«Au moment de m’embarquer pour la Corse avec mon camping-car, j’ai reçu un appel de Tiziano Serra, un chercheur de l’institut de recherche AO (ARI) à Davos. Je ne le connaissais pas du tout et dans ma tête, j’étais parti pour un break de quatre mois avec ma fille, ma femme et mon vélo», raconte Marc Thurner. Ne voulant toutefois pas fermer complètement la porte, il propose de rencontrer cet inconnu à Davos, un mois plus tard.
«Je voulais seulement l’écouter, se souvient l’entrepreneur. Lorsque j’ai découvert ses résultats scientifiques, j’ai été bluffé. Je ne pouvais pas rater ça! J’ai donc commencé à écrire un business plan et, surtout, une famille de brevets pour sécuriser la technologie, le tout dans mon camping-car en Italie.» Il passe alors ses journées en famille ou sur son vélo à avaler les cols et profite de la sieste de Joanne, sa fille qui a eu 2 ans en mai, pour écrire et organiser sa future société.
L’orchestration de la biologie
L’ancien CEO et fondateur en 2007 de RegenHu, société active dans le bioprint (production d’imprimantes de matériaux biologiques tels que les os, la peau, le cartilage, etc.), puis de Vivos-Dental, créée en 2012 et développant des os artificiels, rêvait pourtant de ce congé sabbatique. «La naissance de ma fille m’a ouvert les yeux et je ne voulais pas passer à côté de l’essentiel, assure-t-il. J’ai rencontré tellement de dirigeants regrettant de ne pas avoir vu grandir leurs enfants. Je ne voulais pas faire la même erreur.» Marc Thurner a tout de même donné un grand coup de frein dans sa vie professionnelle. Il a surtout revu ses priorités et organise différemment ses journées.
La fièvre de l’entrepreneuriat n’est cependant jamais loin. Il reconnaîtra d’ailleurs que faire une pause, c’est bien, mais qu’il apprécie avoir une occupation intellectuelle dense. C’est le cas avec MimiX Biotherapeutics, créée officiellement en juin 2019, sur un parking des Dolomites, «le plus beau bureau du monde». La start-up est aujourd’hui incubée dans le pôle d’innovation Microcity, à Neuchâtel.
L’élément déclencheur de ce revirement porte un nom: l’orchestration de la biologie. Le chef d’orchestre n’est autre que Tiziano Serra, dont le laboratoire est toujours à Davos. L’ingénieur a mêlé sa passion pour la musique – il joue de six instruments – et ses recherches sur les cellules. Alors qu’il faut plus d’un mois pour recréer du tissu cellulaire, l’homme a mis au point une technologique où le gain de temps est considérable. Grâce aux ondes sonores, les particules se disposent de manière optimale, créant un motif à base de cellules, sur ce que le duo de MimiX appelle en coulisses le haut-parleur. Le principe se rapproche du sable se déplaçant et formant des dessins en suivant des vibrations sonores.
Tiziano et moi sommes de grands rêveurs, mais aussi d’énormes bosseurs.
«Nous avons besoin de beaucoup moins de cellules, ce qui fait gagner du temps et permet de recréer du tissu artificiel directement dans le bloc opératoire, en une heure environ, explique Marc Thurner, dont le débit de paroles s’accélère à mesure qu’il présente sa technologie. Nous faisons de l’orchestration de cellules, c’est une démarche pionnière. J’espère que dans dix ans, tous les chirurgiens seront équipés de notre solution.» Recréer de la peau pour les brûlés, de la cornée, du cartilage, des muscles comme le cœur, des parties d’organe, cela en un temps record, tel est le rêve de MimiX. Il ne s’agit plus d’impression 3D, une technologie sur laquelle il travaillait avec RegenHu. De surcroît, leur innovation résoudrait les problèmes de vascularisation des tissus artificiels, une problématique récurrente lors des greffes.
Expérience de vie
Le chemin est toutefois encore long. La start-up, si elle avance vite et a trouvé une partie de son financement en Suisse et à l’étranger, n’en est qu’au stade des validations précliniques. «Il faudra dix ans pour que nous puissions commercialiser notre produit, estime le CEO. Ce n’est pas si long dans le domaine de la biotech. Tiziano et moi sommes de grands rêveurs, mais aussi d’énormes bosseurs.» Comme un clin d’œil qui en dit long, les deux jeunes papas ont appelé leurs prototypes Joanne et Bianca, du nom de leurs filles. Aujourd’hui, six personnes sont dévouées à MimiX, qui collabore par ailleurs étroitement avec l’Ecole d’ingénieurs de Bienne, des PME neuchâteloises et l’ARI, à Davos, composé d’un réseau mondial de chirurgiens.
Depuis novembre dernier, se laissant porter par sa fibre entrepreneuriale bouillonnante, Marc Thurner assure également à 50% le poste de responsable des start-up à Microcity. Il se servira de son expérience pour la transmettre à d’autres jeunes pousses neuchâteloises. «Souvent, on arrive avec une idée excellente, mais pas de notions commerciales ni de contacts, ou alors c’est l’inverse, observe-t-il. Mon souhait, à Microcity, est d’amener de l’éducation, de l’énergie avec des venture talks mensuels, de la visibilité et de l’action ou de l’interaction en créant par exemple un club d’entrepreneurs. Car se lancer dans une start-up est une expérience de vie, ce n’est pas juste une entreprise.»