Les crises économiques et sociales sont toujours à double tranchant. Elles pénalisent beaucoup d’entreprises tandis que d’autres tirent leur épingle du jeu. La pandémie de Covid-19 n’échappe pas à cette règle. Sites de vente en ligne, sociétés de livraison à domicile ou de sécurité informatique, nombreux sont les acteurs économiques romands dont l’activité a augmenté ces dernières semaines. Dans ce contexte, certaines PME et start-up actives dans le domaine de la santé pourraient elles aussi tirer profit de cette crise sanitaire pour développer leurs affaires.
C’est déjà le cas des sociétés de télémédecine. Medgate, l’un des deux leaders suisses du secteur, a constaté une augmentation d’environ 20% de ses consultations télémédicales. La société, qui exploite l’infoline sur le coronavirus de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), indique répondre à environ 2000 appels par jour, ce qui correspond là aussi à une «forte augmentation» de son activité.
Basée à Neuenegg et à Vevey, Soignez-moi.ch est dans une dynamique identique. Dans le cadre de la crise du coronavirus, elle a mis en place des partenariats avec l’hôpital de Bienne et celui de La Tour, à Meyrin. Le nombre de téléconsultations a triplé mi-mars à la suite des décisions du Conseil fédéral, puis elles ont diminué de 30% depuis lors. «Cela représente plusieurs centaines de cas par semaine», glisse Romain Boichat, directeur opérationnel de la jeune entreprise romande. Pour le responsable, «la crise du Covid-19 favorisera certainement le développement de la télémédecine. De nombreux médecins ayant été obligés de passer par ce canal se rendront compte de sa valeur et de ses avantages.»
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D’autres domaines de la santé sont aussi en première ligne. Le bracelet de fertilité connecté de la start-up suisse Ava Women, par exemple, permettrait de détecter et de contrôler l’évolution des patients atteints du coronavirus. La solution mesure en effet plusieurs paramètres physiologiques, comme la fréquence respiratoire, le pouls, la température et l’hydratation de la peau ou encore la variabilité du rythme cardiaque. La start-up a donc proposé à prix cassé son bracelet aux chercheurs et professionnels de la santé, pour qu’ils puissent tester la solution. De quoi se profiler à l’avenir sur ce marché, si les essais s’avèrent concluants.
Berceau des medtechs
Aujourd’hui, la Suisse romande est connue pour abriter plusieurs start-up prometteuses dans le secteur des medtechs. Les sociétés contactées disent faire face dans l’immédiat à certaines difficultés, mais elles restent optimistes. Be.care, par exemple, a développé une technologie digitale innovante pour monitorer le profil énergétique à partir de la variabilité de la fréquence cardiaque. Celle-ci est mesurée via un cardio-fréquencemètre placé sur le torse. Construite sur des algorithmes propriétaires, cette solution, validée par des champions olympiques, est destinée dans un premier temps aux sportifs d’élite. «Elle pourra notamment les aider, ainsi que les clubs, à gérer la sortie de crise du Covid-19 pour être performants à la reprise des compétitions», note Laurence Besse, cofondatrice de l’entreprise.
Toucher une poignée de porte équivaut à serrer la main à environ 10 000 personnes.
Dans le canton de Neuchâtel, Coat-X (experte en encapsulation de couches minces) et INVENEsis (spécialisée en R&D dans le domaine du drug discovery), deux start-up du parc technologique Microcity, se sont associées avec Philip Morris International, Epithelix et Flawa pour trouver des solutions à la pénurie mondiale de masques de protection. Leur but est de se baser sur des tissus facilement disponibles et d’améliorer les performances et la durée de vie des masques conventionnels. Le consortium recherche activement des partenaires industriels pour poursuivre le projet.
De nouveaux standards d’hygiène
Autre innovation, celle de CleanMotion. Issue de l’EPFL, cette jeune start-up s’est donné pour mission d’améliorer les standards d’hygiène dans les lieux à haute fréquentation. Sa cible: les poignées de porte. «Selon nos sources, toucher une poignée de porte équivaut, en termes de transmission microbienne, à serrer la main à environ 10 000 personnes. Nous avons constaté aussi que la plupart des gens ne se lavent pas correctement les mains après avoir été dans des toilettes publiques», souligne Giovanni Barilla, l’un des trois cofondateurs de CleanMotion.
Pour remédier à ce problème, l’entreprise a développé une poignée de porte autodésinfectante. Un anneau mobile, imbibé de solution hydroalcoolique, recouvre la surface de la poignée de désinfectant après chaque contact. «Cela permet d’éliminer la majorité des bactéries», assure Alex Horvath, cofondateur de CleanMotion. Pour l’instant, le produit n’est pas encore prêt à être commercialisé, mais de premiers tests concluants ont été menés dans un restaurant lausannois, indique l’entreprise.
Au vu des recommandations actuelles sur l’importance d’assurer une bonne hygiène des mains pour juguler la propagation du Covid-19, CleanMotion a bon espoir pour la suite. «Après la crise, les mentalités vont sûrement changer, ce qui va nous créer des opportunités. Peut-être que l’on pourra ainsi devenir un nouveau standard en matière d’hygiène», espère le responsable.
A Genève, Combioxin travaille énergiquement sur une solution d’un intérêt certain pour combattre le coronavirus. La société, fondée en 2015, développe un médicament qui agit comme un leurre ou une éponge pour lutter contre les pneumonies sévères. «La molécule capture les toxines bactériennes qui attaquent les tissus et les organes, ce qui peut conduire à des complications sévères allant jusqu’au décès des patients», explique Samareh Azeredo da Silveira Lajaunias, biologiste et cofondatrice de Combioxin.
Un premier essai clinique a donné des résultats prometteurs. «Nous avons constaté que les séjours en soins intensifs pouvaient être réduits d’une semaine, ce qui est bénéfique autant pour les patients que pour les hôpitaux et les coûts de la santé en général.»
Aubaine pour la «médecine connectée»?
Fait intéressant, le médicament développé par la start-up est également efficace contre les virus à enveloppe, dont fait partie le coronavirus. Il permet donc de combattre l’infection virale tout en prévenant et en traitant les co-infections bactériennes, qui empirent drastiquement l’état clinique et peuvent causer la mort. «On sait aujourd’hui qu’environ la moitié des décès liés au Covid-19 proviennent de ces co-infections», note la biologiste. Combioxin a donc lancé un programme spécialement dédié à ce virus. «Nous espérons apporter un médicament de plus pour les patients sévèrement atteints, et aussi générer des données pour mieux anticiper une possible résurgence du virus à l’avenir.»
L’entreprise est actuellement en discussion pour débloquer des fonds privés ou publics afin de lancer des tests cliniques. «Tout est très long et réglementé, malgré les mesures d’accélération mises en place avec la crise», souffle Samareh Azeredo da Silveira Lajaunias. La cofondatrice espère cependant pouvoir traiter les premiers patients atteints de Covid-19 d’ici à six mois.
Une modification récente de l’ordonnance 2 COVID-19 par le Conseil fédéral pourrait permettre à Combioxin de déployer plus rapidement son traitement. Depuis le 4 avril dernier, en effet, Swissmedic peut autoriser la mise en service de dispositifs médicaux pour lesquels aucune procédure d’évaluation de la conformité n’a été réalisée, pour autant que leur utilisation soit jugée d’intérêt public en vue de prévenir et de combattre le coronavirus.
Au bout du compte, cette pandémie pourrait bien être une aubaine pour le développement de la «médecine connectée» en Suisse. Basée à Epalinges, l’association intercantonale CARA a pour mission première de mettre en place dans toute la Suisse romande le dossier électronique du patient. Lancé en octobre 2019, l’outil de transfert sécurisé de documents disponible sur la plateforme CARA est déjà utilisé par l’Hôpital du Valais et 166 médecins en cabinet. Une moyenne de 8500 documents de santé y sont échangés mensuellement. Pour Patrice Hof, son secrétaire général, «il est probable que cette crise sanitaire mette en évidence les besoins du pays en matière de cybersanté, et permette ainsi à l’avenir d’accélérer l’adoption de certaines solutions en vue d’anticiper au mieux l’arrivée de nouvelles pandémies».
Calyps anticipe l’affluence aux urgences grâce à la data intelligence
Depuis le début de la crise sanitaire liée au coronavirus, Calyps a été en contact avec plusieurs hôpitaux de Suisse romande. Basée à Sion, cette société spécialisée dans l’intelligence des données (data intelligence) a développé un algorithme permettant d’anticiper le nombre de personnes qui se rendront aux urgences. Pour fonctionner, le logiciel a besoin de toutes les informations en lien avec la prise en charge des patients sur au moins deux ou trois ans, auquel il peut ajouter aussi des données liées à la météo, au planning des équipes, aux jours fériés, etc. Sa mise en place peut durer de quelques semaines à quelques mois. Une fois en fonction, sa fiabilité serait de 90% à cinq jours. Plusieurs centres de soins français se sont montrés intéressés. «En Suisse, il y a encore certains blocages, estime Tony Germini, CEO de Calyps. Mais la crise actuelle va certainement faire évoluer les mentalités pour accélérer la transition numérique dans la santé, notamment dans le partage des données médicales entre professionnels.»
Abionic prévient les décès par sepsis
A Epalinges, Abionic a développé une technologie permettant un diagnostic extrêmement rapide d’un sepsis, une grave infection du sang qui tue 11 millions de personnes chaque année. «Notre plateforme est la seule dans le monde à détecter le sepsis jusqu’à 72 heures plus tôt, condition impérative pour assurer la survie des patients. Car à chaque heure qui passe avant la prescription du bon traitement, les chances de survivre diminuent de 8%», assure Nicolas Durand, son CEO. Cette technologie est actuellement utilisée dans le cas du Covid-19 aux soins intensifs des HUG. Causé fréquemment par la dégénération d’une pneumonie, le sepsis est en effet l’une des dernières complications possibles du virus. La machine développée par Abionic a obtenu le marquage CE en mars dernier. Cela leur permet d’envisager une commercialisation dans toute l’Union européenne. L’entreprise cherche désormais des soutiens, notamment financiers, afin de pouvoir rapidement déployer sa technologie en Suisse et à l’étranger.
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