Lancé par la ville de Morges et Romande Energie, le projet MorgesLac consiste à pomper l’eau du lac à une profondeur de 45 mètres. L’objectif est d’alimenter dans un premier temps le quartier de la gare, un projet immobilier porté par les CFF (quartier des Halles, 50 000 m2) et par UBS (Ilot Sud, 21 000 m2). Sortie de terre à quelques mètres de la piscine de Morges, la station de pompage (STAP) fait figure de pierre angulaire entre les conduites lacustres et terrestres. Elle recense dix pompes, quatre pour MorgesLac, quatre en prévision du futur projet EnerLac et deux autres pour la ville de Morges afin d’alimenter l’eau d’arrosage. Les filtres, pompes et autres équipements techniques sont logés sous la dalle du rez-de-chaussée de ce bâtiment de faible hauteur.
Par rapport à une énergie fossile, on est moins soumis aux fluctuations, comme la taxe CO2.
«L’idée est de pouvoir commencer à pomper l’eau du lac fin septembre afin de l’amener directement aux pompes à chaleur et de commencer à mettre en service une partie des installations, précise Guillaume Kusza, chef de projet chez Romande Energie. L’eau du lac va arriver dans un bassin tampon, sera pompée au niveau de la STAP, avant de rejoindre les centrales délocalisées des quartiers des Halles et de l’Ilot Sud, où sont installées les pompes à chaleur. Par la suite, l’objectif est d’avoir d’autres centrales délocalisées au niveau du Parc des Sports, à l’horizon 2022, puis en fonction des différents PPA en développement. Le futur projet du centre aquatique de la piscine pourrait ainsi profiter de ce système.»
Une ressource renouvelable et presque infinie
Lorsqu’on évoque le procédé d’aquathermie, on pense d’abord à l’énergie tirée des nappes phréatiques. Dans ce cas, il s’agit de prévoir une distance suffisante entre le puits de pompage et le puits de rejet. «C’est clairement une contrainte, précise Guillaume Kusza. On a réalisé un premier rapport hydrogéologique sur le quartier des Halles et on a constaté qu’il n’y avait pas le potentiel. On a également écarté la solution des sondes géothermiques pour ce même quartier. Il aurait fallu prévoir des sondes tous les 7 mètres, et il était risqué de placer des sondes dans le radier pendant trente ans. Finalement, la solution la plus logique et pérenne était de mettre en place un système de pompage de l’eau du lac, une infrastructure prévue pour une durée de cinquante ans.»
Un procédé d’autant plus écologique qu’il s’appuie sur une ressource renouvelable et quelque part infinie. Quant à l’électricité qui va alimenter les pompes à chaleur, elle sera d’origine hydraulique, elle aussi renouvelable. En plus, des panneaux photovoltaïques coifferont les toitures des bâtiments des projets des CFF et d’UBS. Et techniquement, comment ça marche? «Le circuit d’eau du lac arrive jusqu’aux centrales et un échangeur thermique opère la séparation hydraulique entre le circuit d’eau du lac et le circuit d’eau traitée qui va alimenter les réseaux de rafraîchissement et de chauffage. Ce dernier est assuré par deux immenses pompes à chaleur, l’une pour le chauffage proprement dit, de l’ordre de 40°C, et l’autre pour l’eau chaude sanitaire, d’une soixantaine de degrés.» Contrairement aux nappes phréatiques, où l’eau présente une température de l’ordre de 11°C, l’eau du lac est de 6 à 9°C à 45 mètres de profondeur.
«Il est intéressant d’avoir une eau relativement froide pour faire du refroidissement. Ainsi, une partie de la station de pompage est consacrée aux installations d’EnerLac, développé par Energie 360 (ce deuxième projet sera opérationnel à partir de 2021, ndlr). Elle va alimenter le site de Medtronic et la zone sud de Tolochenaz. Certaines grandes entreprises ont besoin de températures un peu plus basses. L’avantage de la «solution eau du lac», c’est donc aussi le refroidissement», explique Guillaume Kusza.
Le premier quartier qui bénéficiera des bienfaits du bleu Léman sera celui des Halles, où une dizaine de sous-stations thermiques vont permettre d’alimenter les différents bâtiments. En attendant d’élargir le procédé à toute la rive du Léman? «Dans le cas de villas un peu plus éloignées qui n’offriraient pas de densités énergétiques assez intéressantes, on n’a pas forcément intérêt à développer un projet d’eau du lac, car le coût d’une telle infrastructure est assez important. Il faut pouvoir tabler sur des preneurs qui possèdent des bâtiments suffisamment grands, afin de répartir ces différents coûts d’infrastructure. L’eau du lac est une ressource intéressante et écologique, mais encore faut-il qu’elle ait du sens en termes d’adéquation entre la demande et la production», ajoute Guillaume Kusza.
Reste l’aspect économique: «C’est intéressant dans la mesure où on a un prix qui est garanti durant trente ans. Pour ce projet, on se situe aux alentours de 20-22 francs le mètre carré, pour chauffer et refroidir. Par rapport à une énergie fossile, on est moins soumis aux fluctuations, comme la taxe CO2. Par ailleurs, le risque sur la performance de la pompe à chaleur est endossé par Romande Energie.»
Les projets fleurissent
«Si les promoteurs soutiennent le projet, cela veut dire que c’est un produit intéressant au niveau du business plan», souligne Milad Daneshvari, responsable de projet chez SGI Ingénierie. Outre la direction des travaux de MorgesLac, sa société est présente sur plusieurs fronts en lien avec l’aquathermie, en particulier le projet phare GeniLac, alimenté lui aussi par les eaux du Léman.
Ce projet orchestré par les Services industriels de Genève et la ville de Genève se veut particulièrement ambitieux. La première étape, le scénario 20 mégawatts (GeniLac Centre-Ville), est d’ores et déjà achevée. La deuxième étape, le scénario 60 mégawatts (réseau GeniLac Aéroport), est en cours de réalisation. «L’idée générale derrière ce projet est de miser sur une puissance énergétique de 240 à 250 mégawatts à l’horizon 2035», affirme l’ingénieur en génie civil et hydraulique.
Les villes de Genève et de Morges, mais aussi le CIO, qui utilise l’eau du lac pour le refroidissement de sa Maison olympique, ou l’EPFL, qui augmente la capacité de son installation… On l’aura compris, l’aquathermie a de beaux jours devant elle. «Notre société travaille depuis quelques années dans ce domaine de niche. Je peux vous dire qu’il y a dix ans on ne parlait que d’un seul projet et aujourd’hui on parle de plusieurs projets, confirme Milad Daneshvari. La stratégie énergétique globale 2050 de la Suisse met en avant tout ce qui est renouvelable. Ce genre de projets va tout à fait dans cette direction. Plusieurs pays européens sont en train d’investir dans cette source d’énergie. C’est le cas notamment de l’Allemagne, alors que la France est très en retard. Il faut dire que sa dépendance au nucléaire est d’environ 75%.»
Des conduites qui ont traversé le lac
Le Grand Canal, à deux pas de la réserve naturelle des Grangettes, sur la commune de Noville (VD). C’est sur ce «chantier naturel» qu’ont été assemblées les deux conduites d’aspiration (d’une longueur de 945 mètres) et de rejet (110 mètres) du projet MorgesLac. La première, dotée d’une crépine à l’aspiration faisant office de filtre, a été transportée à l’aide d’une barge jusqu’à la STAP de Morges en juillet dernier, deux semaines avant sa petite cousine. Elle a rejoint une conduite déjà ensouillée opérant la jonction entre la partie terrestre et la partie lacustre.
«C’était le meilleur site pour un tel projet, indique Corinne Pesenti, coordinatrice des opérations pour le compte de Romande Energie. La longueur des berges nous permettait d’assembler jusqu’à 1 kilomètre de conduites. Les deux conduites ont été soudées sur place, stockées sur la berge, puis lestées.»