Une affiche qui attire l’attention dans une ruelle de Montreux, petit coin de ciel bleu annonçant une manifestation (Léman Rétro, à Blonay) qui, par miracle, ne porte pas la sinistre mention «annulée pour cause de covid». L’auteur? Simon Lécureux, 34 ans, passionné de mécanique sous toutes ses formes, aviation, automobile, moto: «Mon papa était mécanicien sur avions. Je faisais partie du club des jeunes de Prangins, on faisait le pied de grue à l’aérodrome et j’ai effectué des centaines d’heures avec les pilotes du coin.»

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Au terme de son gymnase, le jeune homme atterrit à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL), pensant pouvoir réaliser des produits en lien avec l’automobile: «C’était plutôt du design généraliste. La voiture, c’était vraiment un truc qu’ils détestaient!» Dix ans plus tard, notre designer industriel vole de ses propres ailes, à l’enseigne de Squirrel Graphic. Un double clin d’œil à son patronyme (squirrel signifie «écureuil» en anglais) et à un savoir-faire en perpétuelle évolution.

Les secrets des maîtres du genre

Après avoir plongé tête la première dans la création de logos au profit de sociétés, petites ou grandes, le jeune chef d’entreprise de Gingins (à la fois patron et seul employé) décide d’explorer de nouveaux horizons. Le voici devenu peintre en lettres, au terme d’une transition tout en douceur: «Ça s’est fait de manière assez simple. Je suis tombé un jour sur un site consacré au lancement d’un film sur les peintres en lettres qui allait sortir prochainement. Ça m’a d’autant plus titillé que je retrouvais à la fois le côté un peu design industriel, le fameux «fait avec les mains», et le côté graphique. La peinture en lettres remonte aux années 1850, elle s’est beaucoup développée aux Etats-Unis, historiquement le pays de la publicité. C’est l’ancêtre du vinyle que l’on voit partout aujourd’hui. A l’époque, tout était peint, même les cartes de visite étaient réalisées à la main. Certains ateliers étaient spécialisés dans les grandes enseignes publicitaires, d’autres dans les vitrines en feuilles d’or. Tout ce business est mort avec l’arrivée du vinyle, dans les années 1960-1970. Les Américains et les Anglais sont malgré tout restés attachés à la tradition et ont conservé ce savoir qui a commencé à renaître il y a une quinzaine d’années. Des peintres en lettres se sont battus pour que cet artisanat demeure vivant. Il est désormais reconnu.»

Encore s’agissait-il pour le peintre tout juste diplômé de cerner les secrets des maîtres du genre: «J’ai commencé tout seul en regardant des vidéos sur internet, après m’être acheté le petit matériel de base. Un pinceau de lettrage ne se procure pas dans une grande surface.» Le poil de martre est fortement recommandé, mais le poil d’écureuil, on s’en doute, a également les faveurs de Simon Lécureux.

Les pinceaux de lettrage sont plats, souples et huilés et sont conçus pour supporter une grosse charge de peinture: «Je me suis exercé durant près de deux ans, avant de me décider à partir pour l’Angleterre. On était hébergé chez un peintre en lettres de Bristol, qui a mis son atelier à notre disposition. Le workshop auquel j’ai participé était organisé par Mike Meyer, un peintre en lettres américain fort de cinquante ans d’expérience. On avait tous notre chevalet, j’ai beaucoup appris avec lui. J’ai compris les petits trucs qui font la différence. Cela peut aller d’un travail de lettrage basique jusqu’à des formes victoriennes, un peu plus travaillées, réalisées avec de l’or 24 carats tourné avec du velours pour produire certains effets à l’intérieur de la lettre.»

Effet patiné par le temps

La grande tendance du moment? L’effet «vieilli», certains pensant d’ailleurs que le travail est d’époque. De quoi vexer «l’écureuil»? «Je ne le prends pas mal. Mais où je le prends mal, c’est quand on me dit: «C’est bien, ton autocollant!» De plus en plus de gens aiment cet effet un peu patiné. On parvient, grâce à un pinceau, à produire des choses réalistes. Encore s’agit-il de comprendre la base du vieillissement d’une peinture. Les pourtours demandent plus de matière et au milieu on remplit vite. C’est cette partie qui s’écaille qu’il convient de restituer. J’essaie de garder ce centre plus fin, plus usé, car c’est ainsi que ça se passe dans la vraie vie. Après, il y a des gens qui ne veulent pas de la patine, comme ce client qui m’a confié son casque de rallye. Le travail sera effectué au pinceau, comme sur mon casque de moto. Je travaille sur des panneaux, des vitrines, des véhicules, des casques et même sur des vestes en cuir. Souvent, un vieux casque ou un réservoir de moto peut devenir un objet de déco.»

Voiture, veste en jeans, casque de moto, autant de supports différents sur lesquels Simon Lécureux appose sa griffe. 

Sa plus grosse réalisation? Une fresque de 4 mètres sur 3 commandée par un boulanger de Savigny, spécialisé dans les pains à hamburgers: «Pour les grandes surfaces, on se fait aider par un maulstick, une canne à peindre servant de point d’appui. Ce sont d’ailleurs des techniques de peinture classique. Mais n’allez pas croire que je place des lettres partout. Cet été, on m’a demandé des décorations florales sur des vélos électriques. Là, je vais peindre une vieille machine à café dont j’ai démonté les pièces avant de les poncer.»

Et les souvenirs de l’ECAL de revenir soudain à la surface: «Le plus chouette, dans cette école, c’est que l’on y acquiert une méthode de travail. Un designer généraliste est capable de réaliser toutes les étapes. Si j’étais devenu designer automobile, je n’aurais fait que du dessin, voire un peu de 3D. A l’ECAL, j’ai appris à faire du croquis, de la recherche de concept, des maquettes dans l’atelier de menuiserie, en partant de la feuille blanche jusqu’à la partie vente du produit. Souvent, le choix de l’objet était libre, même si la thématique était imposée. Lorsque j’étais en deuxième année, j’ai remporté un concours organisé par Hermès dont le thème était la légèreté au quotidien. J’avais alors réalisé un tabouret à bascule.» Idéal pour passer d’un univers de la création à l’autre!


En immersion chez Ikea

Simon Lécureux travaille en parallèle pour Ikea Vernier. Son champ de manœuvre? Les grands vinyles publicitaires: «Ikea, c’est un autre monde, un cadre bien défini, une manière de penser globale. Je suis rattaché au service communication et design, chaque magasin possédant son propre département constitué de designers. En tant que graphistes, nous nous chargeons de tout ce qui est imprimé pour le magasin.» Rien à voir avec les services personnalisés proposés par Squirrel Graphic: «Un vieux pick-up avec sa publicité patinée, un symbole en feuille d’or, la reproduction d’un logo ancien ou encore une illustration unique.» Simon en est parfaitement conscient: «La personne qui va me demander un lettrage sur une vitrine, quel que soit le style, est à des années-lumière de ce que fait le géant suédois. Mais ça ne m’empêche pas de m’inspirer de certaines choses, comme la hauteur où tu vas placer ton enseigne, par exemple.»