Au niveau industriel, la Suisse est surtout connue pour sa haute horlogerie et ses produits pharmaceutiques. Mais elle l’est aussi toujours plus pour ses drones civils. En effet, à plusieurs niveaux, le pays s’est récemment distingué dans le domaine. Tout d’abord, il est en train de se doter d’un système de contrôle automatisé qui servira à standardiser les vols – une première en Europe (lire encadré). Autre exemple: un drone de La Poste a assuré le transport réseau d’échantillons de laboratoire entre deux hôpitaux tessinois en 2017. Elargie l’an dernier à des hôpitaux de Zurich et de Berne, cette initiative a reçu le Prix de l’innovation de la part de l’Association européenne des directeurs d’hôpitaux. Depuis 2018, Présence Suisse – l’organisme qui promeut l’image du pays à l’étranger – utilise le slogan «Switzerland – home of drones» pour attirer des investissements internationaux.

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En dehors de ces initiatives, la Suisse compte parmi ses entreprises des leaders du marché dans leur domaine, comme SenseFly et Flyability. En tout, le pays possède plus de 80 sociétés actives dans le secteur des drones, qui emploient plus de 2500 personnes. Au niveau mondial, le marché pèse 4,9 milliards de francs. D’ici à 2028, le volume devrait tripler pour atteindre 14 milliards de francs, selon le cabinet d’analyse Teal Group. D’après Présence Suisse, le secteur emploiera plus de 150 000 personnes en Europe en 2050.

A l’origine, l’EPFL

Pour trouver les origines de ce succès, il faut remonter au début des années 2000 sur le campus de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), et plus précisément dans le Laboratoire de systèmes intelligents (LIS) de Dario Floreano. A l’époque, les drones étaient des engins lourds volant à haute altitude et utilisés à des fins militaires. L’équipe du chercheur lausannois fut parmi les premières dans le monde à travailler sur la réduction de leur taille et de leur poids, et à les équiper de caméras pour qu’ils puissent traiter des informations de leur environnement.

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Dario Floreano.
© DR

Les insectes apportent des solutions aux problèmes auxquels un drone peut être exposé.

Dario Floreano, Laboratoire de systèmes intelligents (LIS)

Pour cela, ils se sont inspirés des insectes: «Ces animaux apportent des solutions à tous les problèmes auxquels un drone peut être exposé, explique Dario Floreano. Ils sont légers, possèdent des cerveaux qui traitent des informations de manière rapide et ils peuvent voler dans des espaces confinés, tout en absorbant les chocs d’une éventuelle collision. Ils sont également capables d’effectuer un large éventail de mouvements.»

C’est de ces expériences que sont nées les sociétés SenseFly et Flyability. La première a été fondée en 2009 – entre autres par Jean-Christophe Zufferey, un des doctorants de Dario Floreano. La société est aujourd’hui numéro un mondial pour les drones à voilure fixe. Ceux-ci sont notamment utilisés dans le domaine de la cartographie: ils survolent des surfaces, prennent de grandes quantités de photos et créent des cartes à partir des données enregistrées – le tout de façon automatique. Le succès a été tel que SenseFly a été rachetée en 2012 par le groupe français Parrot, leader européen du secteur, pour 5 millions de francs. Le siège se trouve toujours à Cheseaux-sur-Lausanne, où travaillent environ 140 personnes.

L’envol d’une nouvelle génération

Quant à Flyability – fondée en 2014 également par deux ex-collaborateurs du LIS –, elle s’est spécialisée dans le développement de drones capables de voler dans des espaces confinés et dangereux afin d’effectuer des missions d’inspection. Ils sont utilisés notamment dans des cheminées chimiques, des mines souterraines ou des citernes. L’avantage: limiter les risques pour les ouvriers. Flyability compte aujourd’hui plus de 400 clients à travers le monde, emploie plus de 80 personnes au sein de son siège à Lausanne et vient d’ouvrir un bureau aux Etats-Unis – leur plus gros marché, selon Patrick Thévoz, cofondateur. Le chiffre d’affaires annuel se situe autour de 10 millions de francs, avec une croissance de 50% prévue tous les ans d’ici à 2025.

Les origines du secteur des drones en Suisse se trouvent certes à l’EPFL, mais, ces dernières années, c’est dans toute la Suisse romande que s’est développé un réseau dense et dynamique de start-up. C’est par exemple le cas à Monthey où, depuis 2017, la société AgroFly développe des drones qui sont utilisés pour l’épandage de produits phytosanitaires dans l’agriculture. L’essor de ce marché a été favorisé par une décision de l’Office fédéral de l’environnement et de l’Office fédéral de l’aviation civile autorisant les drones pulvérisateurs – une première en Europe.

Jusqu’à présent, l’épandage était effectué à la main, avec des tracteurs ou des hélicoptères. Des procédés qui prennent beaucoup de temps et – dans le cas de l’hélicoptère – avec énormément de gaspillage, comme l’explique le CEO Didier Berset: «Avec nos drones, 98% du produit est épandu avec précision, contre environ seulement la moitié lorsque le procédé se fait avec un hélicoptère.» En effet, les drones d’Agrofly sont considérés comme des systèmes d’applications au sol (comme n’importe quel atomiseur) et ont ainsi l’autorisation de s’approcher d’habitations et de rivières, contrairement aux hélicoptères, ce qui permet un ciblage plus précis. L’innovation séduit puisque depuis sa création, l’entreprise a déjà reçu plusieurs prix. Pour l’instant, la technologie est surtout utilisée par des vignerons valaisans, vaudois et fribourgeois qui sous-traitent ce travail à AgroFly (qui possède actuellement dix engins volants). «Mais nous recevons une dizaine de sollicitations tous les jours de la part de sociétés agricoles du monde entier», note Didier Berset. La société en pleine expansion s’occupe actuellement de plus de 200 hectares par an.

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Selon AgroFly, l’épandage par drone permet de réduire drastiquement le gaspillage des produits phytosanitaires. 
© DR

Autre exemple: la société genevoise WindShape, fondée en 2017 également. Elle a développé un système permettant de recréer n’importe quelle condition atmosphérique en intérieur afin de tester les drones en situation réelle. La technologie est basée sur des murs constitués de milliers de ventilateurs, capables de recréer chaque vent.

Transmission de savoir-faire et collaborations

Les utilisateurs de ces souffleries sont des centres de recherche et des sociétés de drones. Une première vente a eu lieu en 2017 au prestigieux California Institute of Technology (Caltech), puis plusieurs autres universités ont suivi. Le concept a par ailleurs inspiré la NASA pour simuler les vents de l’atmosphère de Mars. «A moyen terme, notre objectif est d’ouvrir plusieurs centres de service dans le monde entier, où des fabricants pourront tester et même certifier leurs drones», explique Guillaume Catry, le CEO. Par ailleurs, le grand potentiel de cette invention a été remarqué par la Confédération puisqu’elle l’a rendue visible au travers de nombreux événements depuis 2018, comme lors du salon VivaTech à Paris et du Consumer Electronics Show de Las Vegas.

Les acteurs du secteur des drones ont en commun un sentiment d’appartenance à un écosystème dynamique et reconnu à l’international. «Lors de mes déplacements aux Etats-Unis et en Asie, j’ai pu m’apercevoir que la Suisse est une référence dans ce domaine», déclare Guillaume Catry. Didier Berset ajoute: «Même si nous sommes encore une petite structure, nous sentons que nous faisons partie de ce réseau performant.»

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SenseFly et ses drones à voilure fixe ont été rachetés par Parrot. 
© DR

Le caractère de réseau s’est renforcé par plusieurs collaborations entre les différentes sociétés, et ce, dès le début. Ainsi, SenseFly a collaboré avec Pix4D, une autre société issue de l’EPFL, spécialisée dans la création de cartes 3D à partir d’images prises par un drone. Preuve de la complémentarité entre les deux sociétés suisses: Parrot a également racheté Pix4D, un an seulement après le rachat de SenseFly. Pour Patrick Thévoz, les deux entreprises ont été d’une grande aide dans le développement de Flyability: «Leurs fondateurs ont joué le rôle de mentors en nous aidant au début de la commercialisation de notre produit. Il y a un vrai cercle vertueux en Suisse avec, aussi, des collaborateurs qui peuvent passer d’une entreprise à l’autre.» Cette transmission de savoir-faire profite aussi à la nouvelle génération: AgroFly est en train de discuter avec d’autres sociétés du secteur concernant de futures collaborations commerciales possibles, par exemple dans le domaine de la cartographie.

Menace chinoise

Néanmoins, une menace asiatique, notamment chinoise, plane sur cet écosystème. En effet, la société DJI, forte de plus de 8000 employés dans le monde entier, détient entre 70 et 80% du marché des drones pour particuliers. Elle empiète de plus en plus sur le marché des drones à usage professionnel. Ainsi, DJI est actuellement en train de fabriquer un millier de drones qui effectueront des missions d’étude de site pour une grande société de construction japonaise. «La Chine investit des sommes très importantes dans l’intelligence artificielle et la robotique, dont les drones ne représentent qu’une partie. Face à cette évolution, il est important que la Suisse continue à attirer les meilleurs spécialistes dans ses entreprises et à former les talents de demain. C’est pour cela, par exemple, que nous avons créé récemment un master en robotique à l’EPFL», analyse Dario Floreano.

Mais, selon l’expert, cela ne suffira pas: «Il ne faut pas se contenter de concurrencer les sociétés asiatiques, il faut également apprendre à travailler avec elles.» Un chemin que Flyability a déjà entrepris: en 2016, la société lausannoise a collaboré avec DJI pour intégrer leur technologie de transmission d’informations visuelles dans leurs drones d’inspection.


Des vols plus sûrs

Pour sécuriser le trafic des drones à l’avenir, la Suisse est en train de développer un système de contrôle national.

La frayeur a dû être grande du côté des pilotes de l’Airbus A319 de la compagnie Swiss lorsque, en septembre 2018, un drone est passé à moins de 20 mètres au-dessus de l’appareil, juste avant l’atterrissage. Le risque est loin d’être anecdotique: à titre d’exemple, en 2018, 125 incidents ont eu lieu en Grande-Bretagne, notamment à l’aéroport de Heathrow, le plus grand d’Europe. Pour mieux gérer le trafic des drones à l’avenir, la Suisse a pris les devants. Depuis 2018, l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC), Skyguide, la société chargée du contrôle de l’espace aérien suisse, et la start-up californienne Airmap développent le système U-Space, le premier système national de gestion du trafic des drones en Europe.

Ce système aura pour but de sécuriser toutes les catégories de drones et tous les types de mission dans l’espace aérien suisse – en particulier en dessous de 150 mètres d’altitude, où volent la majorité des drones. Il prévoit, entre autres, l’enregistrement des drones, la remise immédiate d’autorisations de vol ou la création d’un système d’alertes en temps réel. Pour l’instant, chaque vol de drone dont le poids dépasse les 30 kilos et pour lequel le pilote ne sera pas en contact visuel permanent avec l’engin fait l’objet d’une demande d’autorisation auprès de l’OFAC.

Selon Vladi Barrosa, porte-parole de Skyguide, le système sera opérationnel «probablement vers le début de l’année 2020». Actuellement, le système U-Space est testé dans les alentours des aéroports de Genève et de Zurich. En plus de cette initiative nationale, la Suisse héberge, depuis 2017, l’association Global UTM sur le campus de l’EPFL. Celle-ci regroupe des contrôleurs aériens, des régulateurs nationaux et des constructeurs de drones du monde entier pour élaborer un système international de standardisation. Il s’agira notamment, à moyen terme, d’harmoniser les normes des différents systèmes U-Space dans le monde.