médicales, certaines depuis au moins aussi longtemps, et cela nous a permis d’accroître notre rayonnement dans le monde francophone. A titre d’exemple, sur notre site Revmed.ch, nous avons davantage de clics en provenance des hôpitaux de Paris que du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) ou des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG)!
Comment avez-vous abordé la crise des médias?
BK Le secteur est vraiment entré en crise en 2010, avec un effondrement brutal de la publicité. Nous avons dû modifier nos modèles économiques en opérant un virage vers le numérique. Aujourd’hui, quand vous parlez de la RMS, il ne s’agit pas seulement d’une revue papier mais d’une palette d’outils digitaux. Parallèlement, nous avons lancé la plateforme internet Planète Santé, qui prolonge en quelque sorte la version papier de la revue du même nom et qui est distribuée dans tous les cabinets médicaux de Suisse romande à l’intention du grand public.
Nous avons également créé le salon Planète Santé, dont la troisième édition aura lieu début octobre et qui devrait attirer comme jusqu’ici 30 000 visiteurs. En fait, nous avons élargi notre offre pour passer du B2B au B2C. De plus, nous avons développé notre service de production de contenu pour les professionnels de la santé avec MH Communication. Par exemple, nous assumons la fabrication du journal Pulsations des HUG, de la rédaction à la diffusion en passant par la mise en pages et l’impression. Finalement, les stratégies que nous avons mises en place ressemblent assez à celles d’autres médias traditionnellement imprimés.
Quels sont vos concurrents?
Michael Balavoine: Dans la mesure où notre vocation première est de produire une information scientifique indépendante, nous n’en avons pas vraiment. Bien sûr, nous avons toujours accepté la publicité dans la RMS, mais nous ne produisons pas de contenu commercial, nous restons indépendants, et c’est bien pour cela que nous sommes référencés dans des bases de données telles que Medline.
Que pensez-vous de Heidi.news, nouveau média dédié à la science et à la santé?
BK Nous suivons le projet depuis ses débuts. L’équipe de Heidi.news est logée dans nos locaux, mais elle reste indépendante. Nos relations sont amicales, et nous collaborons avec elle comme nous le faisons déjà avec d’autres rédactions, par exemple Le Matin Dimanche et le mensuel Générations pour certaines pages santé. Nous croyons à l’avenir de ce projet, même si le contexte actuel est très difficile. Pour nous, cette coopération s’inscrit aussi dans une volonté de faire de nos bâtiments un hub culturel et intellectuel. En effet, en plus de Heidi.news, nous hébergeons déjà les Editions Zoé, La Baconnière et La Dogana, ainsi bien sûr que nos propres éditions, c’est-à-dire Georg, Médecine & Hygiène et Planète Santé.
Quelle est justement la différence entre ces trois sociétés d’édition de livres?
MB Nous sommes en train d’imposer la marque RMS Editions pour tous nos livres publiés chez Médecine & Hygiène et Planète Santé. La différence est essentiellement une question de public cible. Cependant, comme il n’est pas possible de diffuser de la même manière des ouvrages destinés aux professionnels de santé et des ouvrages tout public, nous avons décidé de séparer nos canaux de distribution et de créer des boutiques en ligne distinctes. Quant aux Editions Georg, elles nous permettent de disposer d’un catalogue dans le domaine des sciences humaines et donc de couvrir des sujets connexes à la médecine.
D’après Wikipédia, Georg s’est forgé au fil du temps une «solide réputation d’éditeur universitaire»…
BK C’est dû au fait que les Editions Georg ont longtemps hébergé la librairie officielle de l’Université de Genève. Elles sont connues pour les traductions françaises des œuvres de Carl-Gustav Jung ou des ouvrages de Jeanne Hersch, mais elles restent très dynamiques.
Est-ce que vous touchez des subventions pour vos livres?
MB C’est assez rarement le cas. Il est vrai que, d’une manière générale, les éditeurs sont passablement subventionnés, mais ce soutien se concentre essentiellement sur la littérature et les livres pour la jeunesse.
Vous êtes également peu présents dans le domaine du développement personnel…
BK C’est un secteur où il est possible de gagner de l’argent facilement. Probablement parce que cette littérature aborde des questions existentielles, spirituelles ou religieuses, souvent mises en rapport avec la santé. Mais, de mon point de vue, elle joue surtout sur le désarroi contemporain. Globalement, on y trouve beaucoup de conseils faciles et de charlatanerie. Une partie du problème se situe du côté des lecteurs, qui sont tentés de chercher des réponses à des problèmes qui, en soi, n’en ont pas. Cela dit, ce n’est pas que le développement personnel ne nous intéresse pas. Mais notre principe de base reste l’empowerment: nous faisons le pari de parler à l’intelligence des gens. Nous essayons donc de leur donner des informations susceptibles de les aider à former leur propre opinion.