«Nous voulons permettre l’utilisation de mini-organes pour tester l’efficacité des médicaments pour le patient avant qu’ils ne lui soient prescrits», expliquent Sylke Hoehnel et Nathalie Brandenberg, les cofondatrices de Sun Bioscience, une start-up qui se positionne dans la médecine personnalisée. La technologie novatrice développée par la jeune pousse permet de standardiser la fabrication de mini-organes de synthèse, ou organoïdes, à partir de cellules souches.
Une biotechnologie qui représente une grande révolution dans le domaine des cellules souches parce qu’elle permet d’avoir des cellules fonctionnelles en laboratoire et à grande échelle. Il devient ainsi possible de développer des traitements plus précis et plus efficaces puisque spécifiques à chaque patient, particulièrement en cas de maladies complexes où «un médicament pour tous» ne fonctionne pas.
Reproductibles, les mini-organes permettent d’envisager une médecine avec des traitements sur mesure. La technologie se base sur les cellules souches du patient, prélevées par exemple dans l’intestin ou dans les poumons. Ces cellules permettent ensuite de cultiver des organoïdes en laboratoire. En quelques semaines, elles se développent en mini-intestins ou en mini-poumons sur lesquels il devient possible de tester de nouveaux médicaments. Ces mini-organes peuvent ainsi devenir également une alternative aux tests sur les animaux de laboratoire.
Les deux chercheuses collaborent actuellement à une étude clinique avec des patients atteints de mucoviscidose, une maladie héréditaire. Elles visent à affiner la compréhension de la maladie grâce aux organoïdes. La technologie de Sun Bioscience est notamment utilisée dans la recherche contre le cancer, ou immuno-oncologie, et les maladies neurodégénératives, en partenariat avec des centres hospitaliers comme le CHUV ainsi qu’avec de grandes entreprises pharmaceutiques.
Enjeux éthiques
Afin de développer à grande échelle et de manière standardisée ces mini-organes, les deux chercheuses ont mis en place une plateforme. Celle-ci permet de faire croître les organoïdes dans des micro-alvéoles rondes, imprimées dans un gel bioactif facilitant et contrôlant très précisément leur croissance. Ainsi, contrairement aux organoïdes fabriqués de manière traditionnelle à la main, qui ne sont pas stables, ceux de Sun Bioscience sont extrêmement standardisés.
«Cette technologie, appelée Gri3D, permet de contrôler précisément la croissance des organoïdes afin de les uniformiser au maximum», explique Sylke Hoehnel. Cette homogénéité permet la génération de données fiables et tend à permettre une production plus large. Attentives aux enjeux éthiques de leur procédé, les deux fondatrices sont actuellement en discussion avec des experts du domaine afin de garantir une utilisation à large échelle d’organoïdes dans le cadre d’une médecine de précision qui respecte les droits des données et des échantillons.
Les deux ingénieures diplômées en biotechnologie et bio-ingénierie viennent de remporter le Prix Strategis, doté de 50 000 francs. En 2018, elles ont été distinguées par le prestigieux Prix de la Fondation W. A. de Vigier pour les jeunes entreprises, récompense dotée d’un soutien financier de 100 000 francs. «Le plus compliqué reste de sortir l’invention du monde académique et de la transformer en technologie utilisable à l’échelle industrielle, note Sylke Hoehnel. La reproductibilité représente la clé, il a d’ailleurs fallu presque deux ans pour développer le premier prototype fonctionnel.»
Comment les deux femmes se sont-elles rencontrées? A l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), où Nathalie Brandenberg et Sylke Hoehnel travaillaient, dans le même laboratoir, sur leur doctorat en bio-ingénierie des cellules souches. Originaire de Chemnitz, dans l’est de Allemagne, Sylke Hoehnel avait auparavant étudié à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), avant de retrouver la Lausannoise Nathalie Brandenberg. Après leur doctorat, les deux femmes entrepreneuses ont utilisé leurs recherches pour créer Sun Bioscience, en 2016.
Un univers très masculin
Et alors que, dans leur laboratoire à l’EPFL, la proportion hommes-femmes des doctorants était proche de 50%, les chiffres s’avèrent différents dans le monde des start-up, où les femmes restent largement minoritaires. Aujourd’hui, seulement 3% du capital-risque est investi dans des sociétés gérées par des femmes dans le monde, selon le programme de promotion des femmes entrepreneuses de la fondation Cartier Women’s Initiative. «Ce n’était pas toujours facile d’être les seules femmes aux tables rondes réunissant des PDG. Mais le fait d’être deux permet de se soutenir», lance Sylke Hoehnel.
Les chercheuses se souviennent notamment que lorsqu’elles ont obtenu un financement auprès de la Fondation pour l’innovation technologique (FIT), en 2017, le notaire de l’organisation a compris qu’il devait modifier le formulaire: pour la première fois en trente ans, il avait affaire à une société exclusivement fondée par des femmes et il devait changer les «ils» en «elles» sur le contrat…
Plus de 80 clients dans 14 pays
Les chercheuses invitent ainsi les femmes à créer leur propre entreprise et promeuvent les réseaux d’entraide. Sylke Hoehnel et Nathalie Brandenberg ont notamment gardé contact avec des chercheuses qu’elles ont rencontrées à San Francisco lors d’un congrès scientifique de Cartier Women’s Initiative. En Suisse, elles ont intégré des groupes mixtes d’entrepreneurs en sciences de la vie, venant notamment de la région zurichoise.
>> Lire aussi: Tiercé gagnant
Sylke Hoehnel et Nathalie Brandenberg se réjouissent de la croissance de leur start-up pendant ces quatre dernières années et ce, sans investissement privé. «Nous sommes fières d’avoir prouvé que notre concept fonctionne, résument-elles. Nous avons déjà un produit sur le marché, avant même que des investisseurs nous rejoignent.» Aujourd’hui, les deux femmes cherchent des investisseurs pour pouvoir accélérer au maximum leur croissance et cherchent à engager plus de personnel afin de répondre à la demande grandissante.
Basée dans le parc d’innovation de l’EPFL, la start-up Sun Bioscience emploie aujourd’hui cinq personnes à plein temps et sept à temps partiel. Les deux femmes de 33 ans dénombrent plus de 80 clients, des entreprises pharmaceutiques et des institutions de recherches académiques ou industrielles, répartis dans 14 pays comme la Suisse, l’Allemagne, la France, le Japon ou encore les Etats-Unis. Pour cette année, elles attendent un revenu d’un demi-million de francs, cinq fois plus que ce qu’elles ont enregistré en 2019.