Jacques Séguéla disait que l’on avait raté sa vie à 50 ans sans une Rolex au poignet. En reprenant la formule du publicitaire, on pourrait ironiser sur la classe moyenne d’aujourd’hui, en lui lançant qu’elle a raté sa vie si elle n’est pas devenue propriétaire à 35 ans! Un bel âge, où les carrières professionnelles se stabilisent, où les couples se disent oui alors que d’autres tentent de garder la tête hors de l’eau avec des bambins en (très) bas âge. L’âge de 35 ans serait aussi le moment idéal pour devenir propriétaire, selon les études. La retraite est encore lointaine, ce qui laisse le temps d’assumer une hypothèque et des amortissements sur des décennies.
57% des Suisses sont locataires. Dans l’UE, plus de 50% des habitants sont propriétaires.
Or, pour la classe moyenne, il s’agit d’un rêve qui ne se réalisera jamais sans un apport important des parents baby-boomers ou un héritage. C’est-à-dire un sésame qui lui permettrait d’amasser les fameux 20% de l’estimation de la valeur du bien en fonds propres – dont 10% en liquide. Auxquels s’ajoutent les frais d’achat (de l’ordre de 5%) et les impôts à payer dans le cas où le financement se fait via un retrait du 2e pilier. La bonne nouvelle se niche dans des taux d’intérêt historiquement bas. La mauvaise nouvelle est que les prix de l’immobilier ont doublé ces vingt dernières années et que, depuis 2012, les Chambres fédérales ont restreint les conditions de retrait du 2e pilier.
Une tendance de fond?
Pour la classe moyenne, cette situation équivaut à saliver devant un gâteau au chocolat derrière la vitrine sans jamais pouvoir entrer dans la pâtisserie. Car oui, la Suisse est un pays de locataires (57%) qui ne deviendront pas (jamais?) propriétaires. Pour le démontrer, prenons l’exemple d’une famille type de la classe moyenne, la trentaine, à Genève ou à Lausanne, avec deux enfants en bas âge et deux salaires. Celle-ci convoite un bien à 1 million de francs afin d’échapper à un loyer mensuel de plus de 3000 francs. Pour l’acquérir, elle devra donc constituer 200 000 francs de fonds propres auxquels s’ajoutent les 50 000 francs de frais d’achat. Pour elle, la situation est encore possible. Mais pour supporter une hypothèque de 800 000 francs et les 5% requis pour la tenue des charges, la famille devra assurer un salaire annuel de 170 000 francs, soit 13 000 francs par mois, 13e salaire compris. La douche froide.
Mais cessons de nous plaindre. Des solutions existent pour éviter de faire les fonds de tiroirs. Face à un marché immobilier inaccessible et pour sortir tout de même d’un marché locatif hors de prix, la classe moyenne trouve des alternatives. Ainsi, il n’est plus rare de croiser des familles qui mutualisent les fonds propres pour l’achat d’une maison qu’elles diviseront en deux appartements. D’autres misent sur un achat communautaire grâce aux conditions attractives offertes par le modèle des coopératives d’habitants. Enfin, avec l’arrivée de nouveaux acteurs dans le crowdfunding immobilier, une clientèle de niche investit dans la pierre par le financement participatif.
Pour la classe moyenne, l’époque de la villa individuelle entourée de thuyas semble ainsi révolue. Les nouveaux modes d’accès à des formes de propriété passent par la mutualisation et la création de communautés d’habitants. La tendance est-elle de fond? Quelles sont, dans le détail, les alternatives à l’achat immobilier standard? Quels sont les écueils? Comment les acteurs de l’immobilier et les collectivités publiques s’adaptent-ils (ou ignorent-ils) cette réalité des ménages suisses? Enfin, qui sont ces nouveaux noms sur le marché de l’immobilier désireux de changer les choses dans le domaine du courtage ou du financement hypothécaire?
Ce matin, Gaëtan Seguin est d’humeur guillerette. Sa fille cadette se balance sur ses épaules. L’aînée, 6 ans, attend la sonnerie dans la cour d’école. Si le Lausannois de 39 ans est un homme heureux, c’est parce que lui et sa compagne, Anne Junker, ont finalisé la veille les statuts de leur future coopérative d’habitation. Celle-ci est désormais inscrite au Registre du commerce. La procédure d’achat est lancée. Jusque-là, le couple doit débourser 3100 francs par mois, charges comprises, dans la location d’un 4,5 pièces: «Même si nous travaillons tous les deux, nous nous sommes toujours dit qu’il était impossible d’acheter», rappelle Gaëtan Seguin.
L’essor des coopératives d’habitants
Depuis cinq ans, le couple est inscrit à la Coopérative de l’habitat associatif (CODHA), très active à Genève et depuis peu à Lausanne: «Nous voulions profiter d’un projet dans le canton de Vaud. Le modèle des coopératives nous plaît beaucoup. Mais c’est aussi le seul qui nous permet de sortir du marché locatif standard.» Il y a deux ans, Anne et Gaëtan entrevoient une échappatoire: «Un couple d’amis architectes, dont les enfants fréquentent la même crèche, nous parle d’un immeuble de cinq appartements à vendre sur les hauts de Lausanne. Ils nous ont demandé si cela nous intéressait d’acheter avec eux», se souvient Gaëtan.
Le modèle de coopérative est le seul qui nous permet de sortir du marché locatif standard.
Au départ, les deux familles, vite rejointes par une troisième issue de la même crèche, veulent acheter en propriété commune. Mais les règles la régissant ne les autorisent pas à disposer de leur LPP. Elles excluent la PPE: «L’idée de l’achat, c’est aussi celle de mutualiser certaines parties communes tout en restant chez soi. Par exemple, la création d’un studio pour héberger les amis de passage ou à louer à des étudiants», anticipe Gaëtan Seguin. Le modèle sera celui de la coopérative d’habitants avec ses conditions attractives. En combinant les aides existantes aux coopératives, notamment celles du canton de Vaud, de la ville de Lausanne et du fonds de roulement de la Confédération, la part de fonds propres nécessaire des coopérateurs avoisine les 12%, au lieu de 20% pour un particulier.
Le financement, ce parcours du combattant
Les trois familles vont devoir investir chacune plus de 1 million de francs pour l’achat de cet immeuble comprenant deux appartements entre 100 et 130 m2. Mais aussi un appartement sous comble de 90 m2 et deux appartements de 55 et 80 m2. Chaque membre majeur de la coopérative devient coopérateur, acquiert des parts sociales, puis paie un loyer mensuel fixe pour rembourser l’emprunt et couvrir les charges. Dans le cas de Gaëtan Seguin, il devrait se monter à 2200 francs par mois, charges comprises: «Cinq locataires vivent actuellement dans l’immeuble. Ils ont trois ans pour trouver un autre logement. Nous leur offrons des aides à la relocation. Mais l’idéal serait qu’une partie d’entre eux deviennent coopérateurs», souligne Gaëtan Seguin. Pour l’heure, les loyers permettent de continuer l’opération. «Le pire scénario serait qu’ils trouvent tous un appartement dans les prochaines semaines», ajoute le Lausannois.
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Le projet de Gaëtan Seguin est séduisant. Mais beaucoup reste encore à faire, notamment concernant le plan d’achat et de financement: «C’est encore le flou, reconnaît Gaëtan Seguin. Si nous sommes plutôt bien dans les garanties, nous nous rendons compte du risque d’investir une part importante de notre 2e pilier et nos maigres économies. Et si les taux remontent? Tout va dépendre des conditions que les banques nous fixeront. Le financement d’une coopérative n’est pas un financement de PPE standard. Nous sommes donc allés démarcher la Banque alternative et d’autres établissements bancaires, comme Raiffeisen, qui ont l’habitude de traiter avec des coopératives.»
Gaëtan Seguin et ses amis vont avoir besoin de l’apport de fonds propres d’autres coopérateurs: «Nous avons la chance d’avoir une association désireuse de construire un projet au sous-sol de notre parcelle. Elle nous achète une servitude. C’est important d’avoir cet apport financier d’autres structures.» Dans les prochains mois, les amis vont devoir acheter l’immeuble. Ils devront attendre jusqu’à trois ans, et le départ des locataires, pour démarrer les travaux de rénovation estimés à dix mois. «Nous ne risquons pas d’être dedans avant l’été 2023», avertit Gaëtan Seguin, qui ne cache pas avoir «un peu les pétoches au moment de s’engager financièrement».
Zurich, championne des coopératives
D’autres solutions moins risquées existent: intégrer une coopérative d’habitation. Le principe reste le même que dans une coopérative d’habitants, à la nuance près que les futurs habitants ne sont pas à l’origine de l’achat ou de la construction du logement. En d’autres termes, ils intègrent une coopérative par l’achat de parts sociales et contribuent aux fonds propres de manière modeste. Ce modèle est centenaire. En Suisse, Zurich mène cette politique de logement d’intérêt public depuis 1906. Celle-ci consiste à vendre ses terrains à bas prix aux coopératives. Ou alors à les mettre à leur disposition pour une durée de 99 ans à des conditions très attractives. Dans ce cas de figure, la ville reste propriétaire et se porte garante de l’emprunt bancaire.
27% de coopératives dans la ville de Zurich. Contre 4,4% et 1,9% dans les cantons de Vaud et Genève.
Résultat: les coopératives représentent aujourd’hui 27% du parc locatif zurichois existant, selon l’étude 2016 réalisée par le Service des communes et du logement (SCL) du canton de Vaud et le Laboratoire de sociologie urbaine de l’EPFL (LaSUR). Au niveau du canton de Zurich, ce chiffre avoisine les 11,6%, contre 4,4% dans le canton de Vaud et seulement 1,9% à Genève. Face à la surchauffe du marché locatif standard sur l’Arc lémanique, Vaud et Genève tentent de rattraper leur retard sur Zurich en démultipliant les projets de coopératives. A l’instar de Lausanne et de ses deux futurs écoquartiers: l’un au bord du lac, l’autre aux Plaines-du-Loup. Au sein de ces deux quartiers, qui devront accueillir 10 500 habitants, plusieurs coopératives développent leur projet d’habitation.
A Lausanne, Yves Ferrari porte plusieurs casquettes. Mais toutes sont cohérentes. Député vert au Grand Conseil, l’architecte de formation est à la vice-présidence du conseil d’administration de la Société immobilière lausannoise pour le logement. Depuis deux ans, le quadragénaire assume surtout, à temps partiel, la direction de la SCCH Le Bled, la plus importante coopérative d’habitants du futur quartier des Plaines-du-Loup. Importante par son ampleur: huit étages, plus de 80 appartements, du deux-pièces jusqu’au 5,5 pièces et des clusters (studios avec salle de bains et cuisine, connectés entre eux par des pièces communes partagées). Mais aussi une salle de spectacle, des bureaux, des «BledBnB», soit des appartements à disposition des amis et familles de passage. Bref, une nouvelle manière de concevoir le logement.
Le pari d’une PPE dans une coopérative
Importante aussi, pour être la première à proposer de la PPE. Le fonds de roulement de la Confédération refuse d’aider les PPE: «Lorsque les organes de soutien de la Confédération ont vu notre projet, ils se sont arraché les cheveux car ce dernier est très complexe», se souvient Yves Ferrari. Mais alors quel est l’avantage d’acheter en PPE dans une coopérative? Evidemment le prix, puisque le cinq-pièces de 125 m2 est affiché à 890 000 francs environ. Comptez 798 000 francs pour un quatre-pièces de 112 m2. Contrairement au coopérateur qui va devoir acquérir en parts sociales 5% de la valeur de son appartement, soit 22 000 francs pour le quatre-pièces, le «pépéiste» devra disposer des 20% de fonds propres, mais sur un prix de vente un tiers moins cher que sur le marché: «Le mètre carré standard à Lausanne est aux alentours de 10 000 francs. Au Bled, il est affiché à 7133 francs.»
De plus, le «pépéiste» jouit de tous les espaces et services offerts par la coopérative. En revanche, il ne peut réaliser de plus-value. Son bien sera revendu au prix d’achat. Le projet du Bled est un cas d’école particulier pour les autorités et les banques: «On retrouve les PPE à tous les étages et sur tous les types de logements, explique Yves Ferrari. Pour la banque, c’est compliqué, car si notre coopérative fait faillite, comment va-t-elle régler le sort des PPE?» Mais les mentalités évoluent doucement: «Nous avons sollicité six banques. Parmi elles, quatre nous ont répondu positivement (Banque alternative, Banque Migros, Raiffeisen et CIC). Indéniablement, la coopérative est une nouvelle manière d’imaginer et de vivre le logement en lui donnant du sens.»
Pour le canton de Vaud et Lausanne, le projet des Plaines-du-Loup est un vaste laboratoire expérimental. Mais pour que le modèle des coopératives se démocratise, il faudrait une politique territoriale plus incitative. C’est du moins l’avis d’Yves Ferrari: «Plusieurs communes, même à majorité de gauche, ne jouent pas le jeu. Elles ont des terrains, mais les cèdent à des caisses de pension ou à des privés plutôt qu’à des projets de coopératives. Parce que c’est plus rentable. L’incidence terrain, c’est-à-dire le coût du terrain sur l’ensemble de la construction, peut varier entre 15 et 30%. Une coopérative n’a pas les moyens.» Yves Ferrari ajoute: «Pour qu’un projet de coopérative voie le jour, la mise du terrain en droit distinct et permanent (DDP) est une grande aide, même si, finalement, la coopérative va valoriser ce terrain plusieurs fois sur la durée du DDP. Il faut une véritable volonté politique pour que les primo-coopératives puissent construire.»
Des économies dans la pierre
A Genève, Ivan Rego est un jeune homme prévoyant. A 26 ans, il vient d’acquérir une part de 25 000 francs dans un immeuble à Bernex, par le biais de Foxstone. La plateforme genevoise de crowdfunding immobilier est la première à proposer le financement participatif en Suisse romande. Le concept consiste à acheter, à plusieurs, un immeuble locatif déjà habité. Les multiples investisseurs font l’acquisition d’une ou de plusieurs parts de 25 000 francs. Une fois que la somme est réunie, l’achat de l’immeuble est finalisé. Les investisseurs deviennent copropriétaires et bénéficient des rendements locatifs. C’est justement ce qui a séduit Ivan Rego: «Après plusieurs années de travail, j’ai pu mettre beaucoup d’argent de côté.»
Le gain du crowdfunding est un petit tremplin pour avoir davantage de capital dans dix ans.
Il le place dans plusieurs investissements: «Je me suis d’abord tourné vers les nouveaux appartements en PPE au Quartier de l’Etang, dans la commune de Vernier. Mais ceux-ci sont partis plus vite que les billets du Paléo. Je suis allé voir d’autres projets. A l’époque, je n’étais pas crédible. On me demandait d’attendre dix ans. Puis j’ai entendu parler de Foxstone, et cela m’a plu. C’est une manière d’investir mes économies dans la pierre jusqu’au jour où je pourrai acheter.» Tous les trois mois, Ivan Rego va toucher un pourcentage du rendement locatif de l’immeuble. Il a la possibilité de mettre sa part en vente à tout moment sur la plateforme Foxstone en fixant son prix. L’investissement immobilier se faisant généralement sur le long terme, Foxstone conseille de rester sept ans. Passé ce délai, il aura empoché entre 7000 et 8000 francs de rendement, pourra revendre sa part, la garder, ou en acheter d’autres.
Ivan Rego reconnaît que le gain est modeste. Mais il représente 30% de l’investissement initial: «C’est un petit tremplin pour avoir davantage de capital dans dix ans. C’est une forme d’investissement. Même avec un très bon salaire, il est quasi impossible d’acheter quand on est jeune et seul.» Ivan Rego s’imagine dans sept ans avec une femme et des enfants: «A deux, nous sommes plus crédibles financièrement face aux banques.»
Le mètre carré standard à Lausanne est aux alentours de 10 000 francs. Au Bled, il est affiché à 7 133 francs.
La démocratisation de l’investissement immobilier proposée par Foxstone ne séduit pas que les moins de 30 ans. La génération des 35-45 ans se montre aussi séduite par le modèle. D’autant que plus elle a la capacité d’investir, plus cela lui rapporte: «Cela fait vingt ans que l’on cherche tous à acquérir ou à investir dans l’immobilier. Dès que l’on a les fonds propres, c’est la Finma qui durcit les conditions et augmente les minimums requis par les banques. On assiste aussi à l’apparition de nouvelles restrictions sur le retrait de la LPP. Ou alors ce sont les prix du bien qui doublent, le temps d’avoir réuni l’argent. En tant que particuliers, nous avons toujours un train de retard. Ce n’est pas normal», insiste Dan Amar, fondateur et directeur général de Foxstone.
L’investissement immobilier accessible
Selon lui, ce petit coup de gueule justifie à lui seul le modèle d’affaires de Foxstone: «L’immobilier, ce n’est pas de la bourse. C’est une classe d’actifs facilement compréhensible et dans laquelle tout le monde souhaite investir. Paradoxalement, il s’agit d’une des classes d’actifs les plus inaccessibles à la classe moyenne suisse.» Dan Amar ajoute: «Beaucoup de gens disposent d’une épargne de 25 000 ou 50 000 francs sur un compte bancaire. Pourtant, ce n’est pas assez pour acheter un bien. Les 35-45 ans qui n’ont pas les moyens de devenir propriétaires préfèrent investir leur épargne plutôt que de la garder sur un compte qui ne rapporte rien.»
L’immeuble de Bernex est la sixième vente réalisée par Foxstone. D’autres suivront. En 2019, Foxstone a reçu plus de 365 offres d’immeubles pour une valeur totale de 2 milliards, de la part de courtiers, de propriétaires, d’assureurs ou de fonds d’investissement: «Nous recevons beaucoup de propositions. On en refuse aussi énormément, précise Dan Amar. Nous en avons acheté moins de 3% pour ne garder que les pépites.» Foxstone a déjà réalisé 50 millions de francs d’achat.
L’entreprise compte 6500 investisseurs et a permis l’acquisition de neuf immeubles. Le directeur général de Foxstone ne masque pas ses ambitions: «Nous allons continuer de proposer des immeubles à l’acquisition grâce au crowdfunding. Notre vision est de rendre l’investissement immobilier de plus en plus accessible à la classe moyenne suisse. Nous allons prochainement permettre à des particuliers de financer des projets de développement immobilier sous forme de prêt participatif. A terme, notre but est de rendre ces investissements totalement liquides en les tokenisant par l’émission de jetons numériques et en créant une véritable place de marché sur laquelle on pourra échanger des parts d’immeubles ou des contrats de dettes en quelques clics.»
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L’avenir est-il aux proptechs, ces technologies prêtent à repenser le secteur immobilier? Sûrement. En attendant la grande dématérialisation, c’est plutôt la stabilité qui domine sur le marché de l’immobilier. Les restrictions de la Finma ne sont pas près d’être levées. Quant aux prix des biens, ils vont continuer d’augmenter.
Pourtant, de petits leviers existent pour changer les choses. A l’instar de Neho. La start-up lausannoise, née en juillet 2017, bouscule déjà les poids lourds historiques du courtage immobilier avec une promesse: «Donner à chaque propriétaire une solution juste et transparente pour vendre sa maison.» Mais comment? En capitalisant sur les bienfaits du numérique. Neho propose une transparence complète de l’information pour le vendeur par le biais d’un compte en ligne. A cela s’ajoute un forfait fixe de 9500 francs en lieu et place des commissions de courtage qui avoisinent les 3% du montant de la vente du bien immobilier.
Eric Corradin dirige la jeune pousse née d’un constat simple: «Nous avons regardé l’évolution de ces vingt-cinq dernières années. Les prix de l’immobilier ont pratiquement doublé, explique-t-il. Mais parallèlement, l’augmentation de l’indice des prix à la consommation a été très faible. Si l’on se réfère aux commissions de courtage (3% du montant de la vente du bien immobilier), les courtiers ont en quelque sorte doublé leurs honoraires. Est-ce que leur valeur ajoutée a été multipliée par deux aussi? J’en doute. Aujourd’hui, avec l’avènement des portails immobiliers et des technologies, l’accès aux acheteurs est simplifié. Le vendeur n’a plus forcément besoin de passer par un courtier pour accéder à une base d’acheteurs.
Déterminer sa capacité d’achat
Eric Corradin reconnaît qu’il «a très peu de leviers» pour changer la situation du marché: «Il est difficile d’aller à l’encontre des règles fixées par la Finma. Si certaines régions continuent d’être très attractives et bénéficient d’une base conséquente d’acheteurs ayant des moyens importants – c’est le cas de l’Arc lémanique, notamment –, il est parfois plus difficile de trouver un point de recoupement entre les acheteurs et les vendeurs dans des régions moins dynamiques. Notre faible commission de courtage nous permet néanmoins d’aboutir à une transaction là où d’autres n’y arriveront pas, car la capacité d’achat se joue parfois à 15 000 ou 20 000 francs près.»
Pour autant, Eric Corradin «ne voit malheureusement pas d’amélioration des conditions d’accès à la propriété. La Finma devrait se pencher sur l’abaissement du taux de la tenue des charges, actuellement de 5%. Si elle l’abaisse à 3%, elle permettra à davantage de gens d’acheter, malgré une augmentation des prix qui découlera de ce nouvel afflux d’acquéreurs.»
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Mais avant d’en arriver à prospecter un bien immobilier, faut-il encore déterminer sa capacité d’achat et monter un dossier de financement: «Les futurs acquéreurs croient pouvoir acheter au prix X et assumer une hypothèque Y du simple fait qu’ils projettent le budget de leur futur logement sur leur loyer. Cependant, payer un loyer de 3000 francs ne leur permettra pas forcément d’assumer les charges effectives similaires d’une dette hypothécaire. Ils vont toujours aller vers leurs limites et ont rarement une idée précise de leur capacité d’endettement. A l’inverse, certains se sentent limités dans leur achat lorsqu’ils découvrent le montant des charges théoriques qu’ils devront payer et qui ne devront pas excéder un tiers du revenu. Mais ils ignorent qu’entre une banque et l’autre, la différence peut aller jusqu’à 40%. Des solutions existent, sauf qu’on ne les informe pas», explique Yannis Eggert.
La jungle de l’hypothèque
Ce spécialiste en financement hypothécaire et Florian Bienefelt, ingénieur en microtechnique, diplômé EPFL et Stanford, ont cofondé e-Potek. Cette entreprise créée en 2018, présente à Genève et à Lausanne, fournit toutes les offres de prêts hypothécaires du marché en quelques clics: «Nous aidons le futur acquéreur à traverser la jungle de l’hypothèque, résume Yannis Eggert. Le système d’acquisition immobilière est très complexe. Lorsque vous allez dans une banque, elle ne vous informe pas qu’il existe une éventuelle meilleure solution ailleurs.» E-Potek n’est pas seulement une plateforme numérique, mais surtout un cabinet de courtage en financement hypothécaire, composé d’équipes de conseillers qualifiés, qui s’appuie sur les technologies numériques.
Les acquéreurs ignorent que, d’une banque à l’autre, la différence peut aller jusqu’à 40%.
Concrètement, Yannis Eggert et Florian Bienefelt ont développé une interface dont les algorithmes vont agréger toutes les données des prêteurs (banques, assurances et caisses de pension). En fonction de sa capacité financière, le futur acquéreur va donc recevoir toutes les informations pour financer son bien: auprès de quel prêteur, quel choix de fonds propres (retrait LPP vs nantissement ou épargne), d’amortissement, quels taux, et surtout quelles seront les incidences fiscales: «En enregistrant tous les paramètres, nous voyons instantanément où le dossier pourrait être accepté, précise Yannis Eggert. Puis nous accompagnons les candidats dans la constitution de leur dossier de financement. Les prêteurs nous voient d’un bon œil, car nous arrivons avec des dossiers impeccables. Ils n’ont plus besoin de faire le tri.»
Le bon dossier dans la bonne banque
E-Potek travaille en fonction des règles fixées par la Finma: «Nous sommes là pour orienter les clients et leur ouvrir les yeux parfois, explique Yannis Eggert. Souvent, ils ne réalisent pas les écueils d’une sortie de leur avoir LPP qui, parfois, positionne les futurs acquéreurs dans des situations de couverture risquées, alors que les prêteurs ne s’y attardent pas toujours. C’est pour cela que nous réalisons systématiquement des projections de planification de prévoyance. De plus, nous parlons beaucoup de primo-acquérant.»
Mais il existe aussi le cas sensible d’une deuxième acquisition, par exemple le passage d’un appartement à une villa, ou l’inverse quand les enfants sont devenus grands. Dans ces cas de figure, les clients voient leurs fonds propres mobilisés dans le premier achat. Yannis Eggert conclut: «Les prêteurs conventionnels ne pouvant pas octroyer de crédit-relais, nous avons dû identifier des solutions pour les cas de deuxième acquisition. De même que dans les projets communautaires, comme les coopératives, ou dans l’accompagnement d’investisseurs institutionnels.»
Doucement donc, les lignes bougent sur le front de l’immobilier à mesure que des alternatives à l’achat ou à la location standard émergent. Ce n’est qu’un début. Faut-il encore savoir comment les acteurs de l’immobilier s’adapteront à cette nouvelle donne en proposant d’autres moyens d’habiter et de «posséder» son logement.
Cette génération qui ne rêve plus d’être propriétaire
A Genève, Paul Merz développe le premier Cowkoon suisse. Un espace de vie communautaire et écologique à mi-chemin entre copropriété, coopérative et hôtel.
Réchauffement climatique, épuisement des ressources, dématérialisation de la société et du travail… La génération des 15-35 ans cherche des solutions aux maux de l’époque. Elle ne se retrouve pas dans l’idée de se barricader à vie dans une maison mitoyenne. Au contraire. A Genève, Paul Merz a senti le besoin de matérialiser ces envies. L’entrepreneur d’une trentaine d’années est à la tête, notamment, de MAJ Ventures. Cette start-up travaille à trouver des solutions aux problèmes d’écologie et de fragmentation sociale.
Parmi elles: Cowkoon, soit le premier réseau européen de coliving écologique. A mi-chemin entre une copropriété, une coopérative et un hôtel, il «offre un habitat bien pensé et clés en main pour vivre ensemble de manière écologique, avec un bon niveau de confort, tout en offrant des services comme du personnel d’entretien et un cuisinier, par exemple. C’est le Netflix de l’habitation», explique Paul Merz. Le projet Cowkoon pousse l’idée du cluster à l’extrême. Ces logements communautaires, qui s’émancipent en Suisse alémanique, prennent la forme d’une vaste surface d’habitation – entre 500 et 900 m2 – sur laquelle sont implantés des îlots privatifs. C’est-à-dire les chambres à coucher, équipées de douche et de WC. Tout le reste (salon, salle à manger, cuisine…) est à la disposition des locataires.
Cowkoon propose des «cellules de vie» meublées entre 10 et 15 m2. Pourquoi meublées? «Parce que la jeune génération ne veut plus posséder», explique Paul Merz. Le concept attire une clientèle étudiante, les nomades du digital et même les retraités actifs: «La mise en commun des ressources permet de réduire drastiquement la pollution relative aux emballages alimentaires et de partager facilement biens et véhicules. Tous les avantages du vivre-ensemble, sans les inconvénients.» Une antenne a déjà été ouverte à Lisbonne, au Portugal, et plusieurs projets sont à l’étude en France.
Fédérer des communautés
Le chantier du premier Cowkoon suisse devrait démarrer l’été prochain. Comment le marché de l’immobilier va-t-il répondre aux revendications d’une nouvelle génération? «L’idée de construire pour construire est terminée, souligne Paul Merz. Nous préférons fédérer des communautés qui ont décidé de vivre ensemble.» Paul Merz est d’ores et déjà en contact avec plusieurs partenaires à Genève pour réaliser les promotions.
La location-vente, tremplin vers la propriété
Kevin Pitteloud* et sa femme ont acheté en Valais par le biais de ce système astucieux, mais peu répandu.
Depuis le mois de décembre, Kevin Pitteloud goûte aux joies de la propriété. Lui et sa femme se sont installés à Ardon (VS) dans un magnifique 4,5 pièces au sein d’une PPE. A 33 ans, ce rêve était inimaginable. Il n’a pas été simple non plus à réaliser. Jusque-là, le couple, d’origine valaisanne, habitait Lausanne. Mais les prix exorbitants du marché locatif les poussent à revenir: «Nous avons tous les deux trouvé des emplois en or en Valais, commente Kevin Pitteloud. Plus rien ne nous retenait à Lausanne.» Le couple songe à acheter. Mais malgré quelques économies et de bons salaires, ils ne peuvent accéder à la propriété sans faire les fonds de tiroirs, vider leur LPP et solliciter les proches: «Les jeunes peuvent s’endetter avec des cartes de crédit ou une voiture en leasing. Mais pour acheter un toit, c’est impossible.» Son témoignage, dit-il, est un coup de gueule.
Investissement de seulement 5% de cash
Au printemps 2018, Kevin Pitteloud tombe sur les offres d’un promoteur à Ardon: un 120 m2, deux places de parc et une terrasse de 70 m2. L’ensemble affiché à 620 000 francs: «Une offre inimaginable dans le canton de Vaud.» Mais le promoteur, qui a beaucoup construit en Valais sans trouver preneur, entre en matière pour une location-vente. Ce système permet au couple d’avoir l’appartement, sans toucher à sa LPP (mais une mise en gage de la LPP et du 3e pilier A), en investissant seulement 5% de cash. Mais comment? Kevin et sa femme ont signé un contrat de bail à loyer d’une durée de cinq ans, ainsi qu’une promesse d’achat devant notaire. Les 60% de loyers cumulés (2200 francs par mois) sont reversés à échéance selon la promesse de vente notariée.
Autrement dit, le promoteur assume seul le financement les premières années. Pourquoi ce système, en règle avec les directives de la Finma, n’est-il pas plus répandu? «Il faut des promoteurs avec les reins solides, explique Kevin Pitteloud. Simplement parce qu’ils ne peuvent pas monétiser leurs biens dans l’immédiat. Sur l’Arc lémanique, ce ne serait pas possible.» Finalement, la location-vente n’aura pas duré longtemps, puisque le couple a monté un dossier de financement lui permettant d’acheter son logement. Depuis deux mois, il goûte aux joies de la PPE.