Le marché des gourdes est prospère et ne se cantonne plus aux seuls campeurs ou sportifs. Si les ventes ont faibli quelque peu avec la crise du Covid-19, la progression annuelle est aux alentours de 4%, selon des estimations de l’étude de Fact Market Research publiée en avril, et le secteur devrait peser 11 milliards de dollars en 2030. En Suisse, l’effet bouteille individualisée est bien là. Les sites d’e-commerce tels que Galaxus rapportaient une augmentation des ventes de gourdes de 77% l’an dernier.
«La croissance était toujours très importante lors du premier trimestre 2020. Elle a même doublé par rapport à 2019, qui était pourtant une année excellente. Mais ensuite, nous avons été, comme tout le monde, très fortement impactés par la fermeture des magasins et il ne nous restait plus que la vente en ligne. Si mai était encore difficile, je reste optimiste pour la fin de l’année», note Adrian Meili, directeur suisse de Sigg.
La maison suisse, rachetée par des Chinois en 2016, fait partie des acteurs phares du domaine, tout comme la britannique Chilly’s et sa gamme personnalisable, l’américaine S’well qui mise sur les matériaux nobles ou encore Camelbak, dans un genre plus sportif. Sans oublier les très populaires italiens de 24Bottles. Au cœur de la pandémie, ces derniers ont multiplié les actions, en annonçant une certification B Corp, en développant une campagne aux messages positifs pendant le confinement et en signant un partenariat avec un nouvel illustrateur pour leur dernière collection de bouteilles.
Guerre des matériaux
Pour se faire une place dans un marché où abondent également de nombreuses petites marques, les acteurs misent aujourd’hui fortement sur le développement technologique. La recherche des matériaux est au centre des préoccupations. L’acier inox de qualité alimentaire se présente comme le chef de file, pour des questions sanitaires et de conservation du chaud ou du froid. Toutefois, les gourdes en polymères représentent encore 30% du marché mondial, car elles restent plus économiques que celles en métal ou en verre. Les plastiques écologiques, à base de bambou ou d’algues brunes, sont quant à eux en phase de test.
Produisant des gourdes en aluminium depuis plus d’un siècle, l’entreprise Sigg s’est aussi diversifiée, répondant ainsi aux demandes des utilisateurs qui se plaignaient d’un goût métallique dans l’eau. «Aujourd’hui, nous produisons des gourdes dans quatre matériaux: l’inox et l’aluminium pour l’essentiel, le verre, qui se développe beaucoup en entreprise et attire par son esthétisme, et, enfin, le plastique, précise Adrian Meili. Pour l’aluminium, nous recouvrons l’intérieur d’une fine membrane plastique qui neutralise le goût du métal.» Un procédé qui est toutefois décrié par les associations de défense de consommateurs, car le film protecteur peut contenir du bisphénol A, un perturbateur endocrinien.
Si la question des matériaux peut diviser, la valeur écologique de l’objet fait l’unanimité. Chaque gourde utilisée permet en effet de remplacer des milliers de bouteilles en plastique. Partant de ce constat, la start-up genevoise Re-Company a conçu la gourde intelligente Rebo, en insérant dans le bouchon une technologie enregistrant la quantité de liquide bu. «Un capteur laser comptabilise le niveau de liquide à chaque ouverture du récipient, explique Pierandrea Quarta, cofondateur et CEO. Il envoie un signal sur l’application installée sur le smartphone. Par déduction, nous savons combien de bouteilles plastiques n’ont ainsi pas été utilisées.»
Des crédits verts via la blockchain
Le projet va même plus loin. Chaque remplissage génère des crédits verts sur la blockchain qui sont certifiés par la fondation Gold Standard, une plateforme active dans des projets environnementaux. Ce fonds permet alors de financer le ramassage des bouteilles jetées dans la nature. Lorsqu’on sait que la quantité de plastique dans les océans se rapproche de la masse de poissons qui y vivent, selon le rapport de la Fondation Ellen MacArthur, la démarche prend alors tout son sens! «Nous proposons à des entreprises ou des collectivités désireuses de compenser leur empreinte écologique d’acquérir des crédits verts, poursuit l’entrepreneur, ex-responsable marketing chez P&G. L’objectif est que chaque gourde bue finance la récupération d’une bouteille en plastique.»
Au final, l’application permet de connaître sa consommation de liquide et le nombre de bouteilles usagées ramassées. L’idée de la start-up genevoise a su convaincre Aptar, le leader mondial des systèmes de distribution. Après une première levée de fonds supérieure à un demi-million de francs, la jeune pousse a lancé en novembre dernier une campagne de financement participatif sur Indiegogo. «Le but était de nous faire connaître et de récolter 15 000 euros en deux mois, raconte Pierandrea Quarta. Nous avons réalisé ce montant en vingt-quatre heures et récolté 180 000 euros en deux mois.
Nous ciblons des entreprises qui souhaitent ne plus recourir à des bouteilles en plastique.
Aujourd’hui, Rebo est disponible en précommande sur ce même site. Les demandes viennent de 116 pays différents avec un gros intérêt des Etats-Unis, de l’Angleterre, de la Scandinavie et de la Suisse. Notre produit intéresse parce qu’il y a de la technologie, mais surtout parce que notre but premier est de générer un impact positif sur la planète et de financer le ramassage des déchets.»
Bouteilles connectées
Si le coronavirus a retardé le développement de la marche des affaires de deux ou trois mois, le CEO espère livrer les premières gourdes en septembre. Il est en discussion avec des points de vente en Suisse, ainsi qu’avec des entreprises voulant collecter des crédits verts.
Rebo n’est de loin pas la seule gourde intelligente. Les Américains de Lifefuels proposent des bouteilles avec des doseurs de goût ou de nutriments, Livelarq une bouteille autonettoyante, tandis qu’Apple a sorti Hidrate, la gourde qui vous rappelle de boire souvent. A noter que la question de se lancer sur le marché des gourdes connectées revient régulièrement dans les séances de recherche et développement de Sigg. Mais pour l’heure, cette option ne fait pas partie des projets immédiats de la marque.
Autre système novateur, développé partiellement en Suisse, celui de Luqel et ses gourdes disposant d’un système de reconnaissance. Le concept est piloté depuis le Tessin par un ancien étudiant de l’Université de Fribourg. L’idée est que chacun a ses propres préférences en matière d’eau, avec plus ou moins de magnésium ou de sels minéraux. Les stations d’eau Luqel génèrent instantanément une trentaine de recettes d’eau qui sont reconnues par votre gourde connectée n’importe où dans le monde. «Le dispositif est prévu pour les entreprises et nous le commercialisons actuellement plutôt en Angleterre et en Allemagne», mentionne Claude Cariola, directeur du développement chez Luqel.
Plus étonnant, l’industrie du verre grignote également quelques parts du marché des gourdes, même si sa fragilité reste un défi à relever. On parle alors d’un verre de circulation, plus solide, mais pas incassable. Univerre, dont le siège est à Sierre, vend depuis deux ans Pure Bottle, des bouteilles avec une fermeture mécanique portable. «Nous les distribuons dans les collectivités ou les entreprises qui souhaitent ne plus recourir aux bouteilles en plastique et veulent un objet durable avec leur nom ou leur logo, explique Olivier Burgat, responsable de vente pour la Suisse romande. Elles sont fabriquées en Italie, car la Suisse n’a plus de verrerie pour le verre blanc.» Parallèlement, pour mieux suivre les demandes de personnalisation, la PME a lancé la plateforme Myglass.ch.