L’omniprésent Jean-Claude Biver, déjà interviewé dans le numéro d’octobre 1989, figurait cette fois-ci en couverture en compagnie de son frère Marc. Un long article revenait sur les succès entrepreneuriaux des deux Luxembourgeois, le premier dans le domaine de l’horlogerie de luxe et le second en tant que manager sportif, notamment du champion de ski Pirmin Zurbriggen.
«Ils ne viennent pas d’une famille riche et n’ont pas hérité des sociétés qu’ils gèrent. Ils réussissent dans des domaines typiquement suisses – le ski et les montres de luxe – mais même après avoir vécu trente ans en Suisse, tous deux restent fidèles à leur nationalité luxembourgeoise. En 1982, ils décident de s’établir à leur propre compte, dans des branches totalement différentes. Aujourd’hui, chacun des deux réalise un chiffre d’affaires de près de 30 millions de francs et compte maintenant parmi les personnages les plus connus de la vie économique de Suisse romande.»
Les espions continuent la guerre froide
La glasnost (période d’ouverture de l’URSS, ndlr) n’a rien changé à la question des espions, note le journaliste chargé du dossier consacré à l’espionnage économique. On dénombre environ 400 agents de l’Est actifs sur le territoire helvétique. «Selon les chiffres produits par le gouvernement, le nombre de cas d’espionnage, ou du moins ceux qui ont été découverts, est en continuelle diminution. Mais les chiffres officiels révèlent encore une moyenne annuelle de 10 cas ces dix dernières années, et un total de 91 cas connus enregistrés entre 1980 et 1988.» Les membres de l’Union suisse de l’industrie et du commerce relèvent que «le principal danger vient d’Europe de l’Est et toutes les mesures de contre-espionnage prises dans l’industrie suisse sont concentrées sur ces pays».
Ils réussissent dans des domaines typiquement suisses, ski et montres de luxe.
Un article de Pierre-Henri Badel revient sur l’idée de deux sociétés genevoises de lancer «une bourse en ECU spécialisée dans le financement des PME à l’avant-bourse». Pour rappel, l’ECU (European Currency Unit) avait été créée dix ans plus tôt par la Communauté économique européenne pour être la monnaie des transactions financières entre ses pays membres. «Mais dans cette aventure, il y a fort à parier que si nos autorités ne se réveillent pas, le quartier général de ce nouvel organisme risque bien de ne pas avoir son siège à Genève, ni même en Suisse.»
Leader du marché des harpes
En page 42, un portrait est consacré à l’entreprise italienne Salvi, l’actuel leader du marché des harpes, et qui possède alors une unité de production en Suisse. «Sainte-Croix, connue entre autres pour ses boîtes à musique, recèle en ses murs d’autres trésors: en particulier des ateliers où sont conçues des harpes. C’est en effet dans cette petite ville du Jura vaudois que la marque Salvi a choisi de s’établir avant de s’imposer comme premier producteur mondial de harpes.»
L’entreprise détient alors 80% de ce marché. «Actuellement une trentaine d’ouvriers sont occupés à Sainte-Croix. La production annuelle oscille entre 400 harpes en 88 et quelque 500 en 89. L’objectif de la direction est de porter ce nombre à 600 en 90.» Mais l’aventure suisse de Salvi se conclut sur une fausse note: frappée par la récession, la société a licencié 19 de ses 24 employés vaudois au printemps 1992.
30 ans d’industrie: entre crises et innovation
Désindustrialisation, abandon du taux plancher, croissance du tertiaire, l’industrie suisse a su rebondir à la suite de difficultés historiques et se prépare aujourd’hui à répondre aux défis de la digitalisation.
Mécanisation, production de masse, automatisation… Les révolutions se sont succédé au sein du secteur industriel. Alors qu’elle investit désormais dans la digitalisation de ses outils et de ses produits, l’industrie représente 15% des entreprises du pays et compte pour un quart du PIB suisse. Le secteur secondaire est néanmoins sous pression, en raison de la concurrence croissante des nouveaux pays industrialisés et de l’émergence de grands groupes mondiaux nés de fusions d’entreprises.
La production industrielle a évolué différemment selon les branches: elle a par exemple doublé dans l’industrie pharmaceutique mais diminué de plus de 20% dans celle du textile et de l’habillement. Retour sur les crises et les défis qui ont marqué le secteur ces trois dernières décennies.
1. Déclin des années 1980
«La force de l’industrie suisse réside dans sa capacité d’innovation et son réseau de PME très dynamiques, explique Olivier Haegeli, codirecteur de l’entreprise jurassienne Willemin-Macodel, spécialisée dans la fabrication de machines-outils de précision. L’étroitesse du marché suisse oblige les industries à se tourner vers le marché d’exportation et donc à se maintenir à la pointe de la technologie et de la demande pour rester compétitives.» «On ne sait jamais quelle va être la durée de la crise, si la reprise sera rapide ou progressive, complète Cédric Bourquard, directeur général de Pibor Iso, à Glovelier, entreprise jurassienne active dans la fabrication d’habillages horlogers et la microtechnique. Les industries doivent donc constamment chercher de nouveaux marchés, investir, et axer sur la formation pour rester concurrentielles aux changements.»
2. La fin du taux plancher
Après une reprise de croissance soutenue, l’industrie manufacturière subit un nouveau contrecoup en 2015 avec l’abandon du taux plancher entre le franc et l’euro décidé par la Banque nationale suisse (BNS). La mesure financière entraîne une baisse de production générale. «L’exportation est devenue immédiatement plus compliquée, se souvient Vincent Comte, directeur d’Electromag. Nous avons finalement réussi à nous en sortir en augmentant notre productivité grâce à l’automatisation, en montant les prix, tout en réduisant nos marges.»
Face à la crise, de nombreuses entreprises suisses délocalisent vers l’Europe de l’Est et l’Asie, à l’instar de Bucher Industries, constructeur de machines agricoles et de véhicules municipaux, qui quitte le canton de Zurich pour la Lettonie. Les entreprises étrangères possédant des filiales en Suisse effectuent elles aussi des transferts d’employés. Selon un rapport de la BNS, 65% des entreprises interrogées à l’époque considèrent que la mesure financière a eu une incidence négative. «Cette décision a en effet imposé une forte pression aux entreprises qui se sont vu obligées de rationaliser pour augmenter leur productivité, remarque Xavier Comtesse, cofondateur du think tank Manufacture 4.0. C’était néanmoins positif puisque cette compétitivité obligatoire a permis à la Suisse de devenir le premier pays de l’innovation.»
Le secteur secondaire a repris sa croissance en 2017 avec une hausse de production de 4,4%, mais les dirigeants d’entreprises observent désormais avec prudence la conjoncture mondiale, à l’instar du ralentissement de l’économie allemande. «Depuis quelques mois, les marchés deviennent plus tendus, indique Olivier Haegeli, codirecteur de Willemin-Macodel. Les différentes guerres commerciales, comme celle entre la Chine et les Etats-Unis, créent un climat délétère d’incertitude économique.» Ainsi, en septembre 2019, l’indice de confiance PMI des directeurs d’achat de l’industrie suisse enregistrait son niveau le plus bas depuis 2009.
3. Essor de l’industrie 4.0
«Les nouvelles technologies permettent de gagner en productivité, en efficacité et en qualité, constate Olivier Haegeli. Nous ne pouvons plus usiner des pièces sans les accompagner d’un suivi digitalisé, c’est une adaptation nécessaire, d’autant plus qu’elle est souhaitée par nos clients.» L’industrie vit sa quatrième révolution. Baptisée industrie 4.0, cette nouvelle génération d’usines connectées mobilise désormais l’intelligence artificielle et la robotique.
Selon une étude menée par le bureau de conseil Ernst & Young sur un panel d’entreprises suisses en 2018, 45% des sociétés ont déjà mis en œuvre des aspects de l’industrie du futur. Elles consacrent en moyenne 5% de leur chiffre d’affaires à ces investissements, situés principalement dans l’adoption de solutions logicielles et dans le recrutement de collaborateurs qualifiés. Pour Cédric Bourquard, directeur général de Pibor Iso, «l’industrie 4.0 représente également une évolution des structures industrielles, avec un management plus participatif et une revalorisation des métiers en concordance avec la digitalisation».
Avec l’initiative nationale Industrie 2025, l’association professionnelle de l’industrie des machines SwissMem encourage et sensibilise les industries à adopter le tournant numérique. Dans son rapport sur l’évolution de la force d’innovation de l’industrie suisse entre 1997 et 2014, l’Académie suisse des sciences techniques invite elle aussi les entreprises à innover, sous peine d’être rapidement dépassées. Pour Xavier Comtesse, «grandes et petites entreprises n’ont pas le choix: si elles ne changent pas, elles sont condamnées».
Le Jura, terre d’industrie
Le secteur secondaire demeure très représenté dans le dernier-né des cantons suisses. Les entreprises industrielles ne cessent de développer de nouvelles compétences pour trouver de nouveaux débouchés.
Le plus jeune canton de Suisse a enregistré la création de plus de 15 000 postes de travail durant ces trente dernières années. Leur répartition constitue toutefois une spécificité jurassienne puisque le secteur secondaire représente aujourd’hui encore 37% des emplois. Un chiffre qui est resté stable, contrairement au reste du pays. «Ce secteur a même progressé en termes de nombre d’entreprises: de 1000 en 1975 à 1200 aujourd’hui, se réjouit Jacques Gerber, président du gouvernement jurassien et ministre de l’Economie et de la Santé. Le secondaire trouve des débouchés et se diversifie grâce à un renouvellement technique et à une innovation constante.»
Ainsi, avec le même savoir-faire en microtechnique, des entreprises qui étaient autrefois dépendantes à 70 ou 80% de l’horlogerie ont désormais investi des domaines comme la medtech et l’aérospatiale. C’est notamment le cas de Biwi à Glovelier, de Willemin-Macodel à Delémont ou encore d’Acrotec à Develier.
Le Jura s’arrime à Bâle
Les autorités jurassiennes se réjouissent également de la création récente du Switzerland Innovation Park Basel Area, en collaboration avec les deux cantons bâlois. L’entité couvre les domaines de la medtech et des biotechnologies ainsi que de la santé numérique et de la transformation industrielle. L’inauguration de l’antenne jurassienne aura lieu prochainement à Delémont. «C’est un énorme défi mais surtout une chance de pouvoir s’arrimer à Bâle, qui possède des pôles de recherche et des réseaux qui font encore défaut dans notre canton, note Jacques Gerber. Il est vrai que le Jura ne peut pas miser sur la présence d’universités ou d’écoles polytechniques.»
Concernant le tertiaire, le Jura doit encore mieux se positionner. Par exemple, le secteur du tourisme et des loisirs, dont les prestataires demeurent trop fragmentés, selon Thierry Bregnard, professeur en développement économique et régional à la Haute Ecole de gestion Arc. L’expert déplore l’absence d’un centre de congrès attractif pour la région et ses entreprises ainsi que l’insuffisance d’offres touristiques regroupées sous forme de packages forfaitaires ou mutualisées. Il salue dans cet esprit le concept de l’Albergo Diffuso, à Porrentruy, une structure hôtelière novatrice. «Il faut faire en sorte de créer de la valeur localement et de la faire circuler dans la région. Les collectivités publiques ont également une responsabilité dans leurs politiques de dépenses: elles doivent promouvoir en priorité les circuits courts et l’économie locale.»
Reste que le canton de 73 000 habitants souffre d’un déficit de main-d’œuvre important et se montre particulièrement dépendant de son voisin français. Chaque jour, ce sont plus de 8500 frontaliers qui viennent travailler sur le territoire jurassien, indispensables à son bon fonctionnement. Autre défi: le Jura est tributaire de la loi sur l’aménagement du territoire, qui impose des barrières à la construction. «Cette loi paraît très restrictive dans le contexte jurassien, qui n’a pas vécu le développement préalable qu’ont pu vivre d’autres régions, constate Jacques Gerber. Cela rend les conditions-cadres pour les entreprises moins aisées qu’auparavant.»
Le secteur industriel en 2049...
«Avec les imprimantes 3D et la valorisation de la proximité, les entreprises seront plus morcelées sur le territoire pour imprimer et produire localement, prévoit Xavier Comtesse. La production va augmenter mais avec une diminution du nombre de travailleurs puisqu’ils seront remplacés par l’AI et la robotique.» La part des services va progresser mais l’industrie suisse subsistera, estime pour sa part Vincent Comte, directeur d’Electromag: «Les processus seront automatisés, utiliseront les énergies renouvelables et des produits respectueux de l’environnement puisque la loi se sera adaptée.» Une évolution qui passe cependant par la préservation de conditions favorables à la branche. «Nous avons l’un des taux horaires les plus élevés du monde, que nous arrivons à compenser grâce à notre productivité et à la qualité de notre R&D, remarque Anne-Sophie Sperisen, directrice de Solo Swiss. Il faut faire en sorte que les PME ne soient pas assommées avec de nouvelles charges, notamment administratives.»
«L’industrie suisse a une forte capacité de résilience»
A la tête du fabricant de fours industriels Solo Swiss depuis dix-huit ans, Anne-Sophie Sperisen a su redresser l’entreprise fondée par son grand-père tout en l’adaptant aux défis de l’économie mondialisée.
Fondée à Bienne en 1924 et située aujourd’hui dans la zone industrielle de Porrentruy (JU), Solo Swiss reflète ce qui a fait le succès du tissu industriel suisse: conquérir des clients à l’étranger en misant sur les qualités de précision et de fiabilité. Son histoire récente illustre aussi l’évolution de la branche, entre difficultés historiques et capacité à rebondir. La PME de 120 employés fabrique environ 30 machines par an, pour un chiffre d’affaires d’environ 20 millions de francs. Dirigée par Anne-Sophie Sperisen, petite-fille du fondateur, la société s’attaque désormais aux défis de l’industrie 4.0.
Avez-vous un souvenir marquant lié à l’entreprise datant d’il y a trente ans?
Anne-Sophie Sperisen: J’étais étudiante à l’époque. Avec mes horaires assez souples, j’étais chargée de promener nos clients étrangers en Suisse, car ils prévoyaient souvent un jour ou deux pour des visites. Cela a été l’occasion de visiter les grands classiques comme le Schilthorn ou Interlaken. Quelques mois plus tard, à la fin de mes études, je suis partie travailler aux Etats-Unis, dans le Michigan. Par pure coïncidence, Solo Swiss établissait au même moment une joint-venture avec une société basée dans la région, que j’ai donc pu visiter en même temps que nos équipes.
Vous avez intégré la direction de Solo Swiss en 2001. Comment s’est déroulé ce passage de témoin?
C’est une solution qui s’est faite dans l’urgence. Nous avons repris l’entreprise à une époque où elle rencontrait passablement de difficultés. Je n’ai disposé que de peu de temps pour me décider, mais avec une forte envie de vouloir continuer cette aventure familiale.
Comment avez-vous procédé à l’époque pour garantir la pérennité de votre PME?
Nous nous sommes recentrés sur nos compétences, aussi bien en ce qui concerne les produits que les marchés, une stratégie assez classique à vrai dire. L’entreprise était partie dans le développement de fours très grands et très complexes, souvent difficiles à finaliser. Il faut accepter ce genre de défi de temps en temps, bien sûr, mais on ne peut pas se concentrer uniquement sur des commandes avec des cahiers des charges à rallonge… Il a fallu entièrement réorganiser et restructurer l’entreprise. Les banques exerçaient également une forte pression à l’époque. Nous avons eu la chance d’avoir une équipe très soudée et motivée. Il a fallu beaucoup de sang-froid, traiter un problème après l’autre, en les décomposant. Se focaliser sur l’essentiel tout en gardant une bonne vision d’ensemble pour ne pas se perdre.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaiterait se lancer dans la reprise d’une PME?
Suivre son instinct et beaucoup s’engager. Les cinq premières années ont été un immense investissement en temps et en énergie, cela fait partie de ce travail. Et puis il faut aimer ce challenge. Certains semblent nés pour être dirigeant d’entreprise, d’autres le deviennent, ce qui a été mon cas. Je n’avais pas du tout envie de diriger ou d’avoir de grandes équipes sous ma responsabilité. Mais étant très active sportivement, j’avais déjà l’esprit de challenge et de compétition!
Solo Swiss fabrique des fours pour le traitement thermique de métaux. Quelles sont leurs spécificités?
Nos produits s’adressent à un grand nombre de clients, tous ceux qui emploient des pièces métalliques dans leur cycle de fabrication: horlogerie, aéronautique, automobile, medtech… Nos fours permettent en effet une variété de traitement du métal: durcissement, assouplissement, ajout d’une coloration spécifique. Ce sont des machines très précises, pilotables à distance et qui tournent parfois 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Quels sont vos principaux marchés aujourd’hui?
Nous exportons entre 85 et 90% de notre production. L’Europe reste notre principal débouché, avec l’Allemagne comme pays phare, suivi par l’Italie et la France. L’Asie a aussi gagné en importance, la Chine représentant entre 25 et 30% de nos exportations selon les années.
Avec quelle stratégie avez-vous investi le marché chinois?
Nous entretenons un partenariat avec une entreprise chinoise depuis plus de quinze ans. Ils ont d’abord été nos agents commerciaux. Par la force des choses, ils ont commencé à faire du service après-vente et à dépanner nos clients. Nous avons aujourd’hui un partenariat beaucoup plus complet: cette usine chinoise nous fournit des pièces en sous-traitance, mais ils fabriquent aussi certains de nos fours destinés au marché chinois. C’est une relation très riche, avec beaucoup d’échanges. Aujourd’hui, nous accueillons par exemple cinq ingénieurs en formation.
Comment avez-vous vécu l’abandon du taux plancher le 16 janvier 2015?
Cela a été un gros choc et nous avons été fortement touchés. Mais il faut ensuite rebondir, trouver des solutions, tout comme l’ont fait d’autres entreprises. Je remarque que l’industrie suisse présente une forte capacité de résilience. Nous avons entre autres ouvert une centrale d’achats en France pour pouvoir effectuer des commandes en zone euro et les importer à des coûts plus compétitifs.
La Suisse industrielle est-elle condamnée à se contenter des activités de R&D? Ou peut-elle conserver des sites de production? A quelles conditions?
Cela concerne en premier lieu la compétitivité de l’entreprise. C’est à nous d’être toujours plus performants et innovants en matière de conception, de stratégie d’achats et de production. Il faut trouver des fournisseurs qui soient des partenaires et nous aident dans ce combat. Il est aussi indispensable de bénéficier de conditions-cadres qui soient fiables. Je pense au taux de change entre le franc suisse et l’euro, mais aussi aux accords bilatéraux. L’abandon de ces derniers serait la condamnation d’innombrables entreprises exportatrices. Quelqu’un qui n’est pas actif dans ce domaine a sans doute du mal à imaginer ce que les accords de libre-échange apportent à notre pays. Je pense que la place industrielle suisse a un bel avenir devant elle et saura se réinventer pour autant qu’on puisse lui garantir de la stabilité au niveau politique et économique.
Comment abordez-vous la révolution 4.0?
Il s’agit d’un concept tellement large qu’il faut essayer de trouver ce qui est applicable à notre industrie et qui se transforme en une vraie valeur ajoutée pour nos clients. Nous avons déjà intégré les données provenant de nos machines dans les ERP (logiciels de gestion intégrée) de nos clients pour qu’ils puissent gérer leur ligne au plus juste. Nos fours sont aussi pilotables à distance. Nous nous attaquons désormais à la maintenance préventive, c’est-à-dire la création de modèles informatisés de nos machines qui permettent de prédire quand changer les pièces les plus importantes.
L’industrie des machines connaît une forme de désamour de la part des jeunes. Comment encourager ceux-ci à suivre des apprentissages dans la branche?
Je pars du principe qu’on ne peut pas seulement se plaindre, et qu’il faut aussi s’engager. Je suis très fière de pouvoir dire que notre petite entreprise forme en ce moment huit apprentis, dont quatre filles! Pour le faire bien, il faut s’impliquer, ce que font nos maîtres d’apprentissage. Nos produits ne sont peut-être pas les plus «sexys», mais du fait de notre taille réduite, les apprentis peuvent évoluer dans l’ensemble des départements, ce qui offre une formation très complète.
Le secteur industriel demeure un domaine très masculin. Est-ce que cela a pu parfois vous poser des problèmes?
Non, jamais. Il faut dire que j’ai souvent évolué dans des milieux où les filles étaient en minorité, notamment lors de mes études. Je suis sûre que les jeunes femmes qui commencent aujourd’hui leur carrière dans le secteur industriel sont complètement décomplexées par rapport à cette question.
Le Jura est un canton avec un secteur secondaire qui reste particulièrement fort. Atout ou désavantage?
Je pense que c’est un vrai avantage. Des entreprises de la région qui se portent bien et qui innovent constituent un moteur pour toutes les autres. En tant que membre du comité de la Chambre de commerce et de l’industrie du canton, j’ai l’occasion de visiter régulièrement des entreprises. Je suis toujours impressionnée par la qualité et l’innovation des produits des PME jurassiennes. Nous avons d’ailleurs des partenaires, des fournisseurs et des clients dans la région. Il y a une solidarité jurassienne qui fonctionne bien.