Day Medical est une PME d’Avenches (VD) spécialisée dans les dispositifs pour le diagnostic sanguin. Elle a été rachetée par la firme australienne Haemokinesis en 2018. Le 31 mars dernier, le directeur marketing de Day Medical, Armin Koechli, faisait la promotion aux médias d’un «test révolutionnaire, rapide et simple, la gamme complète de kits de test Covid-19». En coulisse, la réalité est moins reluisante. Depuis le mois d’avril, les salaires des 36 collaborateurs n’ont pas été payés, soit un montant estimé à 270 000 francs par mois. Ils n’ont pas bénéficié du prêt Covid-19 de 250 000 francs crédité début avril sur le compte de la société vaudoise.

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Le 11 mai, le dépôt de bilan de Day Medical est signifié au Tribunal d’Yverdon et 33 employés libérés de leur obligation de travailler; trois étant des cas particuliers (frontalier, grossesse ou accident) et trois autres ayant déjà été licenciés en début d’année. Mais, surprise, à la fin mai, un tiers des collaborateurs se voyaient proposer un nouveau contrat par Haemokinesis Australie, pour le site d’Avenches.

Nouveau rebondissement, des lettres d’avertissement de l’avocat zurichois Marc Russenberger, également directeur du conseil d’administration de Haemokinesis Suisse, sont envoyées petit à petit aux employés de Day Medical entre le 28 mai et le 4 juin. Il y fait mention, en allemand, des stocks de réactifs sanguins périssables accumulés à Avenches. L’interdiction formelle de venir sur le site de l’entreprise est également notifiée aux anciens employés. Ces derniers craignent une revente discrète des cartouches sanguines derrière leur dos.

Enjeu sanitaire énorme

«Le risque existe, d’autant plus qu’il a été demandé dès le 11 mai aux clients de Day Medical de payer sur le compte de Haemokinesis en Australie. Jim Manolios, le CEO de la compagnie australienne, fait également savoir dans ce courrier que l’activité va se poursuivre sur le site d’Avenches», mentionne une source présentant des documents confirmant ses dires. Le 26 mai, des produits de l’entreprise broyarde ont d’ailleurs été sortis et expédiés à la société saoudienne Al-Nahir, l’un des clients de Day Medical. «Nous avons demandé le séquestre conservatoire pénal des stocks au Ministère public vaudois le 29 mai. Ce matériel fait partie de la liquidation», signale Nicole Vassalli, secrétaire syndicale d’Unia Vaud, qui accompagne les employés depuis le dépôt de bilan.

Outre la suspicion de faillite frauduleuse, l’enjeu sanitaire est énorme. «Le laboratoire d’Avenches était un des maillons dans la chaîne de la médecine d’urgence. Très schématiquement, il y a les donneurs de sang d’un côté, de l’autre des patients qui ont besoin de ce sang. Day Medical est au milieu pour produire et contrôler les cartouches de réactifs sanguins utilisées, par exemple, lors des transfusions sanguines, explique une laborantine d’Avenches. Aujourd’hui, nos dispositifs sont présents dans de nombreux pays et dans deux hôpitaux en Suisse (Glaris et Burgdorf, ndlr). Mais sans les réactifs, ils sont inutilisables et ne peuvent plus sauver des vies.»

Dès lors, peuvent-ils être dangereux? La question pourrait toucher également aux certifications Swissmedic, extrêmement difficiles à obtenir. Comment contrôler les lots et les équipements fournis par Day Medical? On parle de réactifs in vitro intervenant dans la sérologie des groupes sanguins. Qui assure leur qualité depuis la fermeture de l’entreprise?

RHT également détournées

L’incompréhension est palpable dans les rangs des employés. Le directeur du site d’Avenches, Ivan Capelli, licencié lui aussi, reste injoignable. Le 11 juin, une action coup de poing a été menée devant l’entreprise vaudoise. Les collaborateurs licenciés, qui sont autant des cadres supérieurs que des manutentionnaires, se méfient des représailles. Mais les langues se délient.

«Les difficultés financières de la société n’étaient pas nouvelles, mentionne un employé qui préfère garder l’anonymat. Une moitié de l’entreprise était en RHT depuis le Covid-19, mais la production et le laboratoire ont dû travailler à 100% pendant toute la période du confinement.» Pourtant, personne n’a été payé. «Où est passé l’argent des RHT?» demande une autre collaboratrice. «L’entreprise ne reversait même plus les allocations familiales. Certains n’avaient que 1000 francs pour vivre. En plus de deux mois non payés, plusieurs ne reverront jamais leurs trois mois de préavis. Nous avons dû remplir les stocks en mars, avril et début mai et maintenant que deviennent-ils?»

L’ambiance est délétère. En outre, des tensions entre Day Medical et Haemokinesis au sujet d’un prêt de 9,8 millions de francs accordé par les Australiens sont signalées par plusieurs sources. Ayant finalement répondu par écrit à l’Agence télégraphique suisse (ATS), Marc Russenberger parle «d’un effet domino de la crise du coronavirus» et explique chercher des investisseurs. «Haemokinesis Australia essaie de trouver une solution, soit en Australie, soit avec une petite succursale en Suisse», informe-t-il. Beaucoup de questions sans réponse. L’audience devant le juge des faillites au Tribunal d’Yverdon est prévue le 29 juin.


En cas de fraude: quelles sanctions?

Ce cas fait écho à d’autres situations de fraudes présumées. Selon le site de l’administration fédérale, plus de 128 000 crédits Covid-19 ont été accordés à des entreprises pour plus de 15 millions de francs. Plus de 600 cas d’abus potentiels sont en cours de clarification. Mi-juin, seuls 29 se révèlent être des tricheries avérées. Selon Martin Godel, responsable du secteur politique PME à Berne, «les abus seront inévitables sur l’ensemble des prêts accordés. Actuellement, le phénomène est réduit. Les demandes de prêts multiples et le gonflement du chiffre d’affaires sont les principales tricheries recensées.»

Une panoplie de mesures existe pour sanctionner les tricheurs. Anton Rüsch, procureur spécialiste au Ministère public vaudois, dénombre une quinzaine de procédures en cours pour des fraudes au prêt Covid-19. «De nombreuses infractions sont envisageables. Les plus courantes sont: l’escroquerie et le faux dans les titres si l’on triche sur le chiffre d’affaires annoncé, l’abus de confiance ou la gestion déloyale si l’on emploie les fonds de manière prohibée au préjudice de la société, ou encore le blanchiment d’argent si l’on soustrait les fonds détournés à la mainmise de l’autorité. Les peines peuvent aller de la privation de liberté, y compris ferme, à des peines pécuniaires parfois importantes.» A noter que les abus aux RHT ou la faillite frauduleuse sont également punissables pénalement et que ces infractions sont poursuivies d’office. Il n’est pas besoin d’une plainte.

Qu’en est-il des prêts Covid-19 accordés à des entreprises qui font faillite ensuite, comme c’est le cas pour Day Medical? La procédure habituelle de l’Office des faillites sera mise en place et la banque qui a accordé le prêt produira la créance. Il y a cependant un risque clair que l’argent soit perdu.